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easy easy 13 juin 2011 17:35


Régulièrement, des papiers du genre de celui-ci nous sont proposés et chaque fois, l’auteur utilise un prétexte pour dire qu’il faudrait faire plus de tralala autour de nos soldats « morts pour la Patrie ».

Le Canada observerait donc un principe de « Mort pour le Canada » ou « Mort pour la patrie » avec plus de faste et l’auteur se demande pourquoi en France, on n’observerait pas le même principe, d’autant qu’il a existé de façon assez marquée et même originale.

Des monuments aux morts, dans tous les villages, avec des carcasses d’obus dressés tels des phallus et enchaînés les uns aux autres par la pointe, ce n’est effectivement pas chose courante dans le Monde.



Le sujet principal ici, c’est le sens qu’il y a à faire la guerre, à faire du meurtre son métier.

Il est tout à fait logique que des gens qui tuent réclament une sanctification de leur geste tant il vrille la conscience. Le problème se pose au moins autant pour les damnés qui égorgent à longueur de journée des agneaux ou des poulets mais personne ne se dérange pour les aider à tenir le coup. Ils opèrent donc en cachette et ne se vantent jamais de leur boulot (ils n’en parlent même jamais à la maison).

Sans aucun doute possible, les grands honneurs que l’on rend aux soldats qui tuent ou sont tués d’avoir tué, visent à apaiser les consciences aussi bien des tueurs que de ceux qui les ont envoyé tuer (conjoints et enfants compris). Il surgit, de l’attitude collective soit une sanctification soit une opprobre.

Il est normal que la société qui commandite la soldatesque offre à ceux qui sont en état de combattre, la sanctification du meutre. Et ce bon droit est donné aux soldats opérationnels lors des honneurs rendus aux soldats morts. 




Avant 1850, il ne tombait pas sous le sens commun qu’on pouvait combattre, tuer et mourir pour la patrie parce qu’elle n’existait pas.

Quand on examine les déclarations de Jeanne d’Arc lors de son procès, on ne trouve pas la notion de patrie telle que les Français l’ont perçue à cause de Ferry et Lavisse. Les gens de 1430 ou de 1780 voyaient les choses au travers des prismes de la religion et de la féodalité, pas au travers du prisme d’un patriotisme soldatesque égalitariste. Jeanne a proposé d’honorer un roi mou mais n’a pas invité à honorer la mémoire des soldats qui combattaient l’Anglois.

Jusque sous Louis XVI ainsi que sous les Restaurations, les soldats combattaient sous uniforme des princes. La féodalité prévalait et nul ne concevait l’idée d’un unique drapeau national. 
En terrorisant, la Révolution a cherché à imposer l’idée de Nation essentiellement définie par un territoire et par l’adhésion de tous à des valeurs égalitaristes. A l’époque, ce n’était pas une innovation absolue mais c’était quand même rare dans le Monde. 

N 1er avait poursuivi dans un sens aussi nationaliste et conservé le drapeau tricolore mais il y avait sur imposé le sens de « Pour l’Empereur ». Il n’a pas réussi à sortir les Français ordinaires des visions de clocher ou de région.

Bien que N III ait repris cette vision, c’est après lui et donc sous la IIIème République, en raison de l’industrialisation qui imposait de la normalisation, qu’il a été décidé d’aller très loin dans le nationalisme. Tout s’est alors industrialisé et uniformisé (école, enseignement, laïcité, langue, écriture, unités de mesure, lois...). L’individu devint nationalisé.

Ce n’est que sous l’impulsion de Jules Ferry que les Français ont tourné le dos au féodalisme, à l’esprit de clocher, qu’ils se sont sentis égaux en droits et devoirs, qu’ils se sont alors sentis d’accord sur la notion de nation et de patrie (la patrie étant fondée sur un territoire, ce territoire ayant été attaqué par les Prussiens eux-même nationalistes, le sens du territoire et de la patrie était devenu très fort après 1870)

Le facteur qui a permis de passer aussi vite au nationalisme, c’est l’industrialisation de l’armement.
Il devenait de plus en plus clair que des hommes ne pouvaient défendre leur village avec des fourches, des piques et des arcs. En cas de guerre, il fallait forcément jouer le jeu de l’uniformisation industrielle qui offrait une puissance de destruction incomparablement supérieure à ce que des braves en épée peuvent produire. Pour protéger Bordeaux de l’invasion, il fallait clairement batailler dans la Somme.
 
