Affaire du testament de Johnny : libéralisme contre étatisme
L' "affaire" du testament de Johnny Hallyday est encore une fois au centre de l'attention médiatique. Un jour à peine après l'annonce de la sortie de l'album posthume, censé calmer les ardeurs des deux camps, c'est un nouveau scoop qui relance la guerre juridique et médiatique. Les journalistes français se sont en effet procurés un document dans lequel le gestionnaire des actifs états-uniens de Johnny demande à la Cour Suprême californienne d'intégrer dix-sept biens de l'artiste dans le fameux trust au nom de son épouse Laeticia, ce qui rendrait ces biens insaisissables par la justice française et porterait un coup sévère au camp des enfants du premier lit. Parmi ces biens se trouvent effectivement des motos, voitures, biens immobiliers et royalties de l'artiste, soit l'équivalent de plusieurs millions d'euros.
Dès la mort du rockeur, l'unité familiale d'apparat s'est fêlée autour des questions financières. Les enfants aînés n'appréciant que peu le geste de leur père qui a légué l'ensemble de sa fortune à son épouse et à ses filles adoptives. Une scission visible aussi bien dans la famille que parmi les fans qui n'ont pas hésité à s'envoyer des volées de bois vert entre pro-Laeticia et pro-Smet, sous l'œil rigolard des internautes non-intéressés riant de ces smicards qui s'étripaient pour défendre tel ou tel millionnaire.
Pourtant, cette épineuse affaire nous concerne tous, fans ou non du défunt rockeur. Car la mort, l'héritage et les rapports familiaux sont le lot de tous les mortels. Ce n'est pas là uniquement une bataille entre une veuve et des enfants du premier lit, c'est aussi et avant tout une bataille entre deux conceptions du droit, et même une controverse eschatologique.
En France, il est en effet interdit de déshériter ses enfants, considérés comme héritiers naturels tandis que le droit états-unien donne une liberté totale pour disposer de sa fortune. Cette dichotomie trouve son origine dans les sources respectives des deux systèmes juridiques. Le droit français est par essence romain et catholique, mâtiné d'étatisme paternaliste et d'un thomisme rigide qui fait passer l'idée de "bien commun" avant toute chose. Ce n'est pas un hasard si la "raison d'état" a vu le jour en France. Ainsi, quels que soient vos rapports avec vos enfants et vos désirs de les priver du fruit de votre labeur, vous êtes obligés par la loi de leur léguer trois quarts de votre fortune. Car, vos désirs sont bien peu de choses face à l'ordre social cher au droit français. Même le roi Louis XIV, craint et vénéré de son vivant, a vu son testament être cassé à sa mort par le parlement de Paris qui ne pouvait supporter certaines clauses dont l'officialisation des enfants hors-mariage du défunt roi. Cette conception est dite jusnaturaliste puisqu'elle tire son raisonnement d'un supposé droit naturel selon lequel la fortune d'un père revient naturellement à son enfant, toute dérogation y est donc considérée comme contre-nature.
Cette notion d'ordre naturel est absente dans le droit anglo-saxon qui n'est pas jusnaturaliste mais positiviste. Le positivisme juridique fait passer la liberté avant toute idée préconçue de naturalité. Ainsi, en vertu du droit états-unien, vous pouvez léguer votre fortune à qui vous voulez : association, voisin, animal de compagnie etc… Cette vision du droit est éminemment liée à la religion protestante, majoritaire dans les pays anglo-saxons, où le libre-arbitre individuel prime sur la pression collective. Le protestantisme est une religion d'individus tandis que le catholicisme est une religion grégaire. Le libéralisme des XVIII-XIXème siècles n'a fait que renforcer la conception positiviste du droit anglo-saxon qui se base davantage sur les jurisprudences que sur les maximes morales.
Si la décision de Johnny a de quoi surprendre les Français attachés au modèle latin de la transmission et de la famille nucléaire, elle est banalement ordinaire pour nos voisins anglo-saxons chez lesquels il est commun qu'un milliardaire ne lègue qu'une partie minime (ou rien du tout) de sa fortune à ses enfants, ce, sans forcément qu'il y ait un conflit entre les deux. Là encore, nous devons nous pencher sur l'aspect religieux pour mieux comprendre cela : le protestantisme considère que chacun est responsable de son salut. Une vision religieuse qui a déteint sur les mentalités et se traduit par la valorisation des accomplissements individuels. Si chacun doit œuvrer à son salut, chacun doit aussi suer pour construire sa propre fortune sans être avantagé par les efforts d'un père ou d'un grand-père dont on n'aurait plus qu'à profiter dans un farniente tout à fait étranger à ce culte de l'effort qu'est le protestantisme. Une vision qui ferait hurler d'horreur un catho attaché à la transmission, à l'héritage, au terroir et rebuté par l'idée du travail qu'il considère comme une conséquence du pêché originel. C'est d'autant plus vrai en France où le mot "travail" vient de "tripalium", terme servant à désigner un instrument de torture. Le terme "laborieux" est également chargé d'une connotation négative puisqu'un résultat obtenu après des efforts "laborieux" signifie qu'on a du s'abaisser à suer pour réaliser ses objectifs. Ainsi, il est plus valorisant d'être un héritier vivant de rentes que d'être un "parvenu" (notez l'aspect négatif de ce terme), car être parvenu à s'élever de sa condition sociale signifie qu'on est entré dans un milieu où on n'a pas notre place, tandis que la société anglo-saxonne exalte au contraire ceux qui parviennent à se réaliser à grand renfort d'huile de coude, les self-made-men.
