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ZEN etienne celmar dit zen 25 novembre 2006 15:24

Trouvé hier dans le Monde un article intéressant sur le sujet. Désolé de le reproduire, mais il n’est plus en accès libre :

Culture (budgets et pratiques) : le match France Etats-Unis LE MONDE | 23.11.06 | 16h14 • Mis à jour le 23.11.06 | 20h13

« La cause est entendue. Sur le terrain culturel, il n’y a pas plus opposés que les modèles américain et français. D’un côté, le plus grand pays du monde fait de la culture un des produits privés à exporter partout sur la planète. De l’autre, la France mène une politique publique et affirme que »la culture n’est pas une marchandise" face à l’envahisseur américain.

De la culture en Amérique (Gallimard), relance ce débat. Son auteur, Frédéric Martel, livre une enquête sur le système culturel américain, sa philosophie, ses mécanismes, son mode de financement (« Le Monde des livres » du 17 novembre). Il s’interdit toute comparaison frontale entre les deux pays. Mais le lecteur ne peut s’empêcher de mesurer ce qui sépare les Etats-Unis de la France, de jauger les points forts et les points faibles. Les données statistiques publiées nous ont incités à les mettre en regard des chiffres français, même si l’exercice de comparaison n’est pas simple - il y a cinq fois plus d’Américains (300 millions) que de Français (63 millions). Question : qui l’emporte ? Réponse : match nul.

Prenons l’un des baromètres de la vitalité culturelle d’un pays : le nombre de personnes exerçant une « profession artistique ». A Washington, le ministère du travail en comptabilise 2,1 millions, alors qu’en France le ministère de la culture, en utilisant des critères globalement équivalents, fait état de 440 000 personnes. Cela donne un « artiste » pour 142,8 Américains contre un « artiste » pour 143,1 Français. La différence est mince.

Allons à la source des systèmes. La France est le pays des jardins symétriques, avec ses perspectives droites et ses buis bien taillés. C’est la patrie de Colbert, de Robespierre et de Bonaparte. Bref, la centralisation y est forte. La fascination pour le « despote éclairé » n’est pas éteinte, y compris chez les intellectuels. Nous possédons un ministère de la culture logé au coeur de Paris, au Palais-Royal, une administration riche de 25 000 agents et un ministre qui prêche la bonne parole. Ainsi, la nomination des responsables de dizaines d’institutions - Louvre, Opéra de Paris, Centre Pompidou, Bibliothèque nationale, Comédie-Française, etc. - se joue entre le président de la République, le premier ministre et le ministre de la culture.

Parce que celui qui décide est celui qui paie. Or, en France, l’argent culturel est surtout public. Le système est simple : trois contributeurs apportent chacun une part des 11,6 milliards d’euros de budget : le ministère de la culture, d’autres ministères (affaires étrangères, éducation nationale, défense, etc.) et les collectivités locales (d’abord les villes, puis les régions et les départements). En France, il n’est guère de musées, de théâtres, de festivals, de spectacles de danse sans manne publique. Et celui qui paie aime le faire savoir.

Prenons la dernière Foire d’art contemporain de Paris (FIAC), qui a eu lieu en octobre. Dans ce temple français des transactions privées d’oeuvres d’art, l’Etat a collé sur les stands des galeries concernées des bristols informant le visiteur de ce qu’il avait acheté avec l’argent de la collectivité, et en son nom. Quant à l’artiste, il est fier que ses oeuvres soient payées avec de l’argent public : l’Etat est un collectionneur prestigieux, et l’argent de la République est préféré à celui, toujours suspect, du particulier ou de l’entreprise.

Racontez cela à un Américain, il sera éberlué. Sinon effrayé. Pour éviter ce cauchemar, il n’existe pas de ministère de la culture aux Etats-Unis. Et encore moins de politique fédérale. Pas question d’imposer un « art officiel » aux citoyens. Les artistes eux-mêmes n’en veulent pas. Pour la plupart des Américains, c’est à la société civile et au marché de façonner une politique culturelle.

