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dégueuloir (---.---.154.9) 2 avril 2007 16:00

Gare du Nord : le témoignage de Mohamed, 30 ans

NOUVELOBS.COM | 02.04.2007 | 08:56

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Mohamed, 30 ans, d’Argenteuil, était à la Gare du Nord mardi soir 27 mars. Il raconte les émeutes, son interpellation, et les conditions de sa garde à vue. Ni avocat ni médecin. Diabétique, Mohamed affirma avoir été privé de son insuline pendant 36 heures. Il a fini à l’hôpital, avant d’être condamné jeudi en comparution immédiate à quatre mois de prison avec sursis pour jet de projectile sur les forces de l’ordre.

Le témoignage :

"J’étais pas loin, un copain m’a appelé pour me dire que c’était chaud, qu’il se passait des trucs dans la gare du Nord. Il était aux environs de 17 heures, quand je suis allé voir avec deux amis. On a vu un cordon de CRS et de policiers en civil dans le grand hall faisant face à une bonne centaine de jeunes soutenus par des passagers, des hommes, des femmes de tous âges. Ils se sont tenus en joue comme ça pendant près de trois heures. Les gens étaient de plus en plus nombreux, le bruit avait vite couru qu’un type avait été malmené, humilié pendant un contrôle, mais on ne savait rien de plus, il se disait même que c’était un mineur. Je suis resté pour tenter de calmer les jeunes, et parce que je trouvais la situation très dangereuse : les jeunes et les policiers étaient vraiment tendus, et les passagers, vieux et moins vieux, femmes et enfants continuaient de circuler.

Il y avait un type très grand, très costaud, que j’ai reconnu, un membre de la Tribu K, qui haranguait la foule, chauffait les gamins : « On est des victimes ! ». J’ai aussi vu une petite dame âgée, venue me demander ce qui se passait, je lui ai parlé du jeune contrôlé de façon violente, elle a aussitôt levé son poing, elle s’est dirigée vers les forces de l’ordre, et elle leur a dit « li-bé-rez le jeune, li-bé-rez le jeune ! ». Les jeunes, eux, criaient : « Sarkozy, fils de ... » Et puis, les CRS ont chargé, et gazé. Tout le monde a pris.

Une autre charge nous a poussés vers les portiques qui conduisent au RER D. Là, les jeunes ont tout cassé. Moi, j’étais contre les pillages, je leur disais, « arrêtez, arrêtez ! Ca sert à rien, et en plus vous voyez pas qu’ils vous filment, les flics ! Arrêtez ! » Rien à faire... Le magasin Footlocker a été détruit par un seul gamin, tout seul, avec sa barre de fer. Il a cogné, il est rentré et je l’ai vu ressortir avec des survêtements plein les bras.

Mais le plus impressionnant, c’était les filles : elles avaient la rage, et elles étaient nombreuses, j’en ai vu une détruire toute seule le photomaton, une autre la machine à distribuer des boissons et des barres de chocolat toute seule aussi. Les charges étaient de plus en plus nombreuses, de plus en plus violentes. C’est là que j’ai pris un coup de colère. J’ai ramassé une pompe par terre devant Footlocker et je l’ai jeté sur les flics. Ils m’ont vu et je suis devenu leur cible. J’ai fait cinquante mètres en courant, mais ils m’ont rattrapé. Il était 20h15. Je me suis débattu, j’ai même arraché la matraque d’un flic. Et puis trois autres sont arrivés, je me suis retrouvé face contre terre, écrasé au sol, j’entendais un chien qui hurlait en me bouffant le crâne. Et puis ils m’ont traîné jusqu’au poste de la Gare du Nord, où je suis resté à peine cinq minutes avant qu’ils me transfèrent à rue Riquet, à la porte de la Chapelle, à l’USIT.

Pendant le voyage, dans la voiture, le policier assis avec moi à l’arrière me tapait dans les côtes avec le bout de sa matraque. A 20h40, j’étais rue Riquet, attaché à un banc. Après, ils m’ont mis à poil, m’ont demandé de m’accroupir pour un toucher rectal. Et puis, je leur ai signalé que j’étais diabétique, qu’il me fallait de l’insuline, parce qu’en période de stress, les risques de tomber dans le coma redoublent, et je les ai prévenus que je pouvais avoir des propos incohérents. Je leur ai expliqué que normalement, avant 21 heures, j’aurais du me piquer. Ils ne m’ont pas écouté, ils s’en foutaient. Ils m’ont jeté en cellule avec les autres, j’étais KO, j’avais besoin de manger au moins.

J’ai demandé mon repas. On ne me l’a jamais servi. Je suis resté 36 heures sans manger, ni boire une seule goutte d’eau. Et je n’ai ni de médecin ni d’avocat. Je sentais que j’allais de plus en plus mal, j’ai demandé mon insuline à plusieurs reprises. Ils m’ont transféré à 3 heures du matin dans la nuit de mercredi à jeudi au dépôt du palais de justice. J’ai des souvenirs troubles parce que j’allais vraiment très mal, là. Ils m’ont à nouveau déshabillé, à nouveau fait un toucher rectal. Je crois qu’ils pensaient que je simulais, ils trouvaient mon état étrange, j’avais du mal à parler.

Un médecin passait voir les prévenus, il m’a examiné, a testé mon taux de sucre dans le sang. La moyenne est normalement à 1,30 g par litre de sang après un repas. Moi, j’étais à 5g par litre de sang, là. Le docteur a aussitôt prévenu que mon état nécessitait une hospitalisation en urgence. Il a insisté. Et je sais qu’il y a seulement quelques dizaines de mètres du dépôt à l’Hôtel Dieu.

C’est pourtant à 9 heures du matin seulement que les policiers m’y ont conduit. Ils m’ont traîné jusque là-bas. J’ai été mis immédiatement sous perfusion. Ils m’ont soigné, et donné à manger. Il a fallu me réhydrater pendant quatre heures. Et puis, j’ai été ramené au dépôt, en cellule. Jusqu’à 19h30, j’ai regardé les autres partir aux comparutions immédiates, je les voyais revenir, en larmes. Le type qui est passé juste avant moi a pris quatre mois ferme pour avoir jeté une canette vide sur les policiers. Je me disais qu’avec ma basket, j’allais en prendre au moins autant que lui. Sauf que lui a dit qu’il avait agi « pour rigoler ». Moi, ce n’était pas mon cas.

J’ai expliqué que je trouvais que la police ne gérait plus du tout la situation, et que j’ai lancé la chaussure de colère, après avoir tenté de calmer les jeunes, et voyant que les flics ne cessaient de gazer tout le monde, alors qu’il y avait des passants. J’ai été condamné pour jet de projectile sur les forces de l’ordre à quatre mois de prison avec sursis. J’étais libre, jeudi, à 20h15.

Là ils m’ont proposé de me conduire à nouveau à l’hôpital, pour mon insuline. Je leur ai dit non, je voulais rentrer chez moi."

Propos recueillis par Elsa Vigoureux

(le samedi 31 mars 2007)


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