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E-fred E-fred 22 août 2009 18:59

Publié le 19/01/2007 N°1519 Le Point

Afghanistan : Massoud

Contre-enquête sur un assassinat Reconstitution Une série de négligences a permis aux meurtriers du Lion du Panchir d’accomplir leur forfait.

Ce jour-là, le commandant Massoud est préoccupé. Il prépare l’offensive d’hiver sur Taloquan, une ville voisine, occupée par les taliban. Il craint aussi les assauts de l’ennemi dans les parages, comme tous les ans, à l’annonce de l’hiver. Et puis le chef de la résistance, qui marche devant une résidence officielle de Khodja Bahauddin, non loin de la frontière tadjike, aperçoit deux journalistes arabes. Cela fait plusieurs jours que ses services lui ont signalé la présence de ces deux détenteurs de passeports belges, qui s’affirment d’origine marocaine. Massoud accepte la demande d’interview, qu’il avait maintes fois refusée les jours précédents. « Ce ne sera pas long, quelques minutes » , confie-t-il à ses gardes du corps.

Un laxisme étonnant

Dans la résidence, les proches de Massoud prennent place. Le commandant s’assoit dans un fauteuil, en diagonale par rapport aux deux prétendus journalistes. Un conseiller est intrigué par le fait que les deux Arabes se sont enfermés dans les toilettes quelques instants avant d’en ressortir tremblants. « Les membres de la sécurité ont cru que c’était l’émotion » , confie Shahiddine Tajaldin, le beau-frère de Massoud.

Les deux faux journalistes installent maladroitement la caméra face à Assem Sohail, jeune conseiller, Fahim Dashti, journaliste afghan - qui est attendu ces jours-ci en France, pour être discrètement soigné en région parisienne -, et Massoud Khalili, l’ambassadeur de Massoud à New Delhi, que nous avons interviewé. Le Lion du Panchir demande que la liste des quinze questions soit d’abord lue. Khalili traduit.

Surprise : sur les quinze, sept questions ont trait à Ben Laden. L’une d’elles : « Que ferez-vous de Ben Laden quand vous serez au pouvoir ? » Khalili ne se méfie pas - « cela faisait vingt-trois ans que je rencontrais des journalistes » , dit-il. Mais, à ce moment, Massoud hésite un instant, puis se ravise, observant celui qui lui a posé la question : il remue, semble ajuster sa ceinture. Trop tard : le terroriste a appuyé sur le détonateur. Massoud est touché au visage par les explosifs, cachés dans la ceinture, et non dans la caméra, comme annoncé au lendemain de l’attentat. Du premier terroriste il ne reste que les deux jambes. Assem Sohail, intrigué depuis plusieurs jours par ces deux visiteurs, s’est jeté sur le kamikaze. L’explosion s’en trouve atténuée. Mais pas assez pour préserver la vie du lion du Panchir. Il meurt dans les trente minutes, selon Massoud Khalili.

Le second terroriste a pris la poudre d’escampette. Dans la rue, il tente de s’emparer du fusil d’un garde, puis est abattu par un autre soldat, à quelques centaines de mètres de là. Ce qui déclenchera l’ire des services de sécurité, furieux de n’avoir pu interroger le tueur.

Incroyable légèreté de l’entourage de Massoud... Comment a-t-il pu laisser passer deux voyageurs qui ont pénétré dans les zones de la résistance en provenance des fiefs taliban  ? Après un mois et demi d’enquête sur place, Le Point a reconstitué l’itinéraire des deux tueurs.

D’abord, plutôt qu’une éventuelle trahison, un étonnant laxisme des services de sécurité de Massoud. A la mi-août, les deux faux journalistes se présentent... sur la ligne de front, venant de la zone taliban. Ils arrivent par le point de passage des contrebandiers, à Taghab, où les commandants taliban laissent transiter les marchandises moyennant une dîme. Ils ont séjourné à Kandahar, le fief des taliban. Dans la vallée de Kaboul, les commandants qui contrôlent l’endroit laissent passer les deux Arabes. Un responsable du ministère des Affaires étrangères de l’Etat islamique d’Afghanistan - la résistance - avoue même que les deux terroristes n’ont jamais été contrôlés... « On a été imprudents » , reconnaît un conseiller de Massoud. Un autre : « On était intrigués par leur attitude, mais l’hospitalité afghane a fait qu’on ne les a pas interrogés. »

