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Yannick Comenge (---.---.102.41) 9 décembre 2006 12:06

Aujourd’hui, le communautarisme religieux passe de plus en plus pour une hydre moderne et tentaculaire. Ses agissements sont la plupart du temps discrets et sournois, défiant les démocraties sur leur principe et leur vocation, insultant fréquemment les femmes, les droits humains et les révolutions scientifiques. Inutile de rappeler Galilée, Copernic et l’ensemble d’une communauté humaniste qui a fait les frais d’une toute puissance arbitraire à une époque ou le fait religieux faisait loi et rimait avec droit de vie. Une pensée aussi pour Darwin qui malgré son génie est fréquemment mis en doute par des néo-créationnistes qui pullulent aux USA et en Europe. Soit dit en passant, certains articles de journalistes scientifiques sur le darwinisme sont tellement mal construits qu’il est fréquent de voir que les créationnistes font leur terreau d’une pensée mal retransmise. J’ai toujours eu la conviction que Darwin devait se lire dans le texte et dans son anglais le plus original pour être mieux diffusé par la suite. Mais je doute qu’il reste des passionnés pour faire ce travail intellectuel pourtant si riche. Nos temps modernes ont vu l’affaire Rodeker qui est cloué encore au pilori d’une vindicte vile et vengeresse. En d’autres temps, c’était Salman Rushdie qui faisait les frais de l’incontournable incapacité des religieux à tolérer le froissement d’un dogme ou d’une image, la caricature simple d’un icône exemplaire pour certains. Ainsi, ce sont pendant longtemps des hommes seuls et des intellectuels qui ont été en première ligne d’une fracture religieuse mal digéré par des démocraties placées sous le signe de la séparation de la religion et de l’état. On peut d’ailleurs frémir à l’idée que le clientélisme purement politique s’acharne à flatter les courants les plus fanatiques pour s’octroyer des circonscriptions. Ici, telle mosquée sera érigée, là telle Eglise sera rénovée sur des montages financiers « particuliers ». La vigilance est donc de mise dès qu’on se préoccupe de république pour éviter qu’un jour un prêtre, un imam ou un rabbin viennent réclamer toujours... plus de concessions.

L’affaire qui oppose le TELETHON et les représentants de l’Eglise de France a donc mis le feu aux poudres sur le fond d’un enjeu éthique qui se serait bien passé de l’avis d’un archevêque médiatiquement fort maladroit pour ne pas polémiquer plus. Dans ce collapsus idéologique, rien n’est pire pour ceux qui font de l’éthique que de sentir l’arrivée de croisés modernes dans un débat ou la science a besoin de bornes, de limites et de cadrages. Certains diront que le législateur est là pour organiser la recherche sur les nouvelles technologies que ce soit sur la thérapie génique, la thérapie cellulaire, les cellules souches... le clonage reproductif ou non. On sait que fréquemment la Loi Scientifique arrive alors que les recherches sont lancés depuis longtemps et que des lobbys technologiques martèlent l’urgence de changer des textes dépassés dès leur entrée en vigueur. Ainsi, on clamera que le scientifique est couvert par la Loi, mais on n’a que peu de recul sur le murmure discret des expériences de laboratoire... Il suffit de rappeler pour cela l’affaire des 350 fœtus « oubliés » dans un hôpital parisien. Mais, on connaît les limites intellectuelles de nos élus qui sont dépassés scientifiquement. Aussi, on doit privilégier le débat inter scientifique sur les sujets et déplorer que la démocratie scientifique soit encore une idée très vague. Il est dommage que l’avis des récalcitrants aux clonages ne soit pas judicieusement entendu car ils ont dépassé certaines idées reçues qui ornent l’inconscient collectif d’une mouvance scientifique qui ne fonctionne qu’en révolution et rupture de dogme voire en transgressions. Ces « rebelles » souvent remarquent le risque de techniques qui sont un exploit pour ce qui est du DPI (diagnostic préimplantatoire) mais qui mettent dans les mains de l’humanité le savoir faire eugénique. Ces scientifiques braillards ont conscience que la démocratie est toujours fragile et que dans un pays qui a pu voter à 20 % pour l’extrême droite, on peut craindre qu’un jour le DPI serve à discriminer différemment, aboutissant à l’exclusion de populations génétiquement indésirables. Certains jouent à l’ironie et raillent le fait qu’au lieu de soigner les patients la science « veuille les tuer dans l’œuf ». La considération qui me taraude est la suivante : quel est la contre-mesure qu’il est possible de mettre à jour pour que le DPI ne soit pas un jour la pire des techniques alors qu’il permet aujourd’hui le bonheur des familles. Pour compléter l’idée, certains généticiens américains ont par exemple étudiés et publiés à la fin des années 90 des études qui permettaient d’évaluer le taux de différence génétique entre druze et non druze au Proche-Orient... Darwin, dont les oeuvres ont baigné mon adolescence, doit s’arracher les cheveux à ce sujet. L’évolution n’a pas été conçue pour être le socle d’une pureté de souche, bien au contraire... La science et la génétique peuvent s’avérer être des pierres angulaires d’une évolution humaine sublime comme être le retour à des concepts eugéniques pernicieux. On peut ainsi se souvenir de l’émoi qu’a suscité le rapport INSERM sur la prédisposition d’enfant de 3 ans à la délinquance et au flicage qui aurait pu s’instituer... rapport qui cristallise le discours simpliste d’experts bunkérisés dans leurs préjugés, leurs idéologies et leur conformisme de classe.