Lorsqu'un père anglais lègue sa fortune à une fondation de bienfaisance plutôt qu'à son enfant, ce n'est donc pas pour le punir mais presque pour l'encourager à devenir par l'effort aussi riche qu'il l'est lui-même devenu, car il considère que lui léguer le fruit de son effort équivaudrait à l'installer dans la paresse et donc à précipiter sa déchéance. Tandis que dans le cas d'un Français, on parle volontiers de "déshéritement". Le verbe "déshériter" n'est pas innocent : il traduit un acte volontaire de spoliation, presqu'un un attentat contre l'ordre des choses, un acte malveillant calculé, un ultime bras d'honneur posthume à ses enfants, donc, forcément une détestation envers ces derniers. Son équivalent anglais "disinherit" n'est que très rarement usité, puisque la non-transmission de biens à son enfant n'a rien d'exceptionnel ou de malveillant dans le Common Law. Ainsi, là où les médias français, ébahis, ont titré que Johnny avait "déshérité ses enfants", les médias états-uniens auraient sobrement déclaré : "Johnny Hallyday a légué l'ensemble de sa fortune à son épouse".
D'ailleurs, une telle affaire n'aurait sans doute pas tenu en haleine l'opinion américaine. Il y a certes de longs conflits d'héritage outre-Atlantique mais ils portent uniquement sur le fond factuel de l'affaire et non sur les considérations philosophiques. Prenons un cas fictif : un certain Mr. Smith, magnat du pétrole, meurt d'une crise cardiaque à 90 ans après avoir légué toute sa fortune de trois milliards de dollars à sa masseuse russe de vingt ans qui (dit-on) est une émule de Marguerite Steinheil. Les enfants vont bien entendu faire grise mine et saisir la justice afin de déterminer si leur géniteur a bel et bien écrit ce testament ou si c'est un faux, s'il avait toute sa tête ou s'il était manipulé et en état de fragilité. Si la falsification ou l'aliénation sont établies, le testament sera invalidé et les enfants hériteront de la fortune paternelle. Mais s'il apparaît que Mr. Smith a volontairement et consciemment choisi sa pulpeuse Russe pour héritière, la justice n'aura d'autre choix que de valider les dernières volontés du défunt, sans atermoiements moraux et métaphysiques sur la transmission.
Or, dans l' "affaire" Johnny, il est exclu que ce dernier ait été manipulé par son épouse, puisqu'il avait pris dès 2014 (quand il n'était pas encore malade) les mesures nécessaires pour qu'elle héritât de ses biens, c'est alors qu'il avait rédigé le fameux testament américain. Dès lors, la volonté consciente et manifeste de Jean-Philippe Smet étant que son épouse et ses enfants adoptives soient ses héritières exclusives, il n'existe aucune raison d'épiloguer sur une prétendue "légitimité" et un supposé "ordre naturel" qui empêcherait l'exécution de ces dernières volontés. Or, les partisans du camp Smet n'ont qu'un seul argument : "on ne déshérite pas ses enfants", faisant fi de la volonté expresse de l'artiste. Un tel argument n'est qu'une négation de la liberté et de la volonté du défunt qui, même dans la mort, doit s'incliner face à la raison d'État et à l'ordre établi, chose que le rockeur détestait déjà de son vivant.
En outre, le camp Smet tente à tout prix de discréditer Laeticia en arguant qu'elle aurait empêché son époux de voir Laura, qu'elle aurait censuré la chanson Laura, qu'elle n'aurait pas prévenu elle-même les enfants de la mort de leur père, qu'elle aurait fait licencier la cuisinière et le garde du corps de Johnny, qu'elle serait la fille d'un affairiste et la sœur d'un escroc... Bref, une marâtre égoïste qui aurait tout fait pour éloigner l'artiste de ses enfants aînés qu'elle n'aurait jamais aimé. Quand bien même ces allégations seraient vraies, elles ne changent pas un iota à la volonté du défunt artiste, qui l'avait désignée pour héritière : que celle-ci soit méchante ou gentille, cela n'enlève et n'ajoute rien à sa légitimité. A partir du moment où une personne en pleine possession de ses moyens écrit ses volontés, le reste n'est que littérature.
Cette controverse juridique est donc aussi un affrontement entre l'étatisme français et le libéralisme anglo-saxon. La victoire d'un camp ou de l'autre ne changera certes rien pour nous financièrement mais aura d'inévitables répercussions philosophiques. Une victoire de Laeticia serait susceptible de faire souffler un vent nouveau sur le droit français sclérosé et l'amener à évoluer vers plus de libéralisme. Car le "droit naturel" n'est qu'un droit positif qui s'ignore.
Sur le même thème
« J'ai compris que nous avions besoin de guides sûrs sur la Voie du Nord » : des Occidentaux de traditions germano-scandinaves, parlentAdhésion de 4 oblasts à la Russie : le réquisitoire de Vladimir Poutine (discours intégral)
LE NAZARÉEN : Ses lointaines Racines Spirituelles
La France de Jacques Tati
« Je souhaite que chacun, dans son identité propre, renoue avec ses racines spirituelles » : des Occidentaux de traditions celtes, parlent
9 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON