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Senatus populusque (Courouve) Courouve 2 mai 2009 14:33

La baisse du niveau moyen d’études est occidentale et pas seulement française (1), et confirmée par l’évolution des programmes du secondaire vers la simplification et par la quasi-disparition des démonstrations dans le cours de maths, cours lui-même mis en forme dogmatique et réduit au minimum, ceci bien avant les propos légers de Claude Allègre sur une supposée dévaluation des mathématiques (2) ; les programmes indiquent que la plupart des résultats doivent être admis ; ajoutons-y la profonde détérioration des méthodes de travail des lycéens et étudiants (notamment, en France au moins, le morcellement du « contrôle continu », des DST (« devoirs sur table » - comme si chez eux les élèves travaillaient dans leur lit ...) et des partiels, qui remplace les anciennes compositions trimestrielles et les examens traditionnels. En résumé, cette dégradation intellectuelle (et morale car souvent associée à diverses formes de fraude) des méthodes consiste en ce qu’aujourd’hui, dans les établissements scolaires :

 

a) On apprend, plus que l’on ne prend le temps d’étudier ;

b) On révise encore plus que l’on n’apprend ;

c) On révise les exercices, les sujets qui ont des chances de sortir ..., plus que l’on ne révise les exposés des professeurs, « le cours » (non appris …)

 

Tout ceci traduit un désintérêt important pour les études proprement dites (« faire des études » n’a plus du tout le même sens que jadis), qui sont trop souvent considérées uniquement sous l’angle utilitaire du diplôme et de l’emploi, bref de l’intérêt économique. D’ou l’étonnement des étudiants en première année d’économie, lorsqu’ils apprennent que l’éducation nationale est une institution politique qui ne relève pas du marché, c’est-à-dire d’un dispositif par lequel acheteurs et vendeurs échangent des marchandises ou des services. Ironie du sort, la « fausse monnaie intellectuelle » se transforme en « fausse monnaie sociale » (3). Les procéduriers de la pédagogie proposent de prendre acte de l’existence d’un nouveau « public » dans les classes « des quartiers », et de « changer de paradigme », c’est à dire de remplacer l’enseignement par l’apprentissage, la Culture par une culture commune qui n’est qu’un nivellement par le bas (et les termes professeur/élève par ceux d’enseignant/apprenant), l’école et la culture traditionnelles doivent plier devant le « fait brut » qu’une partie de son nouveau « public », précisément celle qui produit des interpellations du genre

 

« Balzac ? C’est qui, ce mec-là ? » (4)

 

n’est pas (ou ne serait pas) accessible à l’instruction intellectuelle. Mais ce « fait brut » est loin d’être acquis, à moins de supposer l’existence d’un gène bourgeois de la culture, et le mépris actuel des œuvres n’a rien de définitif. Demander un peu de considération, de respect pour ces œuvres qui sont le meilleur de l’humanité, et pour ceux qui les présentent aux jeunes générations, a été interprété, au marxiste C.N.R.S., comme une exigence de « petit bourgeois » … (5). La politique à courte vue de l’adaptation, de toutes façons, ne produit que des résultats déplorables dont on ne tire pas les leçons. Comme l’a dit fort ingénument François Dubet à propos de ces réformes passées et futures,

 

 « jusqu’alors, nous avons échoué, mais il faut aller encore plus loin » (L’Humanité, 22 mars 1999) (6).

 

1. Voir pour les U.S.A. les travaux de Christopher Lasch, notamment The Culture of Narcissism, 1979, réédité en 1991 ; dans le chapitre VI, « Schooling and the New Illiteracy », on lit :

 

 Mass education, which began as a promising attempt to democratize the higher culture of the privileged classes, has ended by stupefying the privileged themselves. Modern societies has achieved unprecedented rates of formal literacy, but at the same time it has produced new forms of illiteracy. People increasingly find themselves unable to use langage with ease and precision, to recall the basic facts of their country’s history, to make logical deductions, to understand any but the most rudimentary written texts, or even to grasp their constitutional rights.

 

2. Georges Lochak avait répondu par avance à Allègre : « Croire que les calculs sur ordinateurs remplaceront les mathématiques (dont ils ne font, en réalité, qu’exprimer les rudiments) est d’une grande candeur ». (« Platon est-il mort ? », Quadrature, n° 28, avril-juin 1997, pp. 25-27). On a vu plus haut (p. 24, note 19) qu’Allègre n’estimait pas davantage les « élucubrations philosophiques ».

 

3. Dans un récent Nouvel Obs, Ch. Baudelot interrogeait : « A quoi bon étudier à l’école quand on sait que cela servira à se retrouver dans une mission locale ? » (N° 1843, 2-8 mars 2000, p. 84). Mais il y a bien longtemps qu’on n’étudie plus à l’école ; on n’y apprend pas davantage ; au mieux on lit les cours, on révise et on revoie les exercices.

 

4. Sylvain Bonnet, Prof, R. Laffont, 1997, p. 62. L’auteur, agrégé de lettres classiques exerçant en collège, constate et déplore (p. 63) le « règne de l’inculture triomphante ». Robert Solé avait rendu compte de cet ouvrage dans Le Monde du 5 septembre 1997. Autre remarque distinguée d’un élève semi-maghrébin de terminale du 9-3, entendue récemment : « Qui connaît Molière, à part en France ? »

 

5. Voir la réplique de Philippe Mongin à Jean-Fabien Spitz dans Le Débat, n° 113, janv.-févr. 2001, p. 177 ; Philippe Mongin est lui aussi ancien normalien (Ulm, 1969) et agrégé de philosophie.

 

6. François Dubet est docteur en sociologie et professeur à l’Université de Bordeaux-II. Ce qu’il écrivait évoque cette fois une célèbre blague de dissidents soviétiques : - Où va le capitalisme ? - Il court à sa perte. - Et où va le socialisme ? - Il va rattraper et dépasser le capitalisme.


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