Et dans le même temps que cette vision de la guerre changeait, les Français quittaient de plus en plus leur village pour devenir les habitants d’un grand pays et non plus d’un pays entendu jusque là comme canton.

Avant Ferry, les Français n’avaient, en grande majorité et princes inclus, aucun intérêt à défendre au-delà de leur village. Avec Ferry, cette vision d’horizon court a été complètement révisée. Au point de déboucher sur celle d’horizon très lointain, donc sur la colonisation.

Avion, paquebot, train, automobile, toute cette quincaillerie industrielle mettait le Monde à portée des moindres Français qui découvrirent la transcendance ou le dieu « voyage » (amorcé par l’Orientalisme).

Dien Bien Phu faisant, il a fallu en rabattre de cette soudaine et bien trop délirante vision. Il a fallu revenir à une vision seulement hexagonale de la patrie.

Dans l’intervalle, il y a eu deux guerres terribles. Deux guerres où les Français, dans un esprit plus égalitariste que jamais, au point même de s’égaliser avec toutes sortes de nègres, en tous cas le temps des batailles, se sont mis d’accord pour protéger l’hexagone devenu contenant de la Nation ainsi que de toutes les transcendances ou espérances.

On étudiait par la nation, on était logé par la nation, on avait du travail par la nation, une carte d’identité par la nation, on se mariait par la nation et on avait des diplômes donc une autorité par la nation...

Quand on mourait dans cet esprit et lors de bataille sur notre territoire, on était automatiquement honoré par les survivants. Il jaillissait du sens et du sens national de ces tueries. Et parce que les Boches étaient plus modernes et instruits, les Français ressentaient qu’il s’agissait d’une guerre de civilisation et ressentaient donc le besoin de se moderniser, d’embrasser plus que jamais l’industrialisation.

En 1915, les mineurs du charbon étaient convaincus qu’ils se tuaient à la tâche pour favoriser la France en sa modernisation et acceptaient les mêmes sacrifices que s’ils étaient dans une tranchée.

Hélas, les bourgeois ont profité de cette nouvelle solidarité qui poussait un Lorrain à considérer comme frères les gens du Roussillon, de Bretagne, d’Auvergne, qui poussait chaque ouvrier à se tuer à la tâche pour les Autres (nationaux, seulement nationaux). Hélas, le volontarisme des ouvriers a été récupéré par les chefs de l’industrie

D’où des velléités aussi de redivision, d’un retour à chacun pour son clocher. Au corporatisme au moins professionnel mais pas seulement. D’où l’opportunité aussi de l’internationale ouvrière et du communisme.

Si donc il y a eu une époque où sans aucun doute, le Breton savait être reconnaissant envers le Berrichon mort dans la Marne, ce culte des morts pour la Patrie se réalisait tout de même village par village, administration par administration, école par école, syndicat par syndicat, chaque entité gravant dans le marbre sa propre liste.

Et tout ça pendant que chaque soldat, face à la boucherie et à l’enfer qu’il vivait, se demandait souvent s’il n’était pas abusé quelque part.


(La glorification des mâles méritants aux champs de blés, aux champs industriels et aux champs d’honneur, a eu un impact considérable sur les femmes qui se mirent à réclamer de pouvoir combattre, au moins d’une autre manière, et de pouvoir mourir éventuellement, elles aussi, pour la Patrie. D’où une grande part du fonds féministe et leur apparition dans toutes les résistances, logistiques industrielles et tribunes)




Contrairement à la France, le Canada n’a jamais colonisé et s’est régulièrement porté volontaire pour délivrer quelque démocratie d’un moustachu puis s’en est rentré chez lui sans rien exiger. La France républicaine n’en a jamais fait autant pour quiconque et a régulièrement raté toutes les occasions d’éviter des massacres au loin. Même quand elle a eu un Leclerc qui lui disait en 46 que pour l’Indochine il fallait cesser le colonialisme, elle a persisté dans son francisme.