Idem pour le clonage. Les chercheurs veulent en faire et clament déjà des lendemains victorieux. Une génération scientifique avait brandi la thérapie génique comme le médicament de demain, la nouvelle reprend les mêmes slogans pour aborder le clonage reproductif ou non. Le problème sur le sujet n’est pas l’embryon cloné mais surtout les ovaires dont on aura besoin comme matière première... ira-t-on jusqu’à des campagnes de stérilisation abusives pour récupérer ces organes si nécessaires à ces manipulations génétiques ? Certains rêvent de publications faciles car sur un tel sujet tout article même médiocre peut passer à la postérité et apporter la notoriété sur toute une carrière. On peut déplorer que le pape coréen du clonage soit déjà passé pour un fieffé menteur et un scientifique corrompu, ce qui n’est pas de bon augure pour le domaine. D’autres veulent créer un homme génétiquement modifié en se prenant pour des Dieux auto-déclarés et arguant des explications dignes de classiques jésuites. Albert Einstein avec malice d’ailleurs avait fait le parallèle entre les religieux et les scientifiques et cette capacité à formuler des dogmes inébranlables, inoxydables et surtout non critiquables.

Mais, au milieu de ce vacarme idéologique et religieux, le TELETHON est bien malmené alors qu’il est un jeune gaillard d’une vingtaine d’années. Alors qu’il s’agit d’un ouvrage populaire bon enfant, il devient enjeux éthiques, luttes interconfessionnelles. Certains syndicats de chercheur parfois balbutient qu’il s’agit d’un impôt déguisé qui permet à l’état de se désengager de financements très coûteux... ce qui à l’heure ou Mme Brechignac ferment les vannes des financements des sciences de la vie au CNRS pour des raisons absurdes est un argument qui se tient. D’autres chercheurs déplorent un manque de coordination entre les associations de dons à la recherche... leur idée est qu’on additionne les administrations caritatives et qu’en fusionnant l’ARC, la Ligue et le Téléthon on pourrait donner plus d’argent à la recherche ou aux malades... mais en France on aime les doublons, les stratifications même dans le service public... Ainsi rappelons que l’ANR, l’INCA, le CNRS, l’INSERM, l’INRIA font tous de la recherche mais sont des organismes publics et indépendants... autant d’administratifs qui font un travail exemplaire mais dont le nombre pourrait être réduit au profit de la recherche ou des malades. Dans ce lot de litanies, on peut aborder aussi ce contre-exemple que constitue l’un des directeurs de grand centre de recherche associative qui s’octroyait très récemment encore un salaire pharaonique et qui avait placé sa famille aux postes stratégiques de son empire... Il a été d’ailleurs poussé à la démission par pression médiatique.

