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(---.---.12.11) 7 novembre 2006 16:46

Destin secret...

A la mémoire d’une culture qui, pour nous punir, nous laisse partir, devenir amnésiques...

Ecrire sur quelqu’un implique une certaine violence envers lui, mais ne pas écrire sur lui c’est aussi lui faire violence.

A Targant, tout le monde est analphabète ou presque, l’unique école du village, une salle en préfabriqué, est fréquentée par quelques enfants, à majorité masculine, mais ils la quittent à peine le cycle primaire terminé. Elle est concurrencée par des mosquées ; chaque douar ayant la sienne, dirigée par un imam illettré et borné, appelé fkih , qui fait réciter des versets coraniques à longueur de journée à quelques malheureux garçons ; les filles en sont toutefois exclues. L’imam obtus bat les gamins qui n’apprennent pas par cœur, en les pendant sur les flammes d’un feu allumé pour l’occasion, où il fait éclater du gros sel pour les effrayer davantage. Il lui arrive même de leur faire subir des sévices sexuels, pratique honteusement tolérée dans cette bourgade.

Si à la mosquée ces enfants sont dressés à la soumission absolue et à l’irresponsabilité, le sadisme des imams aidant, en revanche à l’école ils apprennent les bases rudimentaires de l’arabe, juste ce qui est nécessaire au déchiffrage du courrier envoyé par leurs frères aînés émigrés et dont le niveau de langue est très médiocre. Cela suffit largement aux attentes de leurs parents en termes de réussite scolaire. Quant à l’avenir, l’émigration, avec « l’aide d’Allah », s’en chargera. Ces jeunes garçons - à l’enfance abrégée - vont gonfler les rangs des inactifs qui passent leur temps à rôder dans les rues poussiéreuses et à rêver d’une hypothétique expatriation.

Il règne dans ce village un climat malsain, d’animosité, de sauvagerie et d’archaïsme. Les gens, incultes et hypocrites, passent leur temps à boire du thé, à tourner en rond ; et notamment à se calomnier les uns les autres - c’est leur activité quotidienne favorite. En effet, des séances de médisance sont quotidiennement organisées et peuvent durer plusieurs heures. Le groupe s’acharne sur les absents, à qui il trouve toutes les tares possibles et imaginables, et dès qu’une personne quitte l’attroupement elle devient à son tour sujette à des quolibets. Les gens sont follement passionnés par la rumeur et celle-ci s’alimente constamment par leur imaginaire, silo à fables dont la capacité est intarissable.

Les habitants de ce village souffrent de leur bâtardise, étant un ramassis d’individus à l’origine inconnue, dans une région où la valeur des gens se mesure par leur appartenance tribale, et cela donne une allure cynique à leur comportement collectif marqué par l’antipathie et l’ostracisme. Ils vivent sur un mode tribal étrangement stratifié, à prédominance masculine, où règne la loi du plus âgé et du plus fort. Ils n’ont ni éducation ni savoir-vivre et sont des champions, dans leur genre, du travestissement de la personnalité. En effet, ils ne disent pas ce qu’ils pensent et ne pensent pas ce qu’ils disent. Ils affichent, les uns vis-à-vis des autres, une sympathie factice en se serrant fortement dans les bras, en s’embrassant et en se tenant par la main en public mais tout n’est que tactique et stratagème. Au fond, leurs relations sont odieusement insidieuses. Ils se haïssent viscéralement, se jalousent et se tendent lâchement des pièges. Les alliances se font et se défont au gré des intérêts - mesquins - du moment, toujours dans le but de diaboliser l’un des leurs ou de le spolier de ses modestes biens. Ils portent en eux comme un gêne maléfique - et la jalousie poussée jusqu’à la haine marque impudemment leurs relations. Les familles vivent en communauté, les garçons mariés et célibataires se côtoient sous le même toit. Même ceux d’entre eux qui émigrent laissent leurs épouses au bercail, sous l’œil vigilant de leurs parents. Dès l’aube, les femmes, célibataires ou répudiées ainsi que les brus, se lèvent. Encadrées par la matrone, véritable tyran domestique, elles se lancent dans des corvées interminables, préparant d’abord le petit déjeuner habituel : soupe de d’chicha , thé à la menthe et galettes de pain préparées dans le kanoun , qu’on trempe dans de l’huile d’olive ou dans le thé. Le tout pour la horde de garçons désoeuvrés qui font la grasse matinée, après avoir veillé une grande partie de la nuit dans les réunions de médisance ou à faire des escapades dans les prairies arides à la recherche d’ânesses pour les pratiques qu’on imagine. Souvent à défaut, ils se calment mutuellement leurs ardeurs libidineuses par des pratiques homosexuelles.

