Daniel Arasse spécialiste de la peinture de la Renaissance
italienne est l’auteur d’un livre sur Léonard de Vinci ; dans un ouvrage
consacré à la peinture du quattrocento, en quatre pages*étayées — et c’est
suffisant – il analyse cette mystérieuse Joconde.
C’est une commande de Francesco del Giocondo, un Florentin fortuné ;
il désire un portrait de sa femme exécuté par le plus grand peintre de son
temps. Cette jeune femme de vingt-trois
ans, aimée, lui a donné deux beaux enfants mâles ; c’est donc un cadeau offert,
un acte d’amour ; pourtant le portrait, commandé en 1503, ne sera jamais
livré puisque Léonard le gardera pour lui ; il n’avait plus besoin d’argent
mais il mettra quand même cinq ans à le terminer.
Arasse se replace dans l’époque. Cette peinture représente
une étape dans l’art occidental : c’est le premier sourire** digne de ce
nom. Ce sourire s’adresse au mari de Mona Lisa.
Pourquoi ne fut-il jamais livré ? C’est l’arrière-plan
et quelques détails dans le portrait qui auraient gêné le commanditaire ; à
cette époque une image souriante est incorrecte, ensuite les sourcils et les
cheveux, en quelques endroits, paraissent épilés – dans ce siècle seule les
femmes de mauvaise vie s’épilent. Ensuite le décor, rien de bucolique, mais une
réflexion imagée de la conception de Léonard qu’un tableau est cosa mentale : le décor de l’arrière-plan
n’a rien de bucolique ni de poétique, c’est une allégorie du temps qui passe et il
donne à penser que le sourire et la beauté sont éphémères, d’où un probable
refus.
Quant au regard, l’application d’un léger strabisme convergent
fait croire que le tableau vous suit des yeux ; cela fait partie du bagage
‘savoir-faire’ de tout bon portraitiste.
*Histoires de peintures – France culture/Denoël.
** Antonello de Messine a produit un Homme qui rit mais il est de profil et c’est un rictus – visible à Cefalũ/Sicile.