Je mentionnerai aussi les propos courageux du SNTRS en date du 8 décembre 2006 : « Le Téléthon met en avant la souffrance ... pour récolter des fonds... Compte tenu de l’absence de financement de l’Etat, tout ce système repose uniquement sur la générosité des téléspectateurs... ». Ces scientifiques qui sont pour la science européenne ce que sont les Jedi au monde de StarWars ajoutent « Le Téléthon repose sur un malentendu. L’argent récolté sert à la recherche alors que la recherche n’a pas pour but immédiat de soigner mais de comprendre. Si la connaissance contribue au traitement des maladies, il n’y a pas néanmoins de lien direct entre les progrès de la recherche et les progrès thérapeutiques... Le SNTRS continue « Un bilan s’impose concernant l’efficacité de la recherche structurée par la charité télévisuelle. Rapporté aux espoirs suscités, aux sommes investies, le bilan des programmes de l’AFM aux noms ambitieux - « Grande Tentative », « Nouvelle Frontière » - est plutôt mince. Chaque année les sommes récoltées par le Téléthon sont équivalentes, voire supérieures, à ce que l’INSERM alloue, de façon très insuffisante, à ses formations de recherche pour l’ensemble de ses disciplines (hors salaires). » . Toujours avec une conviction éthique sans faille, le groupe de réflexion du SNTRS se permet de remarquer : « Les sommes disproportionnées du Téléthon contribuent à déséquilibrer le système de recherche. La vision du Téléthon est somme toute assez sommaire, les progrès dans l’avancée des traitements de ces maladies ne peuvent venir exclusivement de la thérapie génique, ou cellulaire, mais dépendent de l’avancée de l’ensemble des champs disciplinaires des sciences de la vie. Or la politique autoritaire de pilotage des recherches menée actuellement par le gouvernement va à l’encontre de cette nécessité/Avec le Téléthon, les risques inhérents à toute recherche sont assurés par la générosité des donateurs, mais en cas d’avancée thérapeutique l’industrie pharmaceutique saura s’approprier ces avancées et les faire fructifier. En lisant ces propos, j’ai également été surpris de voir que bon nombre de ces idées étaient partagées par des courants écologistes et notamment par le père des bébés éprouvettes, Jacques Testard. Comme ces chercheurs intègres ont l’habitude de ne pas transiger avec l’éthique et la condition sociale des jeunes chercheurs... Ils interpellent à nouveau « Sous prétexte d’aide à la recherche, les sommes récoltées servent également au financement du travail précaire sous forme de « bourses » allouées à de jeunes travailleurs scientifiques ». En gros, le TELETHON participent à la paupérisation des jeunes chercheurs... vivant moi-même le chômage de longue durée et étant microbiologiste, cet argument est plus que convainquant.