Une fois leur devoir culinaire accompli, les belles filles - corvéables à merci - partent ensuite, toujours encadrées par la belle mère, à l’instar des bagnards, vers les champs chercher de l’herbe pour les chèvres et du bois pour la cuisine. Les filles, elles, restent à la maison et préparent le déjeuner pour leurs frères. Ce sont toujours les mêmes recettes : baddaz le vendredi, jour de culte selon la tradition, et tagine aux légumes, souvent des navets, le reste de la semaine. Les belles filles rentrent le soir chargées comme des mules et, sans relâche, se lancent dans la préparation du repas pour la clique masculine qui sombre dans la léthargie. Elles lui servent à manger et attendent les restes - si restes il y a -, pour manger à leur tour.

Les seuls moments de répit dont ces femmes disposent sont ceux où elles partent, toujours escortées par la belle mère, visiter les mausolées. Elles y vont pendant l’absence de leurs frères et maris, souvent le samedi, jour de souk à Garma, gros bourg à une vingtaine de kilomètres de là, où les hommes vont chercher les lettres envoyées par les émigrés, collecter les rumeurs et fantasmer. Elles se prosternent pendant de longs moments devant la tombe du saint et racontent leurs maux que les hommes n’écoutent jamais. Elles font aussi des vœux de bonne santé - et de longévité pour leurs mariages. Nonobstant leur calvaire, rester mariées est pour elles mieux qu’une répudiation humiliante. La belle mère, elle, prie le marabout défunt de trouver « un bon parti » pour chacune de ses filles.

Le mariage est un événement de taille dans la vie de cette peuplade et les festivités relatives à sa célébration durent une semaine, c’est la tradition. Tous les garçons du village viennent à la fête le soir. Ils le font de leur propre gré, sans être invités, et on n’a pas le droit de leur refuser l’accès à la maison du mariage. Tout le monde respecte cette coutume et ceux qui l’enfreignent s’exposent à une guerre de pierres que ces garçons déclenchent et font durer toute la nuit, immobilisant tout le monde dans la maison des mariés. Et chaque soir ils reviennent à la charge, jusqu’à ce qu’on cède à leurs revendications.

Ils amènent avec eux quelques musiciens de fortune qui viennent jouer de la musique pour le plaisir et surtout pour écouter les youyous des femmes qu’on installe dans un coin obscur de la maison et dont les silhouettes suffisent pour chauffer à blanc tous les hommes jusqu’à l’aube. Parmi ces « musiciens », il y a un ou deux joueurs de l’aouad , au rôle très important et qui bénéficient de l’attention de tous, deux ou trois joueurs de T’ara et un joueur de N’akouss .

Ils s’asseyent par terre dans la cour de la maison, en formant un cercle, et psalmodient en groupe une espèce de chant inécoutable, aux paroles archaïques et quasi obscènes. De temps en temps, quelques garçons se lèvent pour danser. En fait, ils paradent en sautillant au milieu du groupe, tout en lançant des onomatopées étranges destinées aux femmes. Celles-ci répondent par des youyous qui vont crescendo, poussant ces malheureux à entrer en transe. Ce délire collectif est le signe d’une frustration sentimentale et sexuelle manifeste. Dans cette bourgade, la séparation des sexes est de rigueur et les hommes deviennent hystériques à la moindre apparition des femmes. La pédophilie y est très répandue et la zoophilie de mise - les ânesses étant des « compagnes » de prédilection.

Ce climat de frustration extrême rend les hommes sadiques et paranoïaques et les femmes masochistes et névrotiques. En effet, il n’est pas rare de voir un homme se défouler en rouant de coups son épouse - quand il ne se plaint pas de persécutions imaginaires. La femme, quant à elle, reporte son désappointement sur ses enfants qui sont eux aussi l’objet de sévices corporels. Les mariés se rencontrent pour la première fois la nuit de noces qui se transforme en viol organisé. L’homme viole la jeune fille de plusieurs années sa cadette - arrachée à l’âge des jeux et des poupées -, dans l’obscurité. Pendant ce temps, des femmes tapent sur des tambourins devant la porte de la chambre fermée à clé, pour détourner l’attention des badauds des cris de la mariée. Les mariages sont rarement une réussite puisque ce sont des alliances tribales - et moyenâgeuses - conclues entre familles. Cette « corrida » féroce, dont la victime est un être humain candide et innocent et le matador un monstre cruel déguisé en homme, ne s’arrête qu’avec l’écoulement du sang de l’hymen qu’on exhibe sur un drap blanc. Cette étoffe - symbole de bassesse et de bestialité - enveloppe la jeune fille pendant une semaine.

Les filles qui manquent d’hymen sont mises à la porte sans ménagement et leur honneur ainsi que celui de leurs familles sont piétinés à tout jamais. Victimes muettes, jetées en pâture à tous, elles endossent seules le poids de la souffrance, de la culpabilité et de la honte. Certaines familles les rejettent à leur tour, brisant ainsi leur ultime chance d’être réhabilitées. Elles deviennent alors les parias de la communauté et les hommes du village, dans leur grande majorité, trouvent légitime de les forcer à se prostituer avec eux. C’est le prix à payer - sentence criminelle perpétrée à travers les générations...


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