La fin des « Seigneurs de Gaza », par Ibrahim Barzak (Associated Press)
L’assouplissement du blocus de Gaza a permis d’accomplir quelque chose que les frappes aériennes et une barrière souterraine n’ont jamais pu faire : anéantir le trafic d’armes florissant de la bande côtière. Maintenant qu’une bonne partie des biens de consommation peuvent à nouveau être importés à Gaza - après trois ans de restrictions - la plupart des centaines de tunnels de contrebande qui alimentaient autrefois l’enclave palestinienne sont aujourd’hui fermés. Selon un haut-responsable du Hamas, seuls une petite dizaine seraient encore utilisés, comparé aux quelque 400 d’avant.
L’Associated Press, annonce elle qu’un tunnel sur quatre est
aujourd’hui en fonction. Mais dans les deux cas, il s’agit d’une baisse
considérable.
Un bémol toutefois : cette diminution d’activité
souterraine n’aurait pas influencé l’entrée régulière d’armes dans la
bande de Gaza. Le Hamas continue de contrôler ces tunnels et le trafic
de munitions. Des atouts cruciaux pour que le groupe terroriste puisse
maintenir sa domination sur le territoire, qui date de sa prise de
pouvoir en juin 2007.
Mais en ce qui concerne les biens de consommation, les marchands gazaouïtes préfèrent nettement importer leurs produits de manière légale, par voie terrestre. Moins coûteuses, les livraisons sont généralement plus prévisibles que celles effectuées par contrebande - cibles régulières des contrôles égyptiens et des attaques israéliennes.
La tradition de la contrebande
L’Etat hébreu a assoupli le blocus en juin dernier, dans l’espoir d’apaiser les critiques de la communauté internationale suite au violent abordage du Mavi Marmara. Depuis, les trafiquants palestiniens ont été contraints de diminuer leur activité, se limitant uniquement aux biens restés sous le coup de restrictions, tels que les matériaux de construction - comme le ciment et l’acier - et les produits achetés à plus bas prix en Egypte.
« Nous n’avons plus de travail », confie l’un des trafiquants,
Saber Salem, 36 ans. Il gérait l’activité de trois tunnels le long de la
frontière égyptienne, avec le concours de cinq associés et de 40
employés. Maintenant, il a la charge d’un seul souterrain qui emploie
15
personnes. Le dernier « butin » de Salem : de l’huile d’olive, rapportée
illégalement d’Egypte à 30 dollars le gallon - soit presque la moitié du
prix de celle importée d’Israël.
A son apogée, l’"ère des tunnels de
Gaza" générait une activité constante. Il y a quelques semaines, une
poignée de camionnettes seulement étaient stationnées près des entrées
des tunnels. Le ronronnement des avions de l’armée israélienne se
faisait entendre au loin. Et, de temps en temps, des gardiens égyptiens
pointaient, du haut de leurs miradors, leurs projecteurs en notre
direction.
Il faut savoir que la contrebande est une tradition à Gaza, depuis l’annexion israélienne du territoire en 1967. Pendant les
38
années qui ont suivi, le trafic était essentiellement limité aux armes.
Les flux souterrains ont ensuite augmenté lorsque l’Etat hébreu s’est
retiré de l’enclave en 2005, avant d’atteindre leur niveau le plus élevé
en raison du blocus israélien imposé lors de la prise de pouvoir du
Hamas.
L’embargo, qui n’autorisait qu’une entrée limitée de nourriture et de médicaments, n’est pourtant pas parvenu à affaiblir le mouvement islamiste. L’été dernier, Israël a décidé d’assouplir le blocus. Et l’impact a été immédiat. Selon Issa Nashar, maire Hamas de Rafiah, seulement quelques dizaines de tunnels sont encore utilisés. Résultat : la majorité des milliers de Palestiniens qui vivaient de cette activité clandestine sont aujourd’hui au chômage. Khalil Saleh explique que, lorsque la demande était à son maximum, il pouvait gagner jusqu’à 100 dollars par jour, soit plusieurs fois la rémunération quotidienne d’un travailleur peu qualifié à Gaza. Maintenant, le jeune Gazaouïte de 19 ans gagne à peine la moitié, lorsqu’il a la chance de trouver du travail. « L’âge d’or est révolu », dit-il.
Combler les vides du marché
L’activité clandestine constituait la principale source d’emploi
dans la bande de Gaza. Le gouvernement Hamas en a également profité en
prélevant impôts et autres taxes sur la contrebande. Alors que
l’assouplissement du blocus a engendré une légère croissance économique à
Gaza, il y a peu de chances de voir une véritable reprise, selon les
experts, en raison des restrictions israéliennes maintenues sur les
industries-clés de l’enclave, à savoir : le bâtiment, ainsi que les
exportations de textile, de meubles et de produits agricoles. L’Etat
hébreu continue de limiter l’entrée de ciment et d’acier, de peur que le
Hamas ne les réquisitionne pour construire des bunkers et des
roquettes.
Les exportations, elles, sont limitées aux livraisons
saisonnières de fraises et de fleurs. Israël craint en effet que le
Hamas en profite pour faire sortir clandestinement des bombes.
Certains
« anciens » des tunnels essaient de trouver de nouveaux marchés de
contrebande en sens inverse - de Gaza vers l’Egypte. Mais ce n’est pas
sans risques. Salem dit avoir récemment tenté d’exporter du métal brut
en Egypte, mais que la police égyptienne avait fait sauter la sortie du
tunnel qu’il utilisait, après deux livraisons. D’autres seraient déjà
parvenus à faire passer des poulets et des œufs, précise-t-il, sans
savoir si les trafiquants comptent poursuivre ces tentatives.
"La vie est très difficile et nous nous confrontons à de nombreux obstacles« , ajoute-t-il. »Le Hamas inspecte nos cargaisons et nos tunnels parce qu’ils ont peur du trafic de drogue. Les services égyptiens de sécurité ont également installé de nombreux points de contrôle routiers."
En fin de compte, les dures lois de l’économie se sont avérées plus efficaces que des années d’interventions militaires israéliennes. Salem dit ne gagner que 15 000 dollars par mois à l’heure actuelle, soit la moitié de ce qu’il touchait auparavant. Pour l’heure, lui et ses associés tentent de combler les vides du marché. Cela passe par l’importation illégale d’animaux exotiques, comme des singes et des bébés crocodiles, mais aussi des matériaux de construction. Pour la fête de l’Eid al-Adha, certains avaient décidé d’importer des moutons et des vaches, afin de compléter les livraisons en provenance d’Israël. Mais Saleh, lui, reste philosophe : "Nous avons été les seigneurs de Gaza pendant trois ans. Mais, comme on dit, ’rien ne dure toute la vie’."
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