Aussi ce sont des centaines d’agences publiques américaines qui financent la culture à tous niveaux - fédéral, Etats, villes, comtés. Au point qu’il est difficile de s’y retrouver dans le maquis des subventions, auxquelles s’ajoutent une ribambelle de taxes reversées à la culture, d’exonérations fiscales pour les dons, d’aides diverses.

Du coup, l’addition qui a pour but de totaliser l’argent public investi dans la culture aux Etats-Unis est impossible à finaliser avec certitude. Le système est si opaque qu’on aboutit à une simple fourchette, de 20 milliards à 39 milliards d’euros ! Chaque Américain se verrait allouer 67 euros à 129 euros d’argent public culturel, contre 184 euros pour chaque Français. Avantage à la France, dira-t-on. Mais à corriger. D’abord, l’argent public américain est énorme, ce qui fait dire à Guy Saez, chercheur à l’Institut d’études politiques de Grenoble, que « les deux systèmes ont des approches opposées mais un résultat proche ». Surtout, une comparaison juste doit aussi tenir compte de l’argent privé. Ici, le fossé est vertigineux entre les deux pays. En France, des lois récentes ont dopé le mécénat, mais il reste très faible, de l’ordre de 0,2 milliard d’euros. Aux Etats-Unis, générosité individuelle, fondations et mécénat représentent 12 milliards d’euros - une somme, là encore, incertaine et, dit-on, sous-estimée. « Le choix de chaque Américain de donner à la culture, pour défiscaliser ses revenus, est la grande différence avec le système français », note Guy Saez.

LATINOS ET BANLIEUSARDS

Pourtant, dans la culture, l’argent public aux Etats-Unis reste plus abondant que l’argent privé. Additionnons maintenant fonds publics et privés : chaque Américain bénéficie de 108 euros (hypothèse basse) ou de 170 euros (hypothèse haute). Dans le premier cas, le Français est plus richement doté ; dans le second, c’est l’Américain... Ainsi, les engagements financiers des deux pays dans la culture sont similaires. Sauf que l’Université tient une place centrale dans le système culturel américain, alors qu’elle est quasi absente du paysage français.

Mais les systèmes culturels ne se réduisent pas à des chiffres. Les limites du modèle américain sont aussi les points forts de son homologue français. Et vice versa. Aux Etats-Unis, on pointe une culture appauvrie par le marché, un maillage culturel inégal du territoire, un manque d’argent pour les créations difficiles ou subversives, des risques de censure ou des coupes brutales de crédits de la part d’un conseil d’administration, d’une ville, d’un mécène. En France, l’Etat culturel est de plus en plus vécu comme arrogant, pesant, asphyxié dans ses missions, « fonctionnarisé » dans ses décisions. « Les prérogatives de l’Etat, notamment dans les nominations, sont de plus en plus mal acceptées par les collectivités locales, qui investissent de plus en plus d’argent dans la culture », juge Guy Saez. Emmanuel Négrier, du CNRS, confirme : « Le modèle français tiendra à condition que l’Etat abandonne quelques-unes de ses prérogatives à des corps intermédiaires. »

Autre limite : la République française garantit l’accès de tous à la même culture. Mais, devant son relatif échec, les critiques pleuvent. « Finalement, juge Frédéric Martel, l’argent de l’Etat satisfait essentiellement la demande des plus riches. Ce système d’autodéfense d’une élite contre le peuple ne pourra pas durer longtemps. » Les Etats-Unis, au contraire, auraient réussi à multiplier les passerelles entre « culture haut de gamme » et culture de masse. Avec des efforts considérables - trop, disent certains - à destination des communautés noires, latinos, indiennes, etc.

« Il est crucial de continuer à défendre le cinéma français, les quotas de chansons françaises à la radio, le prix unique du livre et la diversité culturelle à l’Unesco, conclut Frédéric Martel. Mais on ne peut pas, dans le même temps, laisser hors du champ culturel les populations des banlieues. »

Michel Guerrin et Emmanuel de Roux


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