 
Il était même question de drapeau français en Antarctique voire dans les abysses. Mais les peuples du monde ont protesté, nous avons entendu leur voix quand ils parlaient en français et nous avons ramené le drapeau ici (de nos jours, les Ricains ne pourraient plus planter leur bannière sur la Lune sans s’exposer à des critiques internationales).


Plus l’industrie a normalisé, plus les autres peuples se sont industrialisés et ont eux aussi quitté les visions féodales pour embrasser les visions mondialistes (en économie, en finance, en écologie, en énergie, en ressource, en protection de la nature...)
Les nations ont unifié les unités non seulement en leur territoire mais également entre elles



Parce que les Français ont dû en rabattre de leur Patrie à perte de vue, parce qu’ils ont été culpabilisés de cette trop grande prétention, de leur aveuglement colonialiste, ils ressentent des complexes sur ce sujet de la Patrie.

Et nos complexes patriotiques n’ont pas été amoindris par la honteuse collaboration de notre police et de notre gendarmerie pendant l’occupation (Merci Joseph Darnand). Chose que le Canada ne peut pas se reprocher.

(Aux EU, il y a eu des épisodes formant la gloire des policiers, shérif, Eliot Ness. En Italie aussi il y a de quoi admirer les juges anti mafia. En France, il n’y a rien de tel, tout au contraire)


Il y a une nouvelle génération française qui sait entendre les réflexions des étrangers, qui est invitée à bosser à l’international, dans ces pays autrefois colonies. Elle estime souvent que la notion de patrie hexagonale est dépassée et ne se gêne guère pour dire préfèrer les EU, la Chine, le Québec ou l’Australie. Elle se sent enfant du Monde, réclame d’être entendue partout dans le Monde et utilise donc une rhétorique mondialiste.

Depuis 1945, nous avons pris conscience que notre industrialisme passait par le case pétrole, bauxite ou uranium, que nous avons un besoin « vital » de ressources situées loin au-delà de nos frontières et que nous devons conserver quelque main dessus. Notre sens du vital a donc changé. Il est moins territorialiste et plus ressourciste.

Or, si le territorialisme est une vision qui peut se comprendre à peu près partout dans le monde des sédentaires, le ressourcisme est nettement plus contestable s’il n’est pas réalisé de manière équitable entre toutes les nations (à la manière du partage de l’Antarctique).

Si de nos jours, le Monde entier accepte sans problème que nous honorions des soldats tombés pour avoir défendu notre espace hexagonal, il comprendrait moins que nous honorions des soldats morts pour nous avoir permis de mettre la main sur quelque ressource située en pays étranger.

Notre gouvernement n’est pas le seul à accaparer au loin mais tous ceux qui en font autant se retrouvent pris entre les ciseaux de la demande nationale et le reproche international.

Nous en venons donc à honorer nos soldats morts de manière de plus en plus discrète et depuis l’Occupation, nous sommes devenus experts du double langage. Chaque Français se réserve le droit de pouvoir dire, selon l’heure et l’ambiance, que se saisir du pétrole étranger c’est dégueulasse, que le défilé du 14 juillet est dépassé, que l’essence est trop chère, que les gendarmes sont vicieux et que la Police n’est jamais là quand on a besoin d’elle, que la guerre est une horreur, qu’il faut virer Kadhafi, Assad, Saleh...


Nos soldats opérant au loin sont conscients de ces enjeux et n’en demandent pas davantage. Ils sont satisfaits des petits et discrets honneurs que nous leur rendons actuellement. Ils n’apprécient pas que certains Français leur crachent à la figure mais en comprennent très bien les raisons. Ils se contentent donc des honneurs que l’Etat leur rend en sourdine, dans quelque hangar.

