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lyago2003 lyago2003 31 mai 2007 19:04

Ange était toujours en retard. Chacun s’arrangeait avec le temps et tentait d’imposer aux autres sa propre relation. Dieu s’efforçait d’organiser le sien en cohortes de sept jours, mais ce n’était qu’une vieille habitude. Ange vivait au jour le jour. . Pour tromper son impatience, il passa en revue l’ordre du jour de la réunion qu’il allait présider.

Quand une affaire était terminée, ils en mettaient une autre en chantier. D’abord, choisir la victime. Cette fois, Luc voulait « se faire » le président de la république française. Chacun était libre de faire des propositions selon ses dégoûts personnels, mais il fallait tout de même être raisonnable. Le président, c’était un gros morceau. Coupable sans doute, on ne se hisse pas au sommet de l’état sans se salir les mains, mais la culpabilité n’était pas tout.

La Société ne prenait en charge que les affaires qu’elle était en mesure de mener à bien. Luc avait parfois tendance à l’oublier dans son désir de bien faire, au risque de mettre leur vie en danger. Le président, ce serait pour une autre fois. Ange, lui, en voulait à l’ancien président d’une grande banque nationalisée. Toutes les conditions d’une mise en accusation étaient effectivement réunies : gestion inconséquente, abus de biens sociaux, enrichissement personnel, indemnité de départ injustifiée ...

Chaque français en subissait encore financièrement les conséquences. La tentation de donner à ce fonctionnaire de haut vol le châtiment qu’il méritait était forte, mais d’un faible intérêt juridique. Ce n’était après tout qu’une banale affaire d’escroquerie cautionnée par l’état, avec le contribuable dans son rôle habituel d’escroqué. Prouver la culpabilité du banquier était un jeu d’enfant que Dieu laissait à d’autres.

Seuls les jugements susceptibles de faire jurisprudence méritaient l’attention de la Société. Si Luc péchait par excès de confiance, Ange tombait parfois dans la facilité. Aussi remercièrent-t-ils le ciel de leur envoyer en pature cet Adrien Assiret, un jeune retraité de cinquante et un ans qui en avait eu assez de sacrifier les meilleures heures de pêche et de jardinage à l’instruction de ses élèves. C’était des ânes qu’il avait depuis longtemps abandonnés à leur sort en profitant de toutes les failles du système. Bon an, mal an, il était malade une semaine par mois. Grippe, migraine, déprime hivernale, poussée de sève au printemps, c’était un grand sensible. Tout cela était parfaitement légal et toléré, mais très en deçà des ambitions de l’enseignant. Il lui fallait du temps libre, toujours plus de temps libre. Il avait donc pris sa retraite officielle quatorze ans avant les autres, au prétexte qu’il avait élevé trois enfants. Si Dieu lui prêtait vie, il jouirait une longue retraite payée pour l’essentiel par le boulanger du coin. Une telle prouesse laissait Dieu rêveur, lui qui travaillait chaque jour de la semaine. Non qu’il enviât la vie étriquée de cet homme et son entêtement à ne rien faire de productif. Non, ce qui l’intriguait, c’était la passivité des uns et l’égoïsme des autres. Ce qu’il voulait comprendre, c’était comment une caste de paresseux avait fini, dans l’indifférence générale, par faire main basse sur le temps à son seul profit.

Rien de tel qu’un procès pour isoler la cause de l’effet. On entendrait les parties, on démonterait les mécanismes, on prendrait le temps de comprendre. Il lui tardait d’y être. Chacun avait sa place dans la Société. Dieu jugeait, Ange défendait, Luc attaquait. La seule fois où Luc et Ange avaient interverti leurs rôles, Dieu avait du prononcer un non-lieu pour vice de forme tant la défense semblait se réjouir des malheurs de son client. Luc ne valait rien comme avocat, mais c’était un procureur redoutable. Il fallait toute l’énergie et la créativité d’un Ange pour contenir ce prédateur né. Soudain Ange passa. Dieu lui fit un petit signe de la main et trouva enfin le mot fléché sur lequel il butait depuis le matin : en neuf lettres, « paresse régionale ».


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