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brieli67 14 mars 2008 07:58

 Le bon vin n’intéresse pas les spéculateurs, car il faudrait le payer. Alors chez nous on dit : " La bistrouille pour le consommateur, le bon vin pour la chaudière ". En 1975,11 millions d’hectolitres ont été brûlés. C’est la logique du capitalisme.

Georges Sutra est viticulteur. Responsable des questions viticoles à la commission agricole du P.s., membre du Comité directeur du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), il est également vice-président d’une des caves coopératives de l’Hérault. Pour lui, la « crise viticole » existe. Et iI la raconte.
 « Vous pouvez le mettre à la chaudière, votre diplôme. Tout comme la médaille. Ils y retrouveront notre vin ». Les trois fonctionnaires de la Direction départementale de l’agriculture de l’Hérault qui, en avril dernier, sont venus à la cave coopérative de Tourbes nous porter notre médaille n’en sont pas encore revenus de notre accueil. Pourtant cette médaille, elle nous avait fait plaisir. Depuis 1936 — c’est à ce moment-là que la cave a été créée — des médailles, nous en avons collectionné. Toutes pour le rouge. Les diplômes sont accrochés aux murs de la coopérative. Alors, en avoir un pour le blanc, cela nous a fait plaisir.
 Seulement, ce vin, classé « vin de pays » nous est resté sur les bras. Il avait tout pour plaire : cépage recommandé, faible rendement, exempt d’hybrides. Il titrait 12°. De surcroît, notre médaille de bronze au concours régional agricole nous avait fait espérer pouvoir vendre les 4.500 hectos de la récolte. En mai, pas une goutte n’avait été écoulée. Toute la récolte était bonne pour la distillation. Alors, en juin, nous avons . convoqué quelques courtiers « On vous le vend au prix de la distillation. Si vous pouvez en sauver un peu, ce serait bien, on préférerait qu’il se boive. » On en a « sauvé » la moitié.
 Notre commissaire aux comptes a eu moins de chance que nous. Coopérateur partiel, iI avait dans sa cave une cuve magnifique. Pleine d’un vin fait à partir de raisin de Grenache, d’un rouge très beau, titrant 12,40 et d’une dégustation parfaite. Il n’a rien vendu. Tout est passé à la chaudière. Tout !
 Oh ! bien sûr, il y a des vins moins bons dans le Midi. Mais, paradoxalement, ce n’est pas avec ceux-là que l’on a le plus de problèmes : ils se vendent en général très bien. C’est le bon vin qui n’intéresse pas les spéculateurs. Le bon vin, il faudrait le payer. Alors, comme l’on dit chez nous, « la bistrouille pour le consommateur, le bon vin pour la chaudière ». Et, croyez-moi, on en a brûlé du vin. En 1975, 11 millions d’hectos ! C’est la logique du capitalisme...
 Question simple : pourquoi les viticulteurs des Corbières et du Minervois sont-ils parmi les plus « enragés » ? Réponse : parce qu’ils font de la qualité ! Parce qu’ils sont capables — comme moi sur mon coteau, comme tous les membres de notre coopérative — d’avoir cru que la qualité se vendrait, d’avoir aimé leur métier et son produit. Aujourd’hui faire de la « qualité », c’est courir à la ruine.
 Le mécanisme est simple. Le « vin de table » est taxé. Les marges du grand commerce, de ceux que l’on appelle les « litreurs », sont calculées par le service de la direction des Prix, au ministère des Finances, sur la base d’achats effectués au prix d’orientation communautaire. Pour la campagne 1974-1975, ce prix était de 10,44 F le degré-hecto. Le prix de vente étant fixé, pour faire de gros bénéfices il faut peser sur les prix d’achat : en 1974-1975, les vins du Midi se vendaient 9 F le degré-hecto. Or, les vins d’Italie arrivaient à Sète, frais d’aconnage et de dédouanement payés, à 8,07 F le degré-hecto. Et, petit détail, les importateurs touchaient, au titre des montants compensatoires, 0,77 F par degré-hecto. Ce qui leur permettait d’obtenir du vin à 7,30 F le degré-hecto.
