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fabien cishahayo 26 novembre 2007 13:40

Chers lecteurs et chères lectrices d’agoravox

Je dois d’abord avouer que je suis burundais et que mon commentaire doit être lu en référence à ces origines, même si, du moins je l’espère, elles ne coloreront pas mon commentaire

Je dois aussi confesser que cela fait 15 ans que j’ai quitté mon pays et que je n’y suis pas retourné, en raison de la guerre qui le déchirait et qui a décimé une grande partie de ma famille. Mais le pays que décrit l’auteur de cet article n’est pas le mien, et surtout la caricature est tellement énorme que je ne peux m’empêcher de penser à Talleyrand qui disait que tout ce qui est exagéré est insignifiant

Commençons par le commencement, c’est-à-dire par le juron - Ndakenda mama. Niquer sa mère - autrement dit commettre l’inceste, est tabou comme dans toutes les cultures - demandez à Sigmund Freud. Au Burundi, nous jurons - « ndakenda mama » pour signifier que nous respecterons la parole donnée. Nous disons aussi ndakenda mwishwanje - que je nique ma nièce si je ne respecte pas cet engagement. Cela ne traduit donc pas la lubricité des Burundais, mais souligne la dimension sacrée de la promesse. Puissé-je niquer ma mère si je ne respecte pas cet engagement ! L’auteur de cet article avait besoin de cette traduction culturelle qui lui a échappé, parce que, apparemment il avait besoin d’aller vite en besogne pour décrire sa Sodome et Gomorre découverte au bord du lac Tanganyika.

La deuxième remarque qui me vient à l’esprit en lisant cet article m’est inspirée par La Peste d’Albert Camus. Je me souviens de ce père jésuite, le Père Paneloux, qui, du haut de la chaire de vérité, condamnait sur un ton péremptoire les habitants d’Oran décimés par la Peste : « Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères, vous l’avez mérité ». Devant le spectacle de la mort d’un bébé, le père Paneloux sera bien obligé de ranger ses convictions théologiques, pour reconnaître que la souffrance de cet innocent, qui s’est éteint après une longue agonie, n’était pas méritée.

Le Burundi est décimé par le SIDA et tente de sortir d’une guerre meurtrière qui a fait des centaines de milliers de victimes. Les affres de la guerre civile ont elles influencé négativement les moeurs ? Assurément, surtout que des casques bleus sont passés par là et que, l’appât de quelques dollars a pu jeter dans les pattes de certains d’entre eux, dont la moralité est élastique, des jeunes filles que la faim tenaillait.L’offre a suivi la demande.(Au Congo, il y a une centaine de procès à ce sujet)Par ailleurs, la guerre, avec son cortège de souffrances, dont la hantise permanente de la mort, a pu changer les moeurs - Éros et Thanatos ont toujours été associés.Il n’y a pas de doute que la prostitution a augmenté, comme dans tous les pays qui traversent des périodes difficiles de leur histoire.Mais tous les domiciles sont-ils des lieux de prostitution ? Toutes les femmes,mariées ou non, sont-elles des prostituées.

Mais la société burundaise est-elle aussi lubrique que ce que nous décrit l’auteur de l’article, sûrement après un court séjour au Burundi ? Je souhaite aux lecteurs du site agoravox de lire des ouvrages de sociologie, d’histoire, d’anthropologie, etc. sur le Burundi, au lieu de se fier à des articles aussi légers et aussi caricaturaux sur le pays. Les Burundais, comme tous les humains, descendent du singe, mais ils ne sont pas si proches, sexuellement parlant, de nos cousins bonobos. Et le pays n’est pas ce paradis des touristes sexuels que semble décrire l’auteur de l’article et qui apparemment fait aussi le bonheur des fonctionnaires internationaux, des employés des ONG, et des visiteurs de passage. Le pays est-il devenu un immense bordel à ciel ouvert ? C’est à peine si l’auteur ne nous a pas dit que même les couvents des bonnes soeurs sont devenus des bordels ! Je me demande comment tous ces frères humains qui nous aident à enrayer la pandémie recevraient un tableau aussi dramatique et aussi déprimant...

J’aimerais rappeler que j’ai quitté ce pays depuis 15 ans, mais que, vous vous en doutez, il ne m’a jamais quitté.Je suis régulièrement tout ce qui se passe au pays, j’écoute ceux qui en viennent, qu’ils soient burundais ou étrangers et je n’ai jamais eu vent de cette métamorphose de ma terre natale en immense bordel.Le sexe fait vendre et l’auteur a sûrement voulu accentuer le trait pour être lu du plus grand nombre de personnes possible. Je connais des tabloïds qui fonctionnent comme cela et qui se font des millions, parce qu’il y a des citoyens qui aiment la presse de caniveau

Enfin, j’ai souvenance que, dans mon pays, les femmes congolaises avaient la réputation d’être particulièrement lubriques - umushikazi - la femme mushi - un groupe ethnique congolais - était chez nous synonyme de prostituée. Mais il ne faut pas répondre aux clichés de l’auteur en lui balançant d’autres clichés à la figure.

Un accro à Agoravox

Fabien Cishahayo Prof, Université de Sudbury, Ontario Canada


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