L’un d’eux est petit, se présente comme cameraman, l’autre est grand, calme, porte des lunettes. Leurs passeports, belges, matricules EB 660119 et EB 616967, volés soit dans les services consulaires de Belgique à Strasbourg et à La Haye, aux Pays-Bas, soit dans un stade en Belgique, indiquent que le premier (le faux cameraman) s’appelle Kacem Bakkali, né à Tanger le 22 octobre 1973, et le second, Karim Touzani, né à Oujda le 12 septembre 1967. Ils se dirigent vers la vallée du Panchir. Là, toujours pas de contrôle... Même aux portes de la vallée, au check-point de Dahana-Gulbahar, pourtant réputé pour être dirigé par un commandant pointilleux, les moudjahidine ne prêtent pas attention aux deux hommes qui roulent dans une voiture prêtée par le commandant du front de Kaboul, Bismillah Khan. Ils ont pourtant obtenu d’étranges visas : l’un, délivré par l’ambassade du Pakistan - l’allié des taliban
- à Londres, est à entrées multiples et valable un an. L’autre, aussi à entrées multiples et valable trois mois, mais périmé, est taliban et fut délivré à Islamabad.

Dans la vallée du Panchir, les deux hommes vont jouer la discrétion. Ils ne sortent pas, sauf le soir, pour prier, souvent séparément. Cela attire l’attention de quelques Afghans... mais toujours pas des services de Massoud. Ils demandent une interview à Abdul Rassoul Sayyaf, un chef de guerre fondamentaliste rallié à Massoud. Selon une source de la résistance, Sayyaf aurait téléphoné à Massoud pour lui demander de ne pas les recevoir. Dans la guest house de Sangana, non loin d’Astaneh et de l’héliport, le comportement des deux hommes étonne une femme, Nasrine Gross, une Afghane mariée à un Américain et vivant à Washington lorsqu’elle n’est pas en mission humanitaire. Arabisante, elle est surprise par l’accent de ces deux « Marocains ». « Cela ne sonnait pas juste. C’était comme s’ils venaient de Libye ou du Yémen » , raconte-t-elle. Pourtant, à entendre Merhabuddine Mastan, le chargé d’affaires afghan à Paris, les deux hommes seraient bien marocains. Leurs passeports, affirme-t-il, proviennent d’une série volée par un réseau de fondamentalistes marocains résidant dans le sud de l’Espagne. Dans la vallée du Panchir, les deux terroristes essaient de prendre à plusieurs reprises l’un des huit hélicoptères de l’Alliance. Ils insistent beaucoup pour participer à une réunion de la plus haute importance entre les différents chefs de la résistance, Massoud, Burhanuddin Rabbani, président de l’Etat islamique - déposé par les taliban en septembre 1996 -, le général Fahim - qui sera le successeur de Massoud -, le commandant Bismillah Khan et l’ancien allié des Saoudiens Abdul Rassoul Sayyaf. Mais la sécurité refuse. Plus tard, les deux Arabes courent derrière Massoud, qui refuse catégoriquement de les embarquer.

Tout l’état-major était visé

Une autre tentative échoue encore avec Rabbani. Le 31 août, les deux faux journalistes parviennent à rejoindre Khodja Bahauddin. A bord de l’hélicoptère, l’humanitaire française d’origine afghane Shoukria Haydar est intriguée. Cela fait plusieurs jours qu’elle observe les deux individus. L’un d’eux, malgré la chaleur, porte continuellement un épais pantalon de velours, comme s’il voulait cacher quelque chose. L’autre arbore deux traces de brûlure au front, comme si l’on avait écrasé une cigarette sur sa peau en guise de châtiment. On découvrira plus tard qu’ils sont porteurs d’une lettre de recommandation, retrouvée après l’attentat : elle est signée Yasser el-Siri, directeur du Centre d’observation islamique à Londres, une association fondamentaliste qui vend des livres de Ben Laden et présente les deux voyageurs comme envoyés de la chaîne Ani-TV (Arabic News International)... laquelle n’existe pas. Ce dernier a été arrêté mercredi matin, par Scotland Yard, à Londres. Son adjoint est un Egyptien. Il s’appelle Ayman el-Zawahiri. Présent sur toutes les images les plus récentes au côté de Ben Laden, dont il inspirait souvent les actions, il serait recherché par la justice égyptienne dans le cadre de l’attentat au temple de Hatshepsout en novembre 1997 (67 morts).

Pour Massoud Khalili, qui a accès à l’enquête, menée par l’ingénieur Aref Sarwari, il ne fait pas de doute que non seulement les réseaux de Ben Laden sont impliqués, mais aussi l’isi, les services secrets pakistanais. « Ils ont pris les explosifs non pas en Afghanistan, mais apparemment au Pakistan, où ils ont eu des facilités » , affirme Massoud Khalili, qui est paralysé du côté droit depuis l’explosion. Selon le commandant Woudoud, responsable de la sécurité de Massoud, l’attentat visait tout l’état-major de la résistance. L’attente des tueurs aura duré trois semaines. Deux jours après l’assassinat de Massoud, les tours du World Trade Center volaient en éclats


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