 Détail technique piquant, ces montants appelés « compensatoires » ne compensaient en rien les différences entre la lire et le franc. Bien au contraire, ils s’ajoutaient aux « variations » de la lire pour accroître la marge du négociant. Un vin acheté en Italie 1.200 lires en 1973, coûtait à l’époque 11 F au négociant français. Par le seul fait de la chute de la monnaie italienne, le même vin ne « coûtait » plus que 8 F en 1975. Or, pendant ce temps-là, qu’à fait Jean-Pierre Fourcade ? Pour la seule année 1975, il a augmenté trois fois le prix de vente au détail. Le consommateur a payé, les négociants ont fait un peu plus de bénéfices. Et les viticulteurs ? La majorité d’entre eux n’ont pas reçu un centime de plus. Mieux : ils ont vendu un peu moins de vin.
 Cette année, les choses sont simples. La récolte a été de 66 millions d’hectos. Les besoins sont chiffrés à 70 millions. Pas de problème, pourrait-on penser ? Eh bien ! oui. Des problèmes, il y en aura, car on importera au bas mot 9 millions d’hectos d’Italie. Résultat : il faudra distiller du vin produit en France. Or, le gouvernement s’interdit d’importer lui-même, ce qui permettrait de moraliser le marché, d’éviter la spéculation. Comme l’on dit à la coopérative : « Si les viticulteurs défendent l’Etat, le gouvernement lui défend les spéculateurs ".Car, sous la pression des viticulteurs, il devra autoriser, après avoir permis aux grandes firmes de faire des bénéfices fabuleux, la distillation de bon vin. Ce qui coûtera plus cher aux contribuables. Même si les « revenus » de la distillation sont insuffisants pour les petits producteurs, il faudra bien, au bout du compte, que le consommateur paie. Après avoir bu du « mauvais » vin.
 Voilà ce que l’on dit dans ma coopérative. Avec quelques petites autres choses. En particulier sur les moyens de sortir de la crise. Car ces moyens existent. Un Office des vins du type de celui proposé par le Parti socialiste permettrait de casser la logique de la spéculation, la remplacerait par celle de l’intérêt général.
 Dans le Midi, il n’y a pas que les viticulteurs qui sont en colère. Jeudi, pour la journée « villes mortes », toute la population a montré ce qu’elle pense d’un Pouvoir qui la méprise. Les viticulteurs n’étaient pas seuls dans la rue. Il y avait les ouvriers, les fonctionnaires, les enseignants. Et ce n’était pas, comme on pourrait le croire des défilés dans la confusion, patrons et ouvriers, viticulteurs et négociants confondus. Ici on ne se bat plus contre Simon de Montfort. Mais contre le capitalisme.
 Le monopole du vin : une histoire de (grande) famille
 Pour la majorité des consommateurs, le vin c’est d’abord les grands crus, ceux dont on parle mais que l’on boit rarement. Puis ce sont les viticulteurs. Entre la grappe et le verre, à part les « entrepôts », Bercy, iI n’y aurait rien. Et pourtant ! Entre le consommateur et le vigneron, il y a quelques « gros », cachés dans la forêt des marques, des sous-marques, des réglons et des crus. Et, là comme ailleurs, ils méritent le nom de monopole. Car tout commence et tout finit par quelques banques.
 1957. Naissance de C.d.c. (Compagnie générale Dubonnet-Cinzano). Le sigle cache les groupes Pernod et Cusenler. Et, derrière ce dernier. II y a la Banque de l’Indochine. La branche vin du groupe, D.m.s. (Diffusion des marques sélectionnées), vend, depuis 1954 le Préfontaines. Le P.d.g. de la dite branche a quelques relations : Marc Hanrion est le beau-frère de Valéry Giscard d’EstaIng... Les liens de la Banque de l’Indochine avec le groupe Schneider sont connus. Or, Anne-Aymone Giscard d’EstaIng est... une petite-fille Schneider.
 1964 : D.m.s. poursuit son ascension : il rachète la maison Combastet qui, avec les Vins du Postillon, était le n° 1 des « livreurs » avec 10 % du marché. 1966 : c’est le tour delà marque Grap de passer sous la coupe de D.m.s., qui passe des accords avec B.s.n. (verriers) et avec les groupes américains Grâce et Seagram, le leader mondial du whisky.
