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Marsiho Marsiho 12 février 2008 13:36

Il y a d’autres choses qu’on peut lire dans ce discours :

"Vingt ans d’efforts de la part de tous les gouvernements, avec des moyens qui ont fini au bout du compte par être considérables, vingt ans de politique de la ville, vingt ans de travail de tant de femmes et d’hommes de bonne volonté, de tant de Ministres compétents, de tant de maires ayant chevillé au corps le souci du bien public, vingt ans de travail acharné de tant d’enseignants, de tant d’éducateurs, de travailleurs sociaux, de tant d’associations qui ont déployé tant de trésors d’intelligence et de générosité n’ont pas réussi à empêcher que les fractures se creusent, qu’une forme de désespérance s’installe et finisse par devenir une souffrance". Ces propos de notre Président lors de son discours du 8 février pour présenter le plan Espoir Banlieues reconnaissent donc les efforts de tous ceux qui oeuvrent pour ou dans les quartiers. Si j’avais l’esprit retors, je glisserais perfidement que c’est la moindre des choses pour le représentant d’une mouvance politique qui a soigneusement sabré les subventions aux associations de quartier et démoli la police de proximité, pour la remettre en place aujourd’hui sous un autre nom... Mais les contradictions en politique c’est d’abord de la gestion comme l’écrivait Franz-Olivier Giesbert...

Alors ce plan Marshall des banlieues, qu’en est-il ? Tout d’abord un constat que je veux bien partager
, l’échec de la politique de la ville nous dit Nicolas Sarkozy, c’est parce que "les habitants des quartiers n’ont eu qu’un seul ministre, celui de la ville. Les autres administrations s’en sont désintéressées et les services publics ont déserté les quartiers". Oui, mais les administrations ne sont pas autonomes du pouvoir me semble t-il...
Notre Président évoque avec raison qu’il faut traiter les quartiers en les désenclavant, mais qu’il ne faut pas oublier les habitants, c’est à dire la dimension humaine qui ne doit pas disparaître sous les aspects techniques des rénovations passées et à venir. Fort bien. Mais qui diminue les budgets de l’action sociale, entraînant en conséquence la disparition progressive des postes d’assistant(e)s sociaux ? Quel est donc ce gouvernement qui a menacé une assistante sociale de poursuite en tentant de la faire transgresser son secret professionnel pour permettre une expulsion ?... N’est-ce pas le Ministère de la Ville de ce même gouvernement qui a récemment critiqué l’action des travailleurs sociaux (ce n’est d’ailleurs pas la première fois) ? Ce discours présidentiel suit donc des préceptes bien connus en politique, une application stricte des conseils de Mazarin dans le Bréviaire des politiciens ; mais qui ne cache pas aux yeux concernés plusieurs contradictions flagrantes.

A compter du 1er septembre, il devrait donc y avoir un shérif dans chaque quartier, représentant l’état et "obligeant" les différents services publics à travailler ensemble. Ce rôle était jusqu’ici celui des chefs de projet politique de la ville ; mais il est vrai que ces derniers non pas de pouvoir direct sur les services de l’état, ni sur les collectivités territoriales, ni sur les bailleurs sociaux. Ils agissent dans des comités de pilotage d’où doit sortir le consensus (mou ?) et organiser, trop souvent à minima, la participation des habitants. Un vrai donneur d’ordre ne serait donc pas malvenu. Reste à voir concrètement comment il tiendra compte du terrain et comment il ménagera, tout de même, les susceptibilités locales...

Le reste du discours se décompose en plusieurs thématiques :

L’insécurité. Voilà bien un sujet que notre président maîtrise et qui constitue son principal "fond de commerce"... La lutte contre la délinquance et les bandes organisées reste donc son credo. Pour se faire, de nouveaux moyens viennent donc renforcer ceux existants ; saluons à cette occasion le retour de la police de proximité sous un nouveau pseudonyme : les Unités Territoriales de Quartiers. En 3 ans, 4000 policiers seront recrutés. Soit 5 policiers par Zones Urbaines Sensibles (il y en a 751)... Mais l’annonce la plus étonnante dans ce domaine (sans que cela fasse bondir qui que ce soit pour l’instant), c’est la création de "volontaires citoyens de la police nationale, c’est à dire des habitants dont je veux engager le recrutement pour qu’ils s’impliquent dans la sécurité de leur propre quartier". On peut penser immédiatement à une sorte de milice... Contradiction flagrante avec cette annonce alors que dans le même discours notre Président rappelle que le premier devoir de l’Etat est d’assurer la sécurité. Alors pourquoi accoler à cette tâche régalienne une organisation de non professionnels qui risquent fort de mélanger intérêts privés et collectifs. Les seuls états dont l’histoire a retenu ce type d’organisation étaient des états totalitaires... S’il s’agit simplement de faire remonter les problèmes aux forces de l’ordre (il faut dire que le propos est vague dans le discours officiel), une Gestion Urbaine de Proximité parfaitement opérante n’a que faire de ces volontaires citoyens. On flirte ici avec des concepts dangereux et tendancieux... Cette obsession de l’insécurité reste toutefois étonnante car elle n’est pas la principale priorité des habitants (lire à ce sujet les cahiers de doléances organisés et compilés par ACLEFEU). Mais il faut bien flatter un certain électorat à quelques semaines des élections à venir... Electorat qui trouvera son compte dans les propos sur l’immigration et sur la nation... "Car la France est un pays dont on peut qu’être fier".

