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Abolab 19 mai 2008 15:13

DIMENSIONS POLYSEMIQUES DES OBJETS ARCHEOLOGIQUES : LES CRANES « AZTEQUES » EN CRISTAL DE ROCHE

Les objets archéologiques produits par les sociétés non-européennes gardent une part de mystère supplémentaire en raison de la distance culturelle qu’ils ont avec nos connaissances et nos fondements culturels. Le cas des crânes « aztèques » en cristal de roche illustre d’une façon originale cet aspect des recherches archéologiques sur les civilisations préhispaniques du Mexique.

Si l’on connaît pour le XVIIle siècle quelques rares collectes d’objets archéologiques des cultures préhispaniques, c’est l’expédition d’Egypte de Bonaparte qui contribuera à l’établissement d’une archéologie scientifique des cultures de l’Antiquité périméditerranéenne. Quant à l’archéologie américanisme, elle n’a commencé à se développer en France, comme discipline scientifique, il n’y a que 130 ans. Ceci explique peut-être le retard pris vis-à-vis de ses prestigieuses consœurs que sont l’égyptologie, assyriologie ou l’hellénisme.

Dans le dessein de faire connaître aux français les productions matérielles des cultures préhispaniques, une commission scientifique française dirigée par Eugène Boban-Duvergé collecta au Mexique à partir de 1860 des séries représentatives d’objets. L’ensemble rapporté en France fut exposé en 1867 au Ministère de l’Instruction Publique (ancêtre de l’Education Nationale). Cet ensemble comptait déjà 2 petits crânes en cristal de roche, l’un (n°M.H.78.1.216), ayant pour origine « Mexique » (Ht : 19mm x L : 24mm) ; l’autre (N°M.H.78.1.217) ayant pour origine « Pachuca, Et. d’Hidalgo ». A la clôture de la présentation, l’ensemble fut acheté par le collectionneur Alphonse Pinart, ami de Etienne-Théodore Hamy, directeur-fondateur du Musée d’Ethnographie du Trocadéro. Pinart offrit, en 1878, sa collection pour l’inauguration de ce musée. Entre-temps, Pinart avait beaucoup voyagé (Océanie & Amériques) et avait augmenté le volume de sa collection, l’étendant à l’ensemble des cultures archéologiques et ethnographiques des Amériques (don de 3146 pièces américaines et 250 d’Océanie). Sous le n°57 de la collection américaine (n°M.H.78.1.), est enregistré l’un des objets les plus étonnants de la collection Pinart. Il s’agit d’un crâne humain sculpté dans un bloc de cristal de roche transparent (Ht : 11 cm x L : 15 cm ; pds : 2,750kg). Ce crâne, outre sa présentation permanente dans les salles d’Amériques du Musée de l’Homme, a fait l’objet de plusieurs publications et a été régulièrement prêté pour des expositions temporaires en France et à l’étranger. Mais l’origine de ce crâne reste mystérieuse. On ne sait ni où, ni comment, Alphonse Pinart en a fait l’acquisition…

En 1898, nationalisme aidant et peut-être pour ne pas être en reste, le Muséum of Mankind de Londres faisait l’acquisition pour 120 Livres anglaises, chez Tiffany’s à New York, d’un autre crâne en cristal de roche. L’origine de ce crâne longtemps présenté comme « aztèque » est aussi floue que celui de la collection Pinart.

