Affaire criminelle : le curé d’Uruffe
Le 3 décembre 1956, Régine Fays âgée de 19 ans et enceinte de huit mois, emprunte vers 18 heures un chemin à la sortie du village d'Uruffe (Meurthe-et-Moselle). A l'heure du souper, ses parents et la fratrie (quatre enfants) sont inquiets de ne pas la voir revenir. Dans la nuit du 3 au 4, le son des cloches résonne dans le petit village situé à une quarantaine kilomètres de Nancy. Le maire, à la demande du curé du village, appelle les villageois à organiser une battue et retrouver Régine. Les recherches restent infructueuses. Aucune trace de la mineure disparue (la majorité est dfixée à 21 ans). Le lendemain matin, le père Guy Desnoyers accompagné de Michelle Léonard et du frère de celle-ci parcourent une petite route en direction de Pagny-la-Blanche-Côte. Soudain, le curé immobilise son véhicule et se dirige vers un bosquet. Le corps gît allongé, les bras en croix et présente trois orifices de balles. Régine a été éventrée pour extraire le corps de l'enfant à naître et en lacérer le visage à le rendre méconnaissable. Le curé s'agenouille et bénit les corps des victimes.
Guy-Marie-Louis-Henri Desnoyers et l'aîné d'une famille catholique aisée de propriétaires terriens est né en 1920 à Haplemont (Lorraine). Incité par sa grand-mère, il va embrasser la prêtrise ; petit séminaire à Bosserville puis grand séminaire à Villers-lès-Nancy. Le Grand séminaire est contrait de fermer en raison de la Seconde Guerre mondiale au premier trimestre. Desnoyers rejoint l'usine de Neuves-Maisons au titre du STO et à une liaison avec une jeune fille catholique, d'envisager le mariage. Cette dernière décide de rompre lorsque Guy lui apprend qu'avant de la rencontrer, il se destinait à la prêtrise, ne pouvant envisager de le détourner de Dieu.
Guy Desnoyers est ordonné prêtre en 1946 puis affecté, comme vicaire, à Blâmont où il va entretenir une liaison avec Madeleine, une adolescente de 16 ans. Lors du mariage de Madeleine avec un jeune homme en partance pour l'Algérie, c'est lui qui prononce le sermon de fidélité ! Leur liaison finit par s'ébruiter. Au mois d'octobre 1956, le curé Guy Denoyers est muté à Rehon (Meurthe-et-Moselle). Le curé n'a pas renoncé à ses frasques, il va même y entretenir plusieurs liaisons avec différentes adolescentes. Peu après l'administration des derniers sacrements à un fidèle et père de quatre enfants, la veuve va s'offrir à lui et la quinquagénaire se montrer très généreuse : 50.000 francs pour réparer le toit de l'église et lui accorder un prêt de 150.000 francs pour l'achat d'une 4 CV !
En juillet 1950, Guy Denoyers est nommé curé de la paroisse d'Uruffe. Le nouveau curé organise des excursions pour adolescents, pratique le football au sein de l'équipe qu'il a fondée, s'occupe de la chorale, d'un théâtre amateur et du cinéma paroissial. En 1953, le fringuant curé qui a une relation avec Michèle Léonard, une « ado » de seize ans, la persuade d'accoucher anonymement et de confier l'enfant à une œuvre, en guise d'explication à son entourage, une anémie graisseuse... C'est le curé en personne qui conduira l'adolescente dans l'Ain où elle accouchera et y abandonner cet enfant du péché. Denoyers a révélé la vérité au couple d'amis, fervent catholique, qui a hebergé la fille. L'évêque de Nancy, Monseigneur Lallier, est alerté par des lettres anonymes. Il rend visite au curé, ce dernier lui déclare, s'il a dit cela, s'était pour que ce couple vienne en aide à l'adolescente... Le prélat lui renouvelle sa confiance et le maintient.
