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COLRE COLRE 4 août 2013 19:41

Bonjour LL Salvador,

Une grande partie du désaccord me paraît tourner autour du « statut » de « la » science. A la fois vous souhaitez situer vos recherches dans la démarche scientifique (votre « amendement » darwiniste le montre, de même que vos références aux épistémologues), et à la fois je découvre avec étonnement une critique explicite (mais souvent implicite) sur le fonctionnement scientifique. Je lis dans la réponse que vous me faites : 

« …à condition toutefois de reconnaître aussi que la science normale n’est que le résultat d’un combat permanent entre « sectes » diverses et autres qui usent de tous les moyens possibles pour accéder au pouvoir, cad, aux financements. »
On dirait du Dugué… smiley Je ne peux évidemment pas être d’accord sur cette façon de confondre « la » science et le milieu scientifique (des humains comme les autres), et, à l’intérieur du milieu scientifique, les imposteurs et les passionnés de la connaissance. Je ne vous suis même pas dans votre critique des arrivistes « avides de pouvoir » étant donné que les arrivistes peuvent être d’excellents scientifiques… tout comme les passionnés peuvent être de déplorables chercheurs - j’en connais au moins deux ou trois sur AV. Quant à la course aux financements, il faudrait m’expliquer comment y échapper dans notre société qui ne s’intéresse qu’aux applications rentables de « la » science… Elle n’est donc pas une tare mais une dommageable obligation.

Deuxième point (lié) : finalement, l’interprétation girardienne n’est-elle qu’une « belle hypothèse », une « simple hypothèse » et non une « thèse » (ce que vous dites parfois) ou bien un « système cohérent », une « énorme structure théorique » (ce que vous me dites à moi) ? cette hésitation me semble répondre à une façon de se prémunir sur 2 tableaux : éviter les critiques sur la non-scientificité de l’interprétation de R Girard soit parce qu’elle ne relève pas vraiment de « la » science, soit parce qu’elle en relève trop et qu’elle est alors inaccessible au chercheur de base un tantinet décrié (« pitchs théoriques », « petites expériences édifiantes », « discourir librement », « discours plus ou moins délirant stigmatisé par Sokal »…). 

D’ailleurs, à propos de Sokal, son expérience puis son livre avec Bricmont est une de mes références constantes. Je trouve - justement !- que la thèse girardienne est plutôt du côté de celles que critique Sokal (Lacan, Deleuze, Barthes…). L’ambiance post-moderne et la pseudo-scientificité des systèmes intellectuels en cause me paraissent avoir des airs de famille… (j’évoque évidement les conjectures de la philosophie ou du freudisme -pas le versant imposture ou jargon… je ne me permettrais pas pour Girard, ne le connaissant pas assez, je laisse la main à Lord).

Troisième point. Vous me dites : « c’est vraiment vision contre vision ». Par ce renvoi dos-à-dos destiné à minimiser la portée scientifique de vos adversaires, vous avouez tout de go que la thèse de RG (et la vôtre) n’est « aussi » qu’une vision (donc, n’est pas scientifique). C’est justement ce que les scientifiques reprochent à ce système explicatif : de n’être qu’une « vision », une « conjecture », certes rigoureuse et certainement passionnante en philosophie, mais qui ne pourrait ni être validée ni invalidée par les faits. Là, je suis absolument d’accord avec cette critique que Lord vous répète à plusieurs reprises…

Vous dites :

"Je vous propose que nous essayons de mettre ici les choses à plat au plan épistémologique.
Soyons poppérien et convenons, si vous le voulez bien, qu’aucune théorie ne peut être validée, vérifiée ou même confirmée. Les théories peuvent seulement être réfutées (falsifiée si on veut faire dans l’anglicisme).
"

Cet usage de Popper n’est pas pertinent. Pour une théorie d’envergure, comme celle de Girard, ce n’est pas la « théorie » dans son ensemble qui pourrait être invalidée car, je crois l’avoir lu sous votre plume : quelle découverte nouvelle pourrait mettre à bas cette théorie ? justement, aucune. Rien ne peut l’invalider… En revanche, la construction théorique d’ordre scientifique demande que les présupposés possèdent un minimum de « réfutabilité ». Or, comment réfuter une hypothèse qui s’ancre dans un passé si lointain qu’aucune invalidation ne sera admise par les « girardiens » ? 