 En 1967, un autre grand groupe se constitue. La Société des vins de France (S.v.f.) regroupe Margnat, Gévéor, Kiravl. Derrière le groupe, la Banque de Paris et des Pays-Bas. Et, sur la lancée, le nouveau groupe prend le contrôle de Primistère. 1970. C’est le temps des négociations. Quelques mois suffisent pour que la D.m.s. et S.v.t. arrivent à un accord. La nouvelle société gardera le nom de S.v.f., mais le beau-frère de Giscard d’Estaing sera remplacé, au poste de P.d.g., par l’oncle de J.J.S.S... L’opération se fait grâce au Crédit mutuel agricole. Par une filiale, l’Union d’études et d’Investissements, la « banque des paysans » réussit à tourner la loi et à financer des Industriels.
 En 1975, le groupe, sous la houlette de la Banque de l’Indochine, de la Compagnie financière de Suez — qui vont fusionner — et de la Banque de Paris et des Pays-Bas, contrôle un nombre de firmes impressionnant : Pernod, Cusenier, Suze, Byrrh, Dubonnet, Cinzano, Préfontaines, Grap, quelques cognacs et quelques liqueurs, le Postillon, Gévéor, KIravi, Margnat, Les Maîtres Vignoux, Primistère. Il est devenu un des plus gros actionnaire de Nicolas et iI faut ajouter Ricard à son palmarès. Au total, la seule S.v.f. possède 11 usines de mise en bouteille et a fait, en 1974,963 millions de chiffre d’affaires. L’ensemble du groupe fait plus de 3 milliards, dont les deux tiers pour les vins.
 Au passage, la plupart des négociants locaux ont disparu. Ceux qui restent sont devenus les vassaux d’une des grandes firmes du groupe. Et la région a perdu le contrôle de son principal produit
 Les coopératives — et celles de la région passent pour être le plus fort mouvement coopératif du monde capitaliste—se heurtent au contrôle, d’une poignée de gros actionnaires. Si elles représentent 63 % des vins produits dans la région, elles n’arrivent qu’a commercialiser « directement » 3,5 millions d’hectolitres sur les 23 millions qu’elles produisent. A peine autant que la S.v.f. en 1970. C’est dire si, dans le cadre de la législation actuelle, il est utopique d’espérer que les coopératives puissent concurrencer les monopoles du type de la S.v.f. Car, pour les groupes qui dominent le marché, le vin est « noyé » dans un ensemble de production. Les mêmes contrôlent la bière, les boissons gazeuses, l’eau de table, c’est-à-dire des boissons » industrielles ». Et II est plus facile de contrôler la production de ces dernières : produit toujours Identique, sans problème de stockage et sans l’inconvénient majeur de dépendre d’une masse difficilement contrôlable, les viticulteurs.
 On comprend que ces firmes, qui cherchent avant tout à faire le maximum de bénéfices avec
 le produit le moins cher, évitent de mettre sur les marchés étrangers « leurs » vins en concurrence avec les autres boissons qu’elles contrôlent. Au passage, cela condamne le port de Sète. Donc, les dockers, les marins, etc.
 Et la loi est faite pour maintenir leur position. Un exemple suffira. Un viticulteur peut mettre son vin en bouteille et le vendre. Si des viticulteurs groupés dans une cave coopérative mettent leur vin en bouteille, pour le vendre iI leur faut payer une taxe professionnelle. Un « viticulteur » qui produit 50 000 hectolitres—cela existe — même s’il dépend d’une société par actions ne paiera pas cette taxe. Une cave coopérative produisant la même quantité, oui ! Ce détail est révélateur des réalités du marché. Après cela, parler de « l’organisation du marché » relève plus de l’escroquerie que d’autre chose. Les banques qui ont pris en main la commercialisation du vin ne s’Intéressent pas qu’à lui. Tout comme l’ensemble des Industries agroalimentaires, elles cherchent à « travailler » sur des produits bon marché. Donc, elles font acheter les vins malades, les vins de presse, coupent le tout avec des vins « médecins » achetés à l’étranger, là où le taux de change les favorise, où les paysans ont un niveau de vie plus bas qu’en France. Quitte à faire boire « n’importe quoi » aux consommateurs. Voilà à quoi aboutit l’histoire d’une monopolisation.


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