Mais, toutes ces considérations me paraissent désuètes face au problème de fond qui est posé par la machination de quelques intégristes contre le TELETHON. L’AFM est un des rares organismes qui dès son origine avait basé son activité sur une rigueur financière exemplaire alors qu’à l’époque une génération de scientifique fermait les yeux sur les gabegies de l’ARC. Le TELETHON est un des rares à avoir donné un état de visibilité et de dignité aux handicaps que le citoyen moyen refuse de voir tout le reste de l’année. Cet ouvrage collectif a œuvré magistralement à ouvrir des « réticences collectives à donner pour demain » alors qu’il est plus aisé inconsciemment de donner à une œuvre qui portera ses fruits rapidement car on peut alors se targuer d’une réussite visible. Aussi, de quel droit un religieux vient réclamer un droit scientifique et éthique à un organisme qui vit sur une œuvre altruiste totale et cela en brandissant une bible ou le spectre d’un tarissement du don communautaire. C’est en lisant la « Lettre sur la tolérance » de John Locke que j’ai retrouvé alors la foi en une société qui me paraissait à la merci de communautarismes ambigus. Ce texte qui prend sûrement ses racines dans les luttes religieuses vivaces de son époque a été écrit aux alentours de 1686. Il y dépeint trois types « d’idées ou d’opinions » qui sont classées en fonction de leur lien avec la religion. Il y a pour John Locke ce qui est du domaine du religieux, du domaine de la société civile et il y a un troisième domaine dans lequel il aime à mener une réflexion morale et surtout courageuse pour l’époque. Ainsi, cet auteur résolument moderne assène : « qu’il faille manger de la viande ou du poisson à certains moments ou s’en abstenir, et d’autres opinions pratiques de ce genre, ainsi que toutes les actions qui se rapportent à des choses indifférentes, celles-ci ont un droit à la tolérance que dans la mesures ou elles n’interfèrent pas avec l’intérêt public et ou elles ne contribuent en aucune manière à troubler le gouvernement ». Cette lettre sur la Tolérance est donc une base intellectuelle au respect interreligieux et à une lutte contre les spirales communautaristes. Aussi John Locke est venu cette semaine au secours du TELETHON par cet écrit multi centenaire car il pose une condition nécessaire et cruciale au débat d’opinion. Celui-ci doit se désengager de chapelles religieuses ou de sourates mal interprétées. La condition sine qua none de participer à un débat éthique est de s’exonérer que la dimension cultuelle et de se positionner autour de l’humain et de son devenir. L’inconscient collectif ne s’y trompe pas. Il a réprouvé l’idée, issue d’ailleurs d’un évêché du Sud de la France selon Fiammeta Venner (interview à la matinale de Canal+). Cette dernière est fondatrice de Prochoix (www.prochoix.org) qui, à l’instar de John Locke, a pensé brillamment les querelles religieuses de son temps. Dans ces « tirs croisés » (Edition lgf) qui veulent affaiblir la pensée moderne et mettre à mal la laïcité, rien n’est plus important que de rester vigilants face à une « Extrême France » (Edition Grasset, 2006). Le TELETHON est ce sens doit être défendu bec et ongle sur le fond de sa laïcité, et nous devons lui faire confiance pour tendre la main à des débats éthiques multilatéraux, ouverts et sereins. On peut imaginer également le TELETHON s’associer à l’œuvre du mouvement « sciences citoyennes » (sciencescitoyennes.org) pour rendre plus constructif la dynamique de communication. Je suis même certain que les scientifiques engagés dans le clonage thérapeutique seraient prêts à embaucher des chercheurs sceptiques pour les aider à une meilleure veille éthique dans le domaine. Ceci serait crucial pour l’avenir des débats sur le domaine et le TELETHON pourrait alors ajouter à son panel de réussite : le management innovant de questions scientifiques légitimement épineuses. Pour conclure, l’anniversaire du TELETHON se fait sous le ton de la polémique. Le désengagement de l’Etat vis-à-vis de la recherche conduit à ce que le TELETHON devienne un pole de responsabilité trop important. Il doit revenir au niveau d’acteur au service du chercheur et non donneur d’ordre comme l’exprime le SNTRS. Le TELETHON peut enfin ouvrir la voie à une plateforme de débats sociétaux et éthiques. Mais, si des corrections ne voient pas le jour, les intégrismes et communautarismes n’auront aucune peine à battre en brèche la recherche dans son ensemble au travers d’une AFM qui catalyse les critiques parce que l’Etat fuit ses devoirs.

Yannick Comenge


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