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easy easy 18 mars 2011 18:30

Cette catastrophe est l’occasion d’hystériser mais c’est aussi l’occasion de reconnaître nos torts.


Je ne ne parle pas de la partie très naturelle de la cata japonaise (au sujet de laquelle il y aurait pourtant beaucoup à dire en matière d’amélioration des remparts). Je parle ici de sa composante nucléaire.

Fondamentalement, seuls ceux qui ont très clairement voté contre le nucléaire (donc les 3% de Verts et les 2% d’extrême gauche) ne devraient pas être considérés comme responsables de cet accident. Il n’est pas normal de ne pas commencer nos diatribes en précisant ce fait et de n’être prodigues que d’accusations d’autrui alors qu’on ne fait pas partie des 5 % d’authentiques anti nucléaires.

95 % des électeurs ont considéré d’autres impératifs que la sécuyrité nucléaire et n’ont pas voté anti nucléaire. Mais maintenant 95% des intervenants vont à accuser les uns ou les autres mais surtout pas eux-mêmes.



Plus haut, comme nous parlions d’une politique particulièrement méfiante qu’on devrait appliquer quand on pilote un site nucléaire, une usine Seveso, une plateforme de forage ou une usine d’incinération mais que cette méfiance était stressante et invivable, Surya m’a répondu que c’est bien regrettable d’être dans le déni du danger.

En effet, dans une usine à gaz, qui est toujours un prototype, les opérateurs devraient constamment se dire de chaque bidule qu’il est sur le point de dysfonctionner. Et les politiques sécuritaires des sites dangereux sont déjà draconiennes. Mais il est tout bonnement impossible, humainement parlant, d’être constamment méfiant, parano.

Seul un robot n’a pas besoin de poser son cul sur une marche pour papoter chiffons et barbecue avec un collègue au milieu d’une usine Seveso.


Là, depuis 7 jours, l’équipe de Fukushima est forcée de se dire à chaque seconde « Il y a mille trucs qui peuvent défaillir ». Ils ne pourraient en aucun cas tenir cette pression pendant des semaines et encore moins des années. Et là, je dirais qu’ils n’ont quasiment rien d’autre à faire qu’à regarder et à fantasmer sur les pannes potentielles en plus de celles qui sont avérées. Mais une telle méfiance en temps normal, ça les obligerait à courir constamment à tous les systèmes et à les vérifier tous dix fois par jour. De même qu’un type pris de tics et de tocs va vérifier 100 fois qu’il a bien éteint le gaz chaque fois qu’il quitte son appartement. Une hyper vigilence est inhumaine. Nous avons besoin de décontraction, de confiance, sinon ce n’est plus de la vie mais de la survie.


Surya me dit aussi qu’un patron devrait informer ses salariés des vrais risques et non pas permettre que s’installe un climat de confiance. Il y a de ça dans la pratique et dans toute la mesure de la charge maximale de stress de méfiance qu’un individu peur supporter. Mais lorsque nous jetons une vilaine saleté dans une poubelle, inscrivons-nous sur cette poubelle un mot de prévenance ou de sécurité à l’intention des éboueurs ?
Lorsque nous appelons les pompiers pour qu’ils récupèrent notre chapeau perché en haut d’un arbre, est-ce que nous disons au brave qu’il prend trop de risques inutiles ?
Lorsque nous permettons à notre chien de crotter un trottoir, est-ce que nous entourons le piège d’un dispositif épargnant les gens ? Lorsqu’il est écrit sur les bidons de produits qu’il ne faut pas les jeter dans les égouts et que nous le faisons quand même, est-ce que nous avertissons les opérateurs des usines de traitement des eaux qu’ils courent un danger ? Lorsque nous conduisons à moitié endormi, est-ce que nous mettons un bandeau signalant aux autres que nous sommes dangereux ? Lorsque nos freins sont usés, est-ce que nous hurlons aux gens de se garder de nous ? Lorsque nous avons le Sida, est-ce que nous nous précipitons pour prévenir ceux que nous approchons ?
(A cette heure-ci, il n’y a encore que deux peuples au Monde où les gens portent un masque pour protéger autrui de leur contagiosité) 

C’est cent fois par jour que nous mettons les autres en danger et que nous le dénions.




Je cite ici quelques exemples pour montrer que la direction d’une usine à gaz cherche à maintenir une certaine méfiance (qu’ils appellent vigilence) mais vous verrez que ça pèse tellement qu’il y a une limite de charge impossible à dépasser.

