Je me souviens des vieux cinémas, du rideau rouge, des entractes, de la sonnerie pour ramener la foule, des vieux sièges défoncés, de ceux en bois qui s’ouvraient sur le coté, pour ceux qui n’avaient plus d’autre place.
Je me souviens des ouvreuses, de leur lampe électrique de spéléologue, de leur soutien gorge plongeant vers des abimes vertigineux quand elles se baissaient vers vous en vous tendant plus tard un esquimeau glacé.
Je me souviens du balcon là haut , et qui faisaient ressembler ces grands cinémas à de vieilles églises.
Je me souviens qu’on fumait dans la salle, et qu’il était parfois difficile de savoir si la fumée venait de la cigarette des héros du film ou de celle des spectateurs.
C’était une sorte de dimension 3 D avant la lettre, avec ces filles qu’on parvenait parfois, en profitant de leur émotion, à caresser furtivement.
Mais il fallait savoir bien choisir son film, ne pas se gourrer !
Je me souviens de Bourvil à mon grand effarement d’enfant de choeur piquant dans un tronc d’église, avec un caramel au bout d’un fil de fer.
Je me souviens de Jean Gabin dont la tête prenait tout l’écran, et qui faisait semblant de s’ennerver tout rouge en noir et blanc : « Et ben mon p’tit bonhomme, tu vas le cracher le morceau, ou alors on va voir ce qu’on va voir ! »
Je me souviens du pont de la rivière Kwaï, de steve Mac Queen se faisant la belle en moto dans la grande évasion, avant de se prendre dans les barbelés.
C’était la séance du dimanche après midi.
On ressortait du ciné un peu fierot, roulant des mécaniques, dans notre blouson en simili cuir, comme si on avait donné une bonne leçon aux japs et aux boches réunis !
Mais le sale temps gris, et les gens, et les renault dauphines passant dans les flaques d’eau, vous remettaient vite fait les idées en place.
Parait que c’était les trente glorieuses !
Mais personne encore n’avait jamais entendu parlé de ce foutu film !