A propos du logement, le propos présidentiel milite pour l’accession à la propriété (il faut se souvenir qu’il souhaitait lors de sa campagne une France de propriétaires). Christine Boutin doit donc réfléchir sur ce sujet avec les bailleurs sociaux. Comment peut-on accéder à une propriété avec des minimas sociaux, je me le demande... Certes, tous les habitants des offices publics ne sont pas dans ce cas, mais s’ils avaient une autonomie financière suffisante, ils n’habiteraient pas en collectif pour la majorité. Mais bon, attendons pour voir ce qu’il sortira de cette réflexion. Autre point, la nécessaire obligation de veiller à la salubrité et la sécurité des habitats sociaux. Tâche dévolue au représentant de l’état dans chaque quartier. A noter que Nicolas Sarkozy souhaite que l’on cesse d’attribuer les logements "par communautés et par ethnies". Mais pour cela, il faut une offre de logement plus vaste, et donc que l’on commence par respecter la loi sur le parc de logements sociaux dans toutes les communes...

Concernant l’école, Nicolas Sarkozy veut "casser les ghettos scolaires en fermant les collèges les plus dégradés". Son idée est d’éloigner les élèves de leurs environnements immédiat pour les scolariser "dans d’autres écoles de la même ville". Il cite l’exemple de l’école de Oullins (commune de l’agglomération lyonnaise) qui selon sa directrice (et Fadela Amara fort impressionnée par cet exemple) est une réussite. Je pense personnellement que cette idée est effectivement très bonne pour certains quartiers ou certaines villes. Mais la question des transports va devenir encore plus compliquée qu’elle ne n’est déjà. Et qui dit compliqué, dit onéreux... Quid des moyens ? Quid d’une dotation compensatrice de l’état aux collectivités territoriales ?

Les transports justement, et particulièrement en Ile-de-France devront faire l’objet d’une distribution autre que celle connue aujourd’hui. Il est vrai que certaines situations sont kafkaïennes ! Pour faire quatre kilomètres d’une commune à l’autre séparée uniquement par une troisième qui refuse le passage de transports en commun, il faut parfois faire des détours avec trois changements et plus d’une heure de voyage ! Un véritable frein à la mobilité et à l’emploi. Oui il faut désenclaver les quartiers par la fluidité des transports. Mais là encore, quid des moyens financiers ?

A propos d’emploi, Nicolas Sarkozy veut la généralisation des Ecoles de la deuxième chance. A défaut de dégraisser le mammouth, on contourne l’obstacle... Pourquoi pas, le procédé n’est pas idiot, et ces écoles ont des bilans plutôt flatteurs. Notre Président lance également un "appel aux entreprises françaises" pour qu’elles ne refusent pas de recruter des jeunes issus des quartiers. Pas d’obligation, juste une incitation. J’ai pourtant mémoire que les Zones Franches n’ont pas donné grand chose à ce sujet... Pourquoi cela changerait-il ? Parce que notre Président le souhaite ? Il faudra également que les banques (surtout en cette période frileuse de crise) accepte d’aider ceux qui voudront créer leurs entreprises... Mais il est vrai qu’ils auront à leurs côtés des professionnels de la création d’entreprise pour les aider. Non je ne moque pas, je trouve d’ailleurs que l’on devrait trouver ces professionnels dans les centres sociaux et autres maisons de quartier. Il existe aujourd’hui des structures privées (C3 Consultants par exemple) qui se sont spécialisées dans l’insertion professionnelle et le reclassement et qui obtiennent des résultats largement supérieurs aux structures classiques (ANPE et Missions Locales). Cette carte à jouer ne peut être laissée de côté. Autre "innovation", le contrat d’autonomie. Personnellement je n’y vois qu’un dispositif qui ne diffère pas vraiment de ce que l’on a connu jusqu’ici. Les Missions Locales proposent par exemple des accompagnements sur six mois qui sont du même type... Il faudra attendre plus de renseignements pour en tirer de plus amples conclusions.

