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Senatus populusque (Courouve) Senatus populusque 23 novembre 2009 10:58

Jésus de Nazareth et Karl Marx en commun un certain nombre d’aspects, relevés par divers auteurs (Frédéric Nietzsche, Dolléans, Sigmund Freud, André Gide, etc.).


« Le socialisme est la forme qu’a prise au XIXe siècle la religiosité latente en la nature humaine […] On peut dire de cette doctrine qu’elle est la religion de l’humanité [Pierre Le Roux] ou encore la religion du prolétariat déifié [Georges Clémenceau] […] Les socialistes sont des chrétiens sans le savoir, des chrétiens qui sans doute ont perdu la douceur évangélique, mais n’ont rien oublié de l’intolérance de l’Église. […] Le vice fondamental des doctrines socialistes est de reposer sur une psychologie erronée de la nature humaine #. »
Édouard Dolléans, « Le caractère religieux du socialisme », Revue d’économie politique, 1906.


La formule « A chacun selon ses besoins » se trouve, comme on sait, chez Karl Marx : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ! » (Critique du programme de Gotha, I, 3), mais aussi dans le Nouveau Testament : « La multitude de ceux qui avaient foi n’était qu’un cœur et qu’une âme, et personne ne disait qu’aucun de ses biens fût à lui, au contraire ils mettaient tout en commun. […] Il n’y avait aucun indigent parmi eux. Tous ceux, en effet, qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient ; ils apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres ; c’était distribué selon les besoins de chacun. » (Actes des apôtres, IV, 32, 34-35).

La Règle de saint Benoît dénonce le « vice de propriété » (chapitre LV) en se référant à ces Actes. Dans le Manifeste, Marx et Engels précisaient : « Les communistes peuvent résumer leur théorie en cette seule expression : abolition [Aufhebung] de la propriété privée. »

Tous deux sont profondément insatisfaits du monde tel qu’il existe, et proposent, pour l’un un autre monde, pour l’autre un changement de société (et non un changement de la société) ; dans les deux cas, ce qui est ultimement visé, c’est la suppression des conflits, la suppression du mal. Mais il est plus facile de constater l’échec du marxisme en terre communiste que de démontrer en terre chrétienne l’inexistence de l’autre monde de Jésus. Toutefois, la contribution de Jésus concernait une société primitive, sans culture, dépourvue de sciences et de techniques, très éloignée de la nôtre en ce début de XXIe siècle, très éloignée même de la société romaine et de sa culture.

Leur rapport à la connaissance n’est pas celui de la philosophie grecque ; dans le cas chrétien, le désir de connaissance est dévalorisé. « La science ? elle sera abolie » trouve-t-on dans la 1ère Épitre aux Corinthiens (XIII, 8). La philosophie est mise au service (ancilla) de la théologie. Dans le cas marxiste, la philosophie est remplaçée par « l’étude du monde réel », monde réel auquel on imposera la conformité au dogme (affaire Lyssenko) ; le marxisme semble favorable à la science, mais cette scientificité n’est qu’un scientisme. Opposition générale des disciples de Marx et de Jésus à la culture étendue et diversifiée qui fait l’honnête homme. « L’Église primitive, c’est bien connu, luttait contre les « intelligents », en faveur des « pauvres en esprit » » (Frédéric Nietzsche, Crépuscule des Idoles, (5), § 1) ; le parti communiste fait de même.

En particulier, opposition à la philosophie :

 De Jésus rien n’est rapporté concernant la philo, mais pour Paul, c’est « ce vain leurre qui s’inspire de la tradition humaine et des éléments du monde, mais non du Christ » (Épître aux Colossiens, II, 8). Jésus rejette la culture mondaine comme Marx la culture bourgeoise. De l’un à l’autre, la ligne de dichotomie s’est déplacée, mais la dichotomie subsiste.

 Antiphilosophie chez Karl Marx : « La grande action de Feuerbach est : 1° d’avoir démontré que la philosophie n’est rien d’autre que la religion mise sous forme d’idées et développée par la pensée ; qu’elle n’est qu’une autre forme et un autre mode d’existence de l’aliénation de l’homme ; donc qu’elle est tout aussi condamnable » (Sur la dialectique de Hegel, 1844).
« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde. Ce qui importe, c’est de le transformer #. » L’Idéologie allemande, Thèses sur Feuerbach, 11.
« La philosophie et l’étude du monde réel sont dans le même rapport que l’onanisme et l’amour sexuel. » (L’Idéologie allemande, Le concile de Leipzig – III Saint Max).


Les libertés de connaissance et d’expression sont donc brimées, puisqu’il s’agit d’interdire la connaissance ouverte. La liberté de penser autre chose, d’acquérir un savoir indépendant et objectif, est absente aussi bien chez Jésus que chez Marx.

L’égalité est fortement privilégiée, à la fois par rapport à la liberté et par rapport à la compétition ou concurrence. Voltaire, qui n’était ni Marx ni Jésus, pouvait seul reconnaître cette vérité : « Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et cette liberté a étendu le commerce à son tour. » (Lettres philosophiques, X).

La famille, attache mondaine dans un cas, bourgeoise dans l’autre, est rejetée énergiquement. « Après que la famille terrestre a été découverte comme le mystère de la sainte famille, il faut que la première soit elle-même anéantie en théorie et en pratique. » Karl Marx, L’Idéologie allemande, Thèses sur Feuerbach, 4.


Abêtissement, perte de l’esprit critique, par soumission à l’orthodoxie ; il y a là une sorte de servitude volontaire intellectuelle des adeptes qui amène des esprits parfois très brillants dans d’autres domaines à accepter sans discussion des réponses simplistes ; ainsi le croyant dévalorisera toute la cosmologie qu’il ignore au nom de sa foi. Le marxiste récuse a priori toute explication qui ne soit pas fondée sur l’économie.

Divergence : alors que Jésus pense que le mal vient de chaque homme, tout en valorisant la faiblesse et la débilité, et en appelant à la conversion intérieure, Marx (après Jean-Jacques Rousseau) rejette presque toute la faute sur l’organisation sociale, qui serait source d’aliénation ; il appelle le prolétaire à la « prise de conscience », équivalent marxiste de la conversion religieuse intérieure et unique référence à à la responsabilité individuelle.

Jésus propose un anti-matérialisme, Karl Marx est matérialiste.

« Camarade, ne crois à rien ; n’accepte rien sans preuve. […] L’appétit de savoir naît du doute. Cesse de croire et instruis-toi. » (André Gide, Les Nouvelles nourritures, IV).

 Gide nous ramène à la connaissance (objective), bien malmenée à la fois par les religions et les idéologies totalitaires, mais valorisée par la philosophie ; c’est même cette valorisation de la connaissance qui caractérise le mieux la philosophie.


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