Je ne veux plus enseigner, je ne veux
plus être devant des élèves qui dysfonctionnent, qui n’arrivent
plus à se concentrer plus de dix secondes, souvent à cause de
l’abus d’écrans, des élèves en « inclusion » qui n’ont
rien à faire dans une salle de classe et qui devraient être en
hôpital de jour, je ne veux plus passer 80 % de mes journées à
faire de la discipline, à faire le flic.
Je ne veux plus enseigner, je ne veux
plus m’adresser à mes collègues qui n’ont à la bouche que leur
classe et leurs élèves et leur soumission au système Éducation
nationale infantilisant qui nous empêche de partir d’un
département pour rentrer chez nous, qui trouvent tout à fait normal
et banal d’investir de leur argent personnel dans du matériel
scolaire. Je ne veux plus de pause déjeuner à parler séances,
classes, élèves à problème dans des locaux sombres, tristes et
moches où on ne peut même pas échapper à leur présence. Tout le
temps là.
Je ne veux plus enseigner, pour ne plus
être malade de la réunionite, à se regarder dans le blanc des
yeux, à parler de sujets absurdes et inutiles (exercices
d’évacuation, papiers administratifs…), à n’évoquer qu’en
permanence les élèves qui dysfonctionnent, ceux qui ont des
problèmes de comportement et pour qui nous perdons notre temps à
chercher des solutions qui n’existent pas.
Je ne veux plus enseigner car la charge
mentale est bien trop importante et que l’abandonnisme des parents
est insupportable. Je ne suis pas éducateur spécialisé, je ne suis
pas psychologue, je ne peux pas les remplacer dans leurs devoirs
éducatifs. Je ne suis pas une machine faite pour encaisser le bruit
assourdissant de la salle de classe toute la journée.
Je ne veux plus enseigner car j’ai
l’impression de ne pas m’occuper des élèves qui le méritent
vraiment, ces enfants du 93 qui sont excellents et que l’on ne
pousse pas, dont on ne parle jamais en réunion et dont on devrait
tous ensemble rencontrer les parents afin de les pousser et les
inciter à les inscrire dans des collèges prestigieux de la
capitale, à leur parler des études qu’ils seraient en capacité
de faire mais dont le nom même n’a jamais été prononcé auprès
d’eux et ne le sera jamais. Mais quel est notre rôle ?
Je ne veux plus enseigner car je ne
veux plus préparer une classe de quatre niveaux différents le soir
quand je rentre chez moi, parce que ce métier ne me bouffera pas et
que la vie en dehors du travail est bien trop précieuse pour être
gâchée par des efforts qui n’en valent même pas le coup, pour
des parents souvent insultants et sans aucune reconnaissance, pour
une société qui nous méprise et nous traite en permanence de
privilégiés. Parce qu’après cinq années d’études et un
concours pour devenir fonctionnaire de catégorie A, je mérite bien
plus qu’un salaire à peine plus élevé que le Smic.
Je ne veux plus enseigner parce que les
programmes me semblent obsolètes et uniquement destinés à faire de
nos élèves des bons moutons bien dociles. Des programmes où la
question du réchauffement climatique ne semble pas rentrer en ligne
de compte à l’école quand on sait que ce sont nos élèves qui
vont en souffrir le plus. Des programmes où le monde extérieur est
celui des Bisounours. Mais quelle vie vont avoir nos élèves ? À
quel moment les prépare-t-on vraiment à la dureté de ce monde ?
Je ne veux plus enseigner car je ne
veux plus participer à cette grande mascarade. Parce que quand
j’aurai quarante ans, je ne veux plus être devant des élèves
lorsque la casse du service public aura atteint son paroxysme. Ce
métier n’aura pas mon âme.
Rémi Costello
https://www.marianne.net/agora/humeurs/professeur-des-ecoles-en-seine-saint-denis-je-ne-veux-plus-enseigner