• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


En réponse à :


Manuel Atreide Manuel Atreide 6 novembre 2010 12:56

@ l’auteur

votre article est fort détaillé, cela est un effort louable pour essayer de faire comprendre la situation complexe des chrétiens en terres d’orient. Cependant, votre papier, comme l’a déjà signalé Frida, est très partial et va sans doute induire pas mal de monde en erreur. Et cela est dommage, vraiment dommage, car ce dont souffrent ces minorités religieuses là bas, c’est d’abord de l’ignorance et des préjugés. Ignorance et préjugés que votre article ne va pas contribuer à faire reculer ici ...

1/ vous confondez expansion religieuse musulmane et conquêtes arabes. Les grandes conquêtes arabes n’ont pas été les seuls vecteurs de la propagation de la foi musulmane loin de là. De plus, ces conquêtes se sont arrêtées très rapidement et l’Islam a continué son expansion par l’arrivée d’autres peuples. Vous parlez des turcs, savez vous que ces derniers, originaires d’Asie centrale, étaient musulmans avant d’arriver au moyen orient ? Qu’ils ont conquis et soumis l’empire arabe, déposé ses dirigeants et pris une succession en ayant des objectifs très différents ?

2/ Vous présentez les chrétiens d’orient comme étant assez homogènes doctrinalement. C’est faux. Il suffit de se plonger dans la très riche histoire du christianisme du IVe au Xeme siècle pour se rendre compte de l’énormité de vos allégations. Cette période a vu se succéder, parfois à un rythme effréné, les divergences doctrinales souvent radicales, toutes étant déclarées hérétiques lors de conciles successifs : aryanisme, monophysisme, iconoclasme, nestorianisme. A chaque fois, ces « hérésies » n’ont pas disparu, leurs fidèles ont parfois fui les terres de l’empire byzantin, leurs chefs à peu près toujours.

Le nestorianisme, par exemple, est la doctrine chrétienne qui, après sa condamnation comme hérésie au concile d’Ephese en 431, s’est diffusée le plus profondément en Asie. On retrouve des traces de communautés nestoriennes de l’Indonésie à la Mongolie en passant par l’Iran et l’Inde et nous savons désormais de manière presque certaine qu’une partie de la noblesse mongole autour de Gengis Khan était chrétienne d’obédience nestorienne. L’empire du milieu connaissait Jésus avant l’arrivée des missionnaires jésuites du 16eme siècle !

Cette doctrine est d’ailleurs à l’origine de certaines des églises chrétiennes orientales actuelles et notamment les églises assyro-chaldéennes dont l’une des communautés a été victime de cet attentat à Bagdad. Ces communautés ont su évoluer avec le temps tout en préservant leur très riche patrimoine culturel et religieux, par exemple leur langue liturgique qui est l’araméen, la langue parlée en terre sainte au début de l’ère chrétienne.

3/ Les rapports entre islam et christianisme en Orient.

vous partez d’un constat fort juste. En revanche, vos explications sur ce constat sont largement fausses et biaisées : l’histoire des chrétiens en turquie n’est pas celle que vous racontez et les sources que vous utilisez (drzz notamment) ne sont ni fiables ni objectives. Les rapports entre islam et christianisme ont plus été marqué en 1400 ans de coexistence par des liens complexes et des echanges souvent très riches que par une volonté d’élimination de la part des musulmans. L’empire ottoman a toujours été multiconfessionnel et la capitale Istanbul, pour ne citer qu’elle, a toujours vu, depuis sa conquete, co-exister églises et mosquées. Et cette co existence était très largement répandue dans tout l’empire, de l’Algérie ottomane à Bagdad et l’Arménie. la seule zone qui fut toujours fermée aux « infidèles » etait le Hedjaz, la région de Le Mecque et de Médine. Cet interdit a été étendu au 20eme siècle à toute l’Arabie Saoudite. En dehors de ce pays, on trouve des églises partout en orient, malgré les mensonges véhiculés par les extrémistes pour justifier leur refus de voir des mosquées en occident.

Parler de résistance est trop fort, il n’y a pas eu de campagne de conversion forcée, ou très peu. En revanche, vous avez raison quand vous signalez que les rapports étaient marqués du sceau de l’inégalité. Mais cette inégalité qui subsiste est, à tout prendre, préférable à l’élimination ou aux persécutions. Vous parlez de la situation des chrétiens orthodoxes et arméniens en Turquie : le traité de Lausanne a entériné les échanges de populations entre Grèce et jeune Turquie. Les expulsions ont eu lieu de part et d’autre ... Et pour comprendre les ressorts intimes de cette tragédie, je vous invite à lire l’excellente bio du dernier grand sultan ottoman, Abdulhamid II écrite par François Georgeon. Vous y trouverez une description clinique quasi exhaustive de l’empire, de ses liens avec les puissances occidentales et des decisions qui ont conduit, par exemple, à la remise en avant du titre de calife ...

4/ les liens entre Occident et Islam

la lecture de cette bio, ainsi que de monographies sur la période coloniale au moyen orient vous feront découvrir que les américains ne sont ni les seuls, ni même les principaux responsables de l’animosité qui règne en ce moment. Royaume Uni, France, Russie, Autriche Hongrie, Italie, les puissance européennes ont largement leur part de responsabilité. Et il ne s’agit pas non plus de dédouaner pour autant l’empire ottoman dont la décadence a entrainé cette situation d’infériorité technologique et economique entre orient et occident. Les USA ne sont malheureusement que le dernier avatar en date de l’occident en terre d’orient.

Au passage, j’en profite pour vous convier à relire la vie de Saint Augustin et à replacer cette histoire dans un contexte plus large, notamment celui des royaumes musulmans andalous, tunisiens et chérifiens, vous verrez que le Maghreb, loin d’être cette zone de « no man’s land politique », a été une zone de culture très riche avec des gouvernements puissants et efficaces. Votre point de vue sur cette région est trop imprégnée de la position française au XIXème siècle, vous serez surpris et enchanté (je pense) de découvrir les richesses et les réalisations de cet occident musulman qui n’a rien a envier souvent à son homologue oriental. Tunis, Alger, Meknes, Cordoue, pour n’en citer que quelques unes, n’étaient pas de petites bourgades habitées par des barbaresques déculturés et sans aucun lien avec l’orient ...

Pour terminer ce très long post, je voudrais vous inviter à reprendre les livres que vous dites avoir lus. la situation des chrétiens d’orient est dure, parfois dramatique, vous avez raison. Nous pouvons les aider depuis chez nous, c’est vrai. D’abord en dénonçant les crimes dont ils sont victimes. mais en les dénonçant bien. Si nous plaquons sur leur sort notre histoire, nos peurs, nos fantasmes, nous nous servons d’eux, nous ne les aidons pas.

Revenons nous même à une attitude plus raisonnable, soyons au clair sur nos rapports avec les autres cultures dont l’Islam, sachons demander ce que nous sommes en droit de demander, sachons accorder ce que notre tradition humaniste nous commande de donner. La résolution de ce conflit entre occident et orient ne passe pas par une confrontation, mais par un dialogue ouvert et ferme à la fois. Benoit XVI semble l’avoir compris même si ce pape n’est pas un grand communicant et se prend régulièrement les pieds dans le tapis médiatique. Cela nécessitera des examens de conscience de part et d’autre. Saurez vous faire le vôtre ?

Manuel Atréide


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON


Palmarès