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kb kb 18 octobre 2018 16:02

@Popov

Je ne suis pas particulièrement adepte du discours exutoire accusant le « méchant » occident de tous les maux du monde musulman et je reste capable de distanciation pour mener une autocritique sévère à l’encontre d’une pensée islamique (et non l’islam de manière intrinsèque tel qu’enseigné par notre prophète [saw] ) battant de l’aile sous la poussée (à partir du Xe siècle) d’une autorité savante encore bien plus virulente que Ghazali que vous aviez évoqué précédemment.

les premiers siècles de l’Hégire s’étant  caractérisés par une attitude de tolérance à l’égard de la liberté d’exégèse dans le domaine religieux, ce qui présentait le risque de voir ce libre examen des écritures  donner naissance à des dizaines d’écoles de pensée islamique disposant chacune de son propre corpus théologique, les ulémas ne pouvaient que craindre de voir ce nombre se multiplier à l’infini et finalement dénaturer le message islamique originel.

La solution qui se proposa alors à l’autorité savante du Xe siècle pour parer à cette situation fut de précipiter l’établissement d’un consensus (ijmâ‘) interdisant le libre examen des Écritures ; ce consensus désigné sous l’appellation de « fermeture de la porte de la jurisprudence » (ghalq bâb al-ijtihâd) s’exprima dans la pratique par le devoir de taqlîd ou « conformisme » ; précepte impliquant de limiter l’activité du savant à l’explication et à l’interprétation du dogme tel qu’établi par les précurseurs de la pensée islamique ; à partir de là, toute velléité de novation, de critique ou de remise en doute des enseignements des Anciens allait systématiquement être taxée d’hérésie. La pensée éminemment « progressiste » dont se prévalaient les premiers docteurs de l’islam ne tarda alors plus à faire place à une nouvelle attitude de frilosité intellectuelle et de défiance collective à l’égard des sciences rationnelles, en particulier la philosophie.

L’anathème antiphilosophique devint ainsi la règle dans l’imaginaire collectif musulman et n’épargna plus aucun esprit religieux ; pour le hanbalite Ibn al-Djûzî (1114-1200) par exemple, la philosophie serait « le principal facteur ayant perverti la foi musulmane »

 Ibn al-Salah (1181-1245) ira plus loin dans l’invective en affirmant que « la philosophie est la source de l’idiotie et de la décadence, l’essence de la perdition et de l’égarement, de l’erreur et de la perversion. » Le juriste hanafite Ibn Nadjîm (1519-1562) ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare qu’il « existe plusieurs catégories de savoirs [dont] certains sont interdits par la religion : ce sont la philosophie, la magie, l’astronomie et la sorcellerie » Quel raccourci ! En arriver ainsi à mettre sur un même pied d’égalité négative la philosophie et la magie en dit long sur le niveau de décadence atteint par la pensée islamique entre le XIe et XIIIe siècle.

Mais ça n’est là qu’une  petite partie des causes ayant participé par une sorte de cloisonnement doctrinal au déclin de la civilisation islamique. De mon modeste avis, ce sont les invasions mongoles du XIIIe siècle qui sont venus porter le coup de grâce à cette civilisation qui ne s’est jamais remise de la chute de Bagdad  et de ses conséquences désastreuses en matière de destruction du  patrimoine aussi bien savant qu’économique. Ce qui a pu être sauvé fut de nouveau, en partie détruit et en partie récupéré lors de  la reconquista castillano- portugaise en péninsule Ibérique.

Juste pour dire que la décadence d’une civilisation n’est pas un  problème de gènes véhiculé par je ne sais quel effet causal de la consanguinité, une grosse aberration méprisante et raciste, mais celui d’un mouvement de tensions géopolitiques où très souvent les religions ont servi de boosters dynamiques. D’ailleurs il y a une grande similitude entre la chute de Rome sous les invasions barbares et celle de Bagdad par les mongols.

Sinon juste d’un point de vue d’honnêteté intellectuelle il n’y a pas de comparaison possible entre l’occupation de la péninsule ibérique par les arabes et la colonisation occidentale lorsque l’on compare ce que chacune a apporté en matière de développement.

Toujours est-il que la nouvelle chute de Bagdad semble fortement véhiculer un symbole messianique d’après les déclarations d’anthologie de ses instigateurs, rois d’un nouvel empire que l’on ne peut que qualifier de barbare malgré son apparence civilisée.    


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