Pourquoi a t’on considéré ces crânes comme « aztèques » ? Le matériau cristal de roche était connu des populations préhispaniques. L’archéologie en témoigne et dans les listes de pierres précieuses du Codex de Florence, on trouve mention du Teuhilotl qui est décrit au paragraphe des gemmes héliaques comme « blanc, très transparent, très claire, certains sont voilés, denses » et « II est extrait des mines ». L’appellation Nahuatl est formée du préfixe « Teu » qui en composition signifie « divin » et du verbe « iloti » traduisible par « décroître, retourner sur ses pas » ; Teuhilotl signifierait « Le divin décroissant ou le divin qui retourne d’où il vient ». Par les chroniques du XVIe siècle, on sait que l’usage du teuilotl était très codifié. Seuls pouvaient l’arborer les dieux et le tlatoani lors de cérémonies. Les Informateurs Nahuas de Sahagûn parlent de costumes de danse incluant des labrets en iztacteuilotl (Cf. 1954, LVIII, chap.9, pp.27-28). Quant à la couleur blanche, elle était pour les Aztèques la couleur de l’Ouest, direction où le Soleil se couche mais aussi d’Aztlan, le pays blanc, lieu d’origine mythique de ce peuple. Le blanc est encore la couleur de la vieillesse, des os des morts et du sacrifice humain. Il n’est toutefois pas possible, sur la base de cette maigre description de certifier que le cristal de roche correspond strictement à l’appellation Teuhilotl.

Ensuite, quelle est la place du crâne humain dans la religion nahua ? A l’époque de l’apparition de ces premiers crânes en cristal de roche, ce qui était le plus connu de la religion nahua est l’usage « quasi-industriel » du sacrifice humain chez les populations de Méso-Amérique et en particulier chez les Aztèques. Les chroniques du XVIe siècle abondent en détails sanglants sur la pratique, sans toutefois s’interroger sur ses nécessités. Ainsi après avoir eut le cœur arraché sur le techcatl, la pierre des sacrifices, la victime était précipitée au bas du temple où on lui coupait la tête. Cette tête était ensuite percée par les temporaux, enfilée sur une perche et exposée au milieu d’autres sur un édifice cérémoniel, le tzompantli (le lieu des bannières). Elle s’y décomposait doucement au soleil, composant un entassement ostentatoire manifestant le pouvoir aztèque. Le conquistador Andrès de Tapia dit avoir compté 136.000 têtes sur l’un des tzompantli de Mexico. Par ailleurs une légende mexicaine dit qu’il existerait 12 de ces crânes en cristal de roche caché à l’époque de la Conquête et que le jour où ces 12 crânes seront retrouvés et regroupés ; alors l’empire aztèque renaîtra de ses cendres... Cette légende tintée de romantisme n’apparaît malheureusement pour ceux qui y croît qu’au XIXe siècle, il est donc difficile de lui attribuer une quelconque authenticité.

Objets des anciennes collections, les crânes en cristal de roche du Musée de l’Homme et du Muséum of Mankind s’intégraient fort bien à ce contexte historique de la redécouverte du passé préhispanique. Mais un premier détail ne coïncide pas. Tapia mentionne que les crânes des tzompantli étaient enfilés par les temporaux. Cette technique d’enfilage est confirmée. Lors des fouilles du Temple Mayor de Mexico, les crânes humains découverts étaient effectivement percés de cette façon. Alors pourquoi le crâne du Musée de l’Homme est-il percé verticalement par le milieu ! Autre élément contradictoire, aucun crâne en cristal de roche n’a été trouvé en fouille scientifiquement contrôlée au Mexique à ce jour ; même dans les nombreuses caches à offrandes du Temple Mayor des Aztèques. Seul Frederick Albert Mitchell-Hedges proclame avoir découvert un tel crâne lors de ces fouilles sur le site maya de Lubaantun au Belize. Il aurait découvert œ crâne le jour des 17 ans de sa fille, Anna, qui le conserva jusqu’à sa mort. Dans le Who’s Who de 1928, la notice consacrée à Mitchell-Hedges est éloquente :

Explorateur et écrivain né le 22 Oct. 1882 a dévoué sa vie à l’exploration et à la recherche dans les grandes profondeurs marines en Amérique centrale, dans les Caraïbes et le Pacifique. Nombreux records mondiaux de capture de poissons géants ; a pénétré dans des zones reculées du Panama en 1922-23 où il a découvert une nouvelle race humaine. Plusieurs expéditions au Belize où il a découvert une cité maya...