Déjà on n’entre pas sur un site classé sans passer par un poste de sécurité qui nous liste ce qu’il faut faire et ne pas faire. On gare sa voiture en reculant (pour pouvoir repartir vite sans manoeuvrer). Pas de GSM allumé (étincelles, rayonnements). Aucun objet dans les couloirs. Connaissance des point de regroupement, immeuble par immeuble.

Un jour, sur le site Aventis d’Alforville, un sous-traitant s’arrête avec sa fourgonnette sur une des 36 allées de circulation. Là, il allume son portable, fume un clope et jette son mégot dans une grille d’égout. Un agent du site l’a pris en flag et il a été proscrit du chantier (un site est un chantier permanent). Les égouts d’un site industriel peuvent très souvent contenir des rejets inflammables.


Panneau d’affichage avec le nombre de jours sans accident (record à battre).
Chaussures de sécurité, casque et lunettes antiprojection à chaque entrée de labo. Aucun animal. Interdiction de courir pour rien. Interdiction de marcher ou de traverser n’importe où. Tout est balisé.

Quand on intervient comme sous-traitant, on remplit une liasse indiquant cent choses dont les risques que nous prenons et les outils que nous allons utiliser. Aucune possibilité de faire tourner une machine sans une cascade d’autorisations et après que les chefs de labos aient purgé les circuits de tout gaz inflammable. Impossibilité de placer ou d’utiliser quelque dispositif électrique qui ne soit antidéflagrant.

Je vais vous donner un exemple de stress élevé permanent. C’est chez Aventis. On y teste toutes sortes de produits pour des tas d’autres industries. Non seulement on doit manipuler des produits qui cassent des chromosomes en enfilant deux paires de gants de nature différentes mais on doit aussi préserver la virginité ou pureté des produits qu’on teste. Si l’on a besoin de tester un rouge à lèvre sur la peau d’une souris, cette souris doit avoir passé toute sa vie sous bulle stérile. (une souris blanche de haute catégorie peut coûter 1000€) Or il faut bien les nourrir ces bestioles, il faut laver les cages, il faut entrer, sortir de cette zone spéciale. Bin c’est hyper tendu pour le personnel et en permanence. Ils sont donc une très petite équipe ; Ils savent que moins ils sont nombreux, moins il y a de risques de fautes et de pollution externe.
Dans cet endroit, il y a des « primates non humains » des singes donc. Eux aussi mis sous bulle depuis leur naissance. C’est glacial de propreté. Façon 2001 d’Odyssée de l’Espace. Les cris des singes résonnent car les sols, les murs, les plafonds sont archi vides de toute chose et lisses comme des miroirs. Et dans les pièces périphériques aux vitrages fixes et entièrement dépolis, se trouvent les salles de dissection avec une paillasse centrale comportant des rainures pour les jusn un scialytique et des paillasses périphériques pour les instruments d’observation.
Chaque fois qu’on entre dans cet endroit c’est parce qu’on a une très bonne raison car les 98% des autres employés de l’entreprise n’y entrent jamais. Partout des panneaux en interdisent l’accès. Et quand on doit absolument y entrer, il faut 30 minutes pour revêtir une panoplie de fringues spéciales et jetables.


Toute la vie sur site des employés de ce genre d’endroit est programmée, enregistrée et contrôlée. Ils opérent comme des zombies, ils ne doivent pas se laisser aller à de la rêverie ou de l’improvisation. Du coup, ainsi placés sur des rails, ils sont incapables de réagir à quelque chose qui n’a pas été prévu ou nomenclaturé. Si leurs pensées allaient par exemple à s’interroger sur le mauvais sort fait aux animaux, non seulement ils feraient des erreurs mais ils plomberaient l’ambiance déjà pesante. Celui qui exprime une pensée libre est blâmé par ses collègues et sera écarté car considéré comme non fiable donc dangereux. Le rigorisme des procédures de sécurité permet donc à la direction de contrôler son niveau de qualité directe mais aussi d’empêcher les états d’âmes de survenir. On est tellement stressé par les mesures de confinement et de sécurité qu’on ne peut pas se poser des questions supplémentaires. 

Et il y a moins de dépression dans les environnements où règne un rigorisme de sécurité disons physique et au profit de l’employé que dans les compartiments de l’entreprise où la sécurité va surtout à protéger les seuls intérêts de l’entreprise et ses secrets.


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