Les rumeurs bruissent et les langues se délient, les enquêteurs apprennent que monsieur le curé trousse, à l'envi, sa soutane. Michelle Léonard déclare aux enquêteurs que Régine lui a confié que le père de l'enfant à naître n'était autre que Guy Desnoyers, le curé d'Uruffe ! Régine travaillait comme ouvrière à la verrerie de Vannes-le-Châtel et ses parents accueillaient volontiers le bon curé à dîner lors des week-ends. Lorsque le curé se retrouvait seul en compagnie de la petite sœur de Régine, celui-ci se faisait masturber par la fillette âgée d'une quinzaine d'années... Comme Régine a toujours refusé de révéler qui était le père de l'enfant à naître, le prêtre, du village de 392 âmes, rapporta aux parents des aveux reçus en confession : « il s'agit d'un mauvais garçon, qui refuse de reconnaître sa progéniture et qu'il s'est engagé dans l'armée pour partir en Algérie ».
Le 5 décembre, Guy Desnoyers est placé en garde à vue et nie catégoriquement être le géniteur. Il connaît ce dernier, mais invoque « le secret de la confession », d'exhiber un livre de droit canonique sous le nez des enquêteurs. Dans la France d'alors profondément catholique, l'affaire a l'effet d'un séisme. L’évêque de Nancy fait le déplacement pour s'entretenir avec le suspect. Le curé se dit innocent. Si Monseigneur semble le croire, les gendarmes ne partagent pas son avis. Ils ont retrouvé une douille d'un calibre 6.35, type de pistolet pour lequel le curé disposait d'un permis de détention d'arme. Celui-ci finit par craquer et de passer aux aveux.
Il a fixé rendez-vous à sa jeune maîtresse pour le 3 décembre à 18 heures (la nuit tombe vite) au pied du calvaire à la sortie du village où il l'attendra au volant de sa 4 CV. Il l'implore d'accepter un accouchement clandestin. Le curé lui propose, à deux reprises, de lui donner l'absolution ! Étonnée par cette proposition incongrue, elle refuse et s'éloigne à pied. Le curé extirpe un pistolet de sa soutane et tire à trois reprises sur la future mère qui s'écroule mortellement atteinte, une balle dans la nuque à bout touchant ! Le curé éventre sa jeune maitresse pour en extraire le petit corps, une fille née viable, qu'il baptise avant de la poignarder, lui lacérer le visage jusqu'à le rendre méconnaissable, et d'essuyer la lame de son poignard de scout avec un mouchoir imbibé d'essence !
La France est bouleversée par l'acte odieux du Monstre en soutane. L’Église organise des cérémonies expiatoires pour racheter les crimes du prêtre. L'Eglise attache plus d'importance à l'âme des pécheurs qu'à celles des victimes. « A cette époque j'étais en pension chez les sœurs à Pompey on a voulu nous faire prier pour l'âme du curé d'Uruffe rien pour la victime et son bébé, quelle honte pour l’Église. (...) Cette affaire m'a permis de devenir simplement athée. J'avais 10 ans lorsque le curé de ma paroisse, à Nancy, nous a fait prier pour le curé, mais pas un mot ni pour la mère ni pour l'enfant » ! Une frange de la société va prendre conscience que le mensonge est consubstantiel aux religions.