La vision de tous les soldats du Monde a forcément évolué. Les nôtres savent très bien qu’ils ne défendent plus notre territoire mais des ressources qui gisent chez d’autres. Ils savent que la légitimité de leurs actions militaires est nettement plus discutable. Et, comme les soldats des autres nations, les nôtres apprécient d’opérer hors territoire national avec l’aval d’un quelconque machin international.

Désormais, la voix d’un Massaï ou en tous cas d’un Singapourien et d’un Mexicain compte beaucoup dans le jugement donc dans la Justice des choses. Le Machin, sous diverses formes, compte de plus en plus et pour tous les Terriens.

D’autre part, après la professionnalisation de l’Armée, il est de plus en plus considéré que les soldats font un métier comme un autre pendant que tous les autres professionnels sont également des soldats

Notre militaire professionnel tue cinquante fois avant d’être tué. Il meurt à peine plus de soldats en kaki que de pompiers qu’on peut alors appeler soldat du feu et il va bientôt tomber plus de soldats de l’industrie télécom ou de la Police que dans l’armée. 

Le nombre de morts dans le domaine du bâtiment dépasse celui de l’armée. Nos représentants de commerce se tuent sur la route par centaines chaque année. Les mineurs de Chine tombent comme des mouches pour nous livrer des barbecues à 17€. Et au Japon, les héros de l’année ne sont pas des hommes en armes. 

Alors, les défilés, autrefois très militaires, changent d’allure et on y trouve de plus en plus des corps civils et de plus en plus de soldats étrangers. A l’évidence, la Gay pride est arrivée en contrevaleur du défilé militaire et de ses phallus d’acier.
 

Le Canada, qui a un siècle de tradition archangiste, peut encore pratiquer l’héroïsme militaire en grandes pompes. Les Australiens et les Vietnamiens le pourraient aussi. Les EU ne le peuvent pas, les Français non plus. Même notre marseillaise nous file des boutons quand elle n’est pas entonnée en contexte sportif, et encore.


Les Français comme les Ricains et les Anglais, doivent rapatrier leurs cercueils en petite fanfare et quasiment personne n’en exige davantage, pas même leur famille. Pourvu qu’elles aient une indemnité versée en espèces sonnantes, ça suffit amplement aux visions actuelles où l’argent justifie et console tout.

Qui sont ces rares personnes qui réclameraient plus d’honneurs pour nos professionnels de la mort au loin ?

Sans doute des personnes qui ressentent de la reconnaissance pour eux. Des personnes qui estiment vivent confortablement ici grâce à ces batailles sur des ressources lointaines. Des personnes qui ont l’impression de ne pas en faire suffisamment pour les Autres. Des personnes qui réalisent qu’elles doivent énormément aux soldats de 14 et de 39, aux Résistants, aux Boys débarqués en Normandie sous la mitraille et à ceux qui gardent nos puits ou mines...

A ces personnes, je recommande de rendre leur propre part d’honneur à qui elles veulent mais de renoncer au jeu consistant à appeler les autres à réaliser le geste à leur place.
Le respect, la gratitude ne doit pas se rechercher par procuration ou entremise. Elle doit se réaliser pour sa propre et pleine part.

On aura entendu des millions de fois « Il n’a pas dit un seul mot sur la victime » alors que ce mot, c’est à chacun de le dire s’il en a envie. On ne doit pas appeler à « avoir un mot pour la victime » alors qu’il suffit qu’on le dise soi-même ce mot ; alors qu’il suffit de le combler soi-même ce vide qui nous choque ; alors qu’il suffit de construire soi-même la chose ou valeur qui nous semble manquer.

La gratitude est quelque chose qui doit s’exprimer très individuellement d’abord. Ce n’est pas penser au sacrifice d’un soldat ou d’un parent que de se tourner vers les autres pour leur demander d’y penser. A moins d’adorer la théâtralisation.


Tout ça , l’auteur le sait aussi bien que tout le monde mais n’en a pas dit un mot. Je ne le lui reproche pas mais moi, ce mot qui n’a pas été dit, je le dis, voilà tout.


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