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Etienne Parizot 10 janvier 2006 13:29

Non non, jerikojerk, je pense que vous vous méprennez sur la notion d’ordinateur quantique (même si ce n’est qu’un aspect de la question, que certains chercheurs en IA ne considèrent d’ailleurs pas forcément comme capital).

Vous dites : « 60 nanos c’est pas quantique, ça ? ou c’est trop gros ? parce que c’est la finesse de gravure d’un µprocesseur à l’heure actuelle. L’architecture du processeur est toujours là même, Von Neumann revu par intel compatible 86x. Et pas fumeusement quantique. »

Effectivement, les microprocesseurs auxquels vous faites allusion ont un fonctionnement tout ce qu’il y a de classique. Mais le comportement « quantique » ou « classique » d’un système physique n’est pas lié de manière rigide à sa taille. De nombreuses expériences ont mis en évidence des comportements quantiques (intrication d’états) sur des échelles de plusieurs kilomètres !!! On est bien loin des 60 nanos dont vous parlez...

C’est lorsque vous dites « L’architecture du processeur est toujours là même » que vous faites fausse route. Bien sûr, un ordinateur quantique est basé sur un concept totalement différent, et en particulier les « processeurs » associés ne peuvent pas être comparés à ceux que nous connaissons aujourd’hui.

L’idée est que les bits d’information, les « états binaires », en physique classique, sont soit 0, soit 1, comme le savez bien sûr. Dans le cas d’un « bit quantique », si vous interrogez un état binaire donné, la réponse sera toujours soit 0, soit 1, mais si vous ne l’interrogez pas, le bit peut se trouver dans une infinité d’états distincts ! C’est bien sûr très étrange, pour une pensée classique, mais c’est ainsi : l’état du bit quantique peut consister en un « melange » quelconque de 0 et de 1. À chaque fois que vous voulez connaître la valeur de ce bit, il vous donnera comme réponse, soit 0, soit 1. Jamais une valeur intermédiaire. S’il est dans un état mélangé à 20% de 0 et à 80% de 1, disons, alors il ne vous répondra pas « 0,8 », mais vous aurez 20% de chances qu’il réponde « 0 », et 80% de chances qu’il réponde « 1 ». C’est ainsi. Et il est absolument impossible de prédire le résultat. C’est véritablement non-déterministe. Voilà ce qu’est la mécanique quantique, et voilà pourquoi la notion d’ordinateur quantique est radicalement nouvelle, impossible à rapprocher des machines de Turing ou des processeurs dont vous parlez. En combinant des bits de ce type, il est possible de mener de nombreux calculs en même temps, sur tous les états classiques possibles sous-jacents, en faisant simplement évoluer l’état quantique qui les « combine ». En le faisant de manière astucieuse (c’est ça, l’algorithmique quantique), on peut faire des choses impossibles classiquement (comme factoriser un nombre premier en temps polynomial).

Sinon, vous soulevez une question relative aux algorithmes qui n’est pas liée au problème du quantique ou du classique. Vous dites : « on développe très difficilement un algorithme dont on ne connait pas le résultat ». Mais ce n’est pas cela. Le résultat, on le connaît, c’est l’architecture exacte de l’algorithme qu’on ne connaît pas. Et détrompez-vous, ce n’est pas du tout difficile à mettre en œuvre : on le fait très couramment dans un nombre croissant de domaines ! Prenons l’exemple de la reconnaissance de visage à partir de photographies. Pour simplifier, disons que l’ordinateur a accès aux pixels de l’image, et qu’il peut les combiner selon un algorithme donné au départ, qui lui fournit une réponse : c’est « untel » ! Son algorithme vaut ce qu’il vaut, et au départ, il se trompe très souvent. Mais l’idée va être de le modifier en fonction des réponses. Par exemple, à chaque étape, suivant qu’il s’est trompé ou qu’il a donné la bonne réponse, il modifie les connections entre les portes logiques qu’il met en œuvre - et ceci peut fort bien se faire de manière aléatoire. Si une modification (« mutation ») le fait se tromper plus souvent, elle est rejetée. Si au contraire elle conduit à un meilleur taux de réussite, elle est conservée, et on continue. Cela vous fait sans doute penser à une évolution « à la Darwin », et vous ne serez donc pas étonné qu’on parle parfois « d’algorithmes génétiques ».

Bref, tout ça pour dire qu’après une phase d’apprentissage, l’ordinateur ne se trompe pratiquement plus (et s’il se trompe encore, on continue - d’ailleurs, les hommes aussi se trompent !). Il a donc « évolué » jusqu’à mettre en œuvre un algorithme très performant, dont on connaît le résultat, mais dont on ignore la structure ! On pourrait bien sûr regarder « à l’intérieur de la machine » pour voir comment elle s’y prend en fait (et on le fait parfois), mais si on travaille avec des milliards de connexions (ou des milliards de milliards !!!), ce n’est absolument pas envisageable, et même si ça l’était, cela ne nous donnerait aucunement une « explication » ou une « compréhension » du mode de fonctionnement - de la même manière que « décrypter » une séquence d’ADN ne nous explique pas comment elle fonctionne. (Ou comme vous l’avez noté avez raison, « à partir de l’atome on ne peut pas prévoir le comportement d’un seul element ».)

Enfin, vous dites : « Je me défausse sur une question philosophique, à quoi sert-il de batir des outils qui ne font pas ce qu’on leur demande ? »

Étrange question, dans ce contexte. D’abord, les outils tels que celui mentionné plus haut font effectivement ce qu’on leur demande. On ne sait pas comment ils s’y prennent au juste, c’est tout. Ensuite, quand on ne sait pas trop quoi demander, ou qu’on demande des choses absurdes, il peut y avoir un grand intérêt à avoir un outil qui ne fait tout à fait ce qu’on demande. Il arrive TRÈS souvent de demander des choses absurdes quand on programme, n’est-ce pas ? Si vous avez déjà débuggé un code, vous savez qu’il peut être très irritant de voir à quel point la machine fait en effet très exactement ce qu’on lui demande, et pas ce qu’on avait « évidemment » l’intention de lui demander... smiley Et enfin, pourquoi toujours parler d’outils ? Une façon de répondre à votre question serait d’en poser une autre : « pourquoi faire des enfants » ?


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