L'incarcération du curé pose un problème à l'administration pénitentiaire qui va d'abord l'écrouer sous un nom d'emprunt, et toute personne devant le rencontrer sera fouillée... Guy Desnoyers, affecté à la bibliothèque, envisage de convoler avec une visiteuse de prison rencontrée... Le procès s'ouvre le 24 janvier 1958 devant la Cour d’assises de Nancy, sur les sept jurés lorrains et catholiques..., cinq sont membres de l'Association catholique ! Quand le procès du curé s'ouvre, le suspect a passé 14 mois en préventive. Les questions portent sur l'accusé jamais sur l'institution et sa responsabilité, ni d'évoquer la sélection des séminaristes, la prêtrise, les matières dispensées et la hiérarchie catholique. S'il a tué, c'était pour éviter le scandale à l’Église et protéger son ministère qui est plus important qu'une vie ! Pourquoi n'a-t-il pas renoncé à son vœu pour épouser Régine ? Impossible, je suis prêtre. A-t-il pensé au suicide ? impossible je suis prêtre ! Le président de conclure : « Ce fut une vie marquée de la plus vulgaire lubricité », et l'avocat général de réclamer la peine de mort : « Il a trompé Dieu qu’il avait choisi comme maître et a trompé ceux à qui il avait mission d’enseigner la pureté. (...) Je ne sais si ce Dieu que vous avez ignominieusement servi aura pitié de vous à l'heure, peut-être proche, de votre mort. Moi, je ne connais que la justice des hommes et je sais qu'elle ne peut vous pardonner ».
Le procès fut expéditif, ouvert à 9 heures et le huis clos prononcé à midi, les auditeurs sont invités à regagner la salle à 16 heures pour entendre l'avocat général. Le verdicte tombe après une heure et demie de délibéré. Le curé Guy Denoyers reconnu coupable des crimes d'assassinat et d'infanticide est condamné aux travaux forcés à perpétuité. A la surprise générale, le meurtrier a bénéficié de circonstances atténuantes pour son double assassinats. La Justice républicaine et laïque se sent dépossédée, le procureur général est dépité. Trois jours plus tard, lors d'une autre affaire criminelle dont l'accusé encoure la peine de mort, le Procureur général déclare : « qu'il n'aurait pas l'indécence de demander sa tête alors que le monstre qui se trouvait à sa place là veille avait sauvé la sienne ».
La clémence du jugement trouverait-elle son origine dans le réchauffement des relations entre la France et le Vatican ? Le 30 novembre 1920 la chambre avait voté la reprise des Relations avec le Vatican (397 voix pour, 209 voix contre), s'en était suivi en au mois de mai 1957, la visite officielle du Président de la République René Coty au pape Pie XII (une première depuis la venue de Charles VIII à Rome en 1495). Le Président René Coty arborait lors de l'audience pontificale, les insignes de l'Ordre du Christ..., et fut élevé au titre de premier Chanoine honoraire en la basilique Saint-Jean-de-Latran ! René Coty de retour en France écrivit à sa Sainteté : « Le peuple de mon pays gardera précieusement le souvenir des paroles d'une bienveillance si profonde par lesquelles s'est exprimé son amour pour la France et des vœux qu'elle a formés pour la poursuite de sa mission séculaire ».
Le curé suspendu « a divinis », des Catholiques vont réinterprèter l'histoire d’Adam et Eve. Le curé fut la victime du charme féminin - Soumettre un curé à la tentation n'est-ce pas jouer avec le Diable - Au moins, celui-là n'allait pas leur disputer les petits garçons... L'assassin Guy Denoyer est grâcié le 27 septembre 1973 par le président Georges Pompidou... Au mois de septembre 1978 (présidence VGE), les journaux révélent qu'il a quitté la prison au mois d'août pour rejoindre l'abbaye Sainte-Anne de Kergonan à Plouharnel (Morbihan). Le choix de l'abbaye peut paraître « ironique », car ce site accueille les bénédictins de Sainte-Anne et les bénédictines (25 moniales) de Saint-Michel..., dont les deux abbayes ne sont distantes que d'un kilomètre. L'ancien curé d'Uruffe va y passer trente-deux années avant d'y décéder le 21 avril 2010 à l'âge de 90 ans. L'histoire du Diable en soutane allait connaître un autre rebondissement avec l'épitaphe gravée sur la tombe de Régine Fays et de son bébé : « Ici repose Régine Fays, tuée par G.D le curé de son village ». Le père de Régine décédé, l’Église est parvenue à faire effacer la mention « tuée par le curé de son village »...
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