Postuler l’universalité des pratiques sacrificielles (et en plus comme fondement du religieux et origine de toute humanité « humaine »…), c’est devoir accepter l’éclairage des données archéologiques et anthropologiques… or, le pb est que ces faits ne sont pas avérés au Paléolithique. 

• Les premiers témoins d’une préoccupation religieuse (sépultures) n’en portent pas trace (comme ce sera le cas bien plus plus tard, et même après les débuts du Néolithique), ni pour Néandertal ni pour les formes archaïques d’HSap au Proche-Orient. Des offrandes animales, à la rigueur, mais bien sûr pas de sacrifice humain.

• Les premières traces de représentation liées aux développements cérébraux d’Homo sapiens montrent un système de croyances qui fusionne l’homme et l’animal. Les premières évidences de rituels concernent la mise à mort ritualisée du gibier par des actions violentes (impacts, rainurages, fractures…) sur des statuettes animales (rituels de chasse ? prophylaxie ?…). Les premières représentations humaines sont fortement sexuées, et mêmes réduites symboliquement à leur sexe (vulves, pénis…). Les premières vraies représentations de violence inter-humaine n’apparaissent qu’à l’Epipaléolithique (et encore…). 

Ce système de croyances et de représentation thématique perdurera pendant toute la période chasseurs-cueilleurs (plus de 20 millénaires !), montrant une sorte de cosmogonie fondée sur les analogies ontologiques entre l’homme et l’animal, entre les actes de copulation et de chasse et sur le fondement sexué de l’organisation sociale et de sa transcription mythologique. Le sexe est infiniment plus présent dans les cavernes que la violence, pratiquement toujours édulcorée, occultée, transposée dans la symbolique cynégétique. A part 2 ou 3 hommes « blessés », rien, de près ou de loin ne pourrait illustrer un sacrifice humain ou la marque d’un conflit intérieur.

Pourquoi ne pas prendre en compte cette réalité factuelle de la recherche, sinon qu’elle va à l’encontre de la théorie « sacrificielle » des origines ? les interprétations des mythes « actuels » ne remontent qu’à des « histoires » de qques millénaires tout au plus : c’est de l’histoire récente. L’émergence des sociétés complexes, qui date aussi de qques millénaires (IIIè millénaire), s’accompagne de tous les témoignages culturels sur la guerre ou le sacrifice. Pourquoi ne pas considérer que la thèse de RG convient alors très bien à une explication pertinente des sociétés hiérarchisées et urbanisées ?

Pour reculer au plus loin la cause de « toute chose », vous devez vous appuyer sur l’éthologie animale, pré-éminente à l’humanisation, et tordre un peu les faits. Le cas de la chasse au colobe observée chez les Chimpanzés ne relève pas vraiment d’une pratique sacrificielle. L’interprétation est des plus douteuses. Les guerres inter-groupes des chimpanzés montrent l’enracinement de la guerre dans notre lignée très « territoriale » (pas tellement plus que les troupes de lions), mais ce n’est pas une pratique intra-groupe, comme vous la jugez nécessaire à la théorie de Girard…

Bref… je ne suis pas convaincue de l’extension vers l’originel d’une conjecture qui est séduisante à partir des sociétés complexes (Âge du Bronze, voire un peu avant). Pourtant, l’une est scientifiquement fondée, et pas l’autre. Pourquoi s’attacher à ce point à une théorie totalisante, qui embrasse une réalité inaccessible et donc « s’enferme » dans ce système clos que je regrettais ? pourquoi des recours aussi peu « parcimonieux » (économique) à des concepts lourds et/ou insaisissables (désir, mimétique, causalité unique…)…

Prenez mes remarques pour des questions… (car je ne connais pas la thèse de Girard dans tous ses aspects et sans doute ses nuances).


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