Sur le site Internet de la The Crystal Skull Society, International (www.crystalskullsociety.org) fondée en 1945 par un New-yorkais du nom de Nick Nocerino fasciné par ces crânes en cristal de roche. Nick explique avoir rencontré Anna Mitchell-Hedges et retracé l’histoire de ce crâne. Selon Anna M-H., après à voir passé 6 semaines à déplacer des blocs et des débris des monuments du site de Lubaantun, le sommet du crâne apparu dans les ruines d’un temple. 3 mois plus tard, la mâchoire inférieure fut découverte dans le même édifice. Les dimensions sont : ht : 5 et 3/16 pouces x largeur : 4 et 7/8 pouces x longueur : 7 et 7/8 pouces ; poids : 11 livres, 13 onces.

Mais des éléments contradictoires ont surpris Nick qui a mené sa propre enquête et découvert qu’un crâne aux dimensions similaires avait été proposé à l’achat en 1936 au British Muséum par un dénommé Burney. D’ailleurs aucune photo du crâne de Mitchell-Hedges n’est connue avant 1943, Anna M-H prétextant que toutes les photos prisent lors des fouilles de Lubantun ont été perdues lors d’un chavirage de la barque au retour de la fouille...

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Je suis impliqué depuis plusieurs années dans des programmes d’archéologie subaquatiques aux Antilles (Rép. Dominicaine, St-Kitts et Keys de Floride). Ce milieu est riche en chasseurs de trésor et en personnages haut en couleur ou la méfiance, le non-dit et une certaine paranoïa ambiante règne en maîtres. Membre d’une institution nationale, j’ai été consulté il y a quelques années à propos d’une découverte « fantastique ». Un chasseur de trésors américain bien connu que je ne citerai pas, proclamait avoir découvert l’épave d’un galion renvoyé par Cortès en Espagne. A l’appui de ses dires, une chevalière portant les armes du conquistador. La cargaison remontée est effectivement surprenante : nombreux objets colombiens et péruviens en or, céramiques des cultures Nazca, Chancay, Chimu, Lambayeque, lingots d’or espagnols, bijoux européens et des kilos de cristaux d’émeraude, un énorme trésor en apparence. Là où cette cargaison fantastique commence à pêcher par excès, c’est avec la présence de masques funéraires de style aztèque en mosaïque de roche verte, peut-être du jade-jadéite. Ce type d’objets est totalement inconnu en fouilles scientifiquement contrôlées et même dans le Templo Mayor. Mais là où tout explose c’est avec la présence de dix crânes en cristal de roche, quartz rose, améthyste et même un, en mosaïque de roche verte… La présentation de l’ensemble est faite à grand renfort de publicité et destinée à être vendu très cher aux enchères.

Malgré tous les voyants qui se pressaient au Musée de l’Homme pour continuer d’admirer le crâne « aztèque » en cristal de roche, il faut se rendre à l’évidence que ce type d’objet n’a aucune antériorité préhispanique. Il s’agit de faux inventés au XIXe siècle pour satisfaire la demande des collectionneurs de l’époque. Concernant particulièrement le crâne du Musée de l’Homme, des indices viennent corroborer mon affirmation. En particulier le fait que le cristal est parcouru de cassures internes naturelles mais là où l’outil des tailleurs a recoupé ces cassures, un jus ferreux a pénétré alors qu’il est absent au cœur de la matière. Ce détail signifie que ce crâne a été taillé avec des outils en fer. Malheureusement ce métal était inconnu des populations préhispaniques avant la Conquête ! Il n’y a donc pas de crânes de cristal de roche authentiques connus à ce jour et les faux de l’épave de Floride ne sont que des copies d’objets inventés au XIXe siècle.

Dr François Gendron Archéologue américaniste Département Préhistoire du MNHN, USM-204 UMR-CNRS 5198 « Histoire naturelle de l’homme préhistorique » EA 3629 « Centre de Recherche en Archéologie Préhispanique » Anglo-Danish Maritime Archaeological Team scientific member Vice-président d’ADMAT-France Institut de Paléontologie Humaine 1, rue René Panhard 75013 Paris


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