@ Paul Villach
La série L, dont je déplore la disparition (disparition contre laquelle je continuerai à lutter même si le combat est peut-être déjà perdu), est une série qui, dans son principe, est aussi prestigieuse, vénérable et utile, au sens le plus large du terme, que les autres.
Vous avez raison de montrer qu’elle a été victime du formalisme comme d’ailleurs toutes les séries, le « formalisme » n’étant qu’un des aspects du pédagogisme, qui a comme vous le savez de très multiples visages.
D’un point de vue professionnel, la disparition de la série L aura de très lourdes conséquences pour les enseignants, et notamment pour les professeurs de Lettres et de Philosophie. En ce qui concerne les enseignants de philosophie, la série L représente la moitié d’un service.
La filière L aurait pu être une filière d’élite : savante, humaniste, lucide ; dans les faits, elle est surtout une filière d’un médiocre niveau. Je le déplore, c’est une conséquence de la culture utilitariste d’aujourd’hui qui la présente comme une filière sans débouchés, alors même qu’aucune filière, quelle qu’elle soit, n’a de véritables débouchés (les filières professionnelles, par exemple, ont connu un démantèlement pire encore que les filière générales, alors qu’elles sont censées être professionnalisantes).
Le rôle de l’École n’est pas, de toute manière, de conférer un emploi, mais de conférer une Culture. Dans le principe, elle forme le citoyen et non pas l’homme de métier ; dans la réalité, elle ne forme plus ni l’un ni l’autre.
Le plein-emploi est un problème totalement indépendant de l’École, et dépend exclusivement d’un certain niveau de partage des richesses. Dans un contexte d’ultra-capitalisme, tout le monde se retrouve au chômage : littéraires, scientifiques, docteurs, CAPistes, techniciens, ouvriers, sur-qualifiés et sous-qualifiés peu importe. Il n’est qu’à considérer le chômage ahurissant des jeunes doctorants scientifiques eux-mêmes.
Bref : je n’ai pas de solution à proposer ; je continue à militer pour la sauvegarde des L, mais sans illusions. La disparition des L ce sera par exemple la disparition de la moitié des profs de philo. La disparition des L ne relèvera pas non plus le niveau des autres sections. La disparition des L n’est qu’un aspect du démantèlement général de nos institutions. La disparition des L ne changera rien au chômage de masse, et même l’aggravera. La disparition des L au profit de filières « utiles » n’augmentera pas d’un pouce l’emploi des jeunes. Les filières « utiles » elles-mêmes n’auront rien d’ « utile ». l’École elle-même n’est pas « utile ». Seuls les salariés-esclaves, surtout ceux des pays à bas coût de main d’œuvre sont « utiles » aux yeux des ultralibéraux. Qu’on soit biologiste ou pâtissier, philosophe ou mâçon, les libéraux nous adressent aujourd’hui un message de mort universel.
J’ai rarement été aussi pessimiste dans ma vie...