Aide toi, l’Etat t’aidera, voilà en substance ce qu’il faut retenir de ce discours en ce qui concerne l’emploi. Et "ceux qui ne veulent rien faire, l’Etat ne fera rien pour eux". Car qu’il soit bien entendu que "l’assistanat est dégradant pour la personne humaine et il la rend de plus en plus dépendante quand il s’agirait au contraire de lui donner les moyens de reconquérir son autonomie". Voilà un vrai discours de droite, vive l’effort individuel, que chacun se bouge et se sorte les doigts du c.. Certes, l’assistanat est un facteur de blocage sur le respect de l’habitat collectif par exemple. Mais tous les individus ne sont pas égaux dans notre société. Tout le monde n’a pas la force, ou tout simplement le goût pour l’entreprise individuelle. La French Way of Life, je n’y crois pas. Parce que la jeunesse par définition à besoin d’assistance puisqu’elle manque de moyens et d’expérience. Ce n’est pas un manque de confiance en elle, mais un constat. Non, assister n’est pas déshonorant, si l’on fixe dès le départ les conditions de sortie de cet assistanat. Deux choses dans notre société poussent à l’individualisme forcené : le capitalisme bien sûr, mais également l’essence même de la démocratie (lisez Tocqueville pour comprendre). Face à cela, on proposerait encore plus de chacun pour soi ? Certains jeunes des cités ont bien compris qu’en étant fragilisés seule l’organisation et l’assistance collective pouvaient leur donner l’avantage. Malheureusement, ils n’utilisent ce mode que pour les règlements de compte entre bandes. Ce qui prouve toutefois qu’ils ont conscience de cette force collective. N’est-ce pas cette piste sur laquelle il faudrait faire plancher sociologues et professionnels ? Voilà ce que pourrait être la vraie "révolution des mentalités, une révolution des comportements, un changement profond dans nos priorités et dans nos méthodes". Une société à venir qui ne soit pas ancrée dans le jouir de tout tout de suite que pratique notre président, lui qui attaquait pourtant dans sa campagne électorale l’héritage de Mai 68... Mais une contradiction de plus ou de moins... Il gère...

Le reste du discours est suffisamment éloquent pour que chacun puisse avoir l’impression d’être pris en compte. Mais à la relecture reste surtout un sentiment d’empilement de bons sentiments mâtinés d’une certaine utopie. Que ce soit concernant la diversité (mais quelles mesures concrètes ?) ou la vision de villes à reconstruire qui "est un enjeu de civilisation", rien sur les financements, rien sur une articulation concrète, aucun calendrier, juste des promesses qui n’engagent, on le sait trop bien maintenant, que ceux qui veulent bien y croire. Par contre, ce qui est bien réel entre les lignes, c’est l’attaque contre les services publics et ses fonctionnaires : "Pourquoi ne pas envisager des postes qui sortiraient des catégories de la Fonction Publique ?" ; plus loin : "Pour financer quatre ballons de football, il n’y a pas besoin d’une commission réunissant 15 fonctionnaires ?" (je suis curieux de savoir où cela se pratique...) ; ou encore "C’est un nouveau service public d’excellence (Sarkozy adore ce terme) qui sera mis sur pied au coeur des cités dès le mois de juin". Il entend par là un service public dans lequel le privé dirigerait les opérations... Bref, les fonctionnaires sont des nuls... Ils apprécieront, et moi également même si je ne suis que contractuel.

Autre détail un peu intriguant (mais là je coupe les cheveux en quatre), cette manière de présenter les responsables de son gouvernement : Xavier Darcos, Christine Boutin, Michelle Alliot-Marie, Christine Lagarde ou Brice Hortefeux (cachez les clandestins !) avec prénom et patronyme, même si ils sont cités plus d’une fois ; mais quand il s’agit de la secrétaire d’état chargé de la politique de la ville ; de la secrétaire d’état aux droits de l’homme ou de la ministre de la justice, elles deviennent dans le discours Rama, Fadela et Rachida... Condescendance pour ces femmes issues des générations de l’immigration ? Machisme ? En attendant, je trouve cette différenciation assez malheureuse. Oui Nicolas Sarkozy est le premier président à avoir laissé une chance d’apparaître au premier plan à ces femmes capables et travailleuses, mais si c’est pour les considérer ensuite avec une sorte de "paternalisme" déplacé ; à quoi bon ? Je serais ces dames, je serais furieuse... Comme quoi Rage, voir les femmes autrement n’est pas gagné...

Voilà la fin de cette analyse sans prétention et uniquement subjective. Alors ce plan qui se voulait ambitieux ? Sur le sondage que j’avais proposé sur mon site il n’y avait (sur 30 réponses) que 17% à croire en ce programme. Je ne vois pas aujourd’hui ce qui permettrait de faire croître ce pourcentage. Faut-il rester optimiste ? Bien sûr ! Mais pas dupe... Surtout avant les élections municipales... A bon entendeur, salut. Oups ! J’allais oublier ! Savez-vous comment tout cela sera évalué ? Moi non plus. Mais ce qui est sûr, c’est que comme le Conseil Interministériel à la Ville devra examiner les avancées des travaux "quartier par quartier", ce qui est dur à imaginer sans un travail fastidieux, lourd et "chronophage" pour les acteurs de terrain, la tendance risque fort de faire en sorte d’évacuer certains quartiers du dispositif. Ce qui est annoncé clairement en page 4 du discours : "En 2009, lorsqu’il s’agira de les renouveller, il faudra bien se demander si les 2200 quartiers bénéficiant de ces aides exceptionnelles sont tous en difficulté". Qu’est-ce que je disais moi déjà ? Ha oui ! A bon entendeur, salut...

 


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