Agro-carburants : n’en déplaise à la FNSEA, une aberration énergétique de plus !
Les agriculteurs de la FNSEA bloquent 17 raffineries et dépôts de carburants pour protester contre l’importation d’huile de palme par TOTAL, ainsi que des produits agricoles ne respectant pas, selon eux, les normes françaises et européennes. Mais ces agro-carburants permettent-ils de compenser ou réduire la consommation de pétrole et lutter contre le dérèglement climatique, et ne sont-ils pas un leurre ?...
D’après la présidente du syndicat agricole FNSEA, l’huile de palme est moins chère, de 30 %, mais est issue des plantations géantes d’Indonésie et de Malaisie, responsables de la destruction de l’une des dernières grandes forêts primaires du monde. Invoquant ce désastre écologique, le syndicat demande que la raffinerie remplace cette matière première par une autre plus « politiquement correcte », le colza français (comme s’il ne fallait pas également des terres pour le cultiver). Concernant l’huile de palme, Total prévoit d’en acheter 50 000 tonnes, quand la FNSEA parle de 200 000 tonnes. Mais qu’importe ces chiffres, l’essentiel est ailleurs avec le principe même de ce type de production agricole utilisée pour en extraire des carburants.
Des carburants Issus de la production agricole, c’est bien là le problème !
Les agro-carburants, dénommés abusivement « Bio carburants » dont le préfixe « bio » fait référence à la biomasse et qui peut laisser croire que ces carburants seraient « Bio », ce qui est totalement faux. A la différence des carburants fossiles qui sont dérivés du pétrole, ce sont des carburants produits à partir de matières organiques issues de la production agricole. Et c’est d’ailleurs là tout le problème, car il faut des terres pour la culture ce qui suppose déboiser, défricher et beaucoup l’eau, sans compter les intrants (herbicides, fongicides etc.).
Pour rappel les agro-carburants produits à partir de l’agriculture sont :
Les huiles :
Outre l’huile de palme extraite par pression à chaud de la pulpe des fruits du palmier à huile, elles sont extraites de plantes oléagineuses comme le colza, le tournesol, elles sont obtenues par pressage et, après décantation-filtration, elles sont directement utilisables dans les moteurs diesels « simples » (qui ne sont trop sophistiqués, ou encore des moteurs assez anciens). Cette huile peut être incorporée à 30% dans le gazole sans problème que l’on nomme agro-diésel.
Les alcools :
ils sont obtenus par fermentation des sucres contenus dans la betterave, le blé, le maïs, …. Il faut fabriquer l’alcool, puis le distiller et enfin le rendre pur avant de l’utiliser dans un moteur à essence
Les gaz de fermentation ou méthanisation :
en faisant fermenter en l’absence d’air (c’est à dire dans des cuves fermées) des matières organiques, on obtient un gaz qui contient du méthane et en moindre quantités : CO2, SO2, NH4, … appelé biogaz. Pour les transports ils ne peuvent être utilisés que dans les moteurs à essence. Jusqu’à présent, la fabrication du méthane par fermentation anaérobie (biogaz) n’a pas été développée à grande échelle avec comme objectif la production de carburant. Cette technique est toutefois fondamentale pour le traitement des déchets organiques (déchets ménagers, boues des stations d’épuration, sous produits de l’agriculture).
Les agro-carburants, une fausse bonne idée qui déplace les problèmes
Remplacer, en tout ou partie, les carburants fossiles, fortement émetteurs de gaz à effet de serre (GES), par des agro-carburants, supposés renouvelables, a semblé être une bonne idée face aux dérèglements climatiques. Mais en réalité, cela ne fait que déplacer le problème. Pour produire plus d’agro-carburants, il faut augmenter la superficie des terres agricoles. Cela se traduit par la destruction de zones forestières, elle-même génératrice de gaz à effet de serre.
Si avec l’introduction d’agro-carburants dans le gaz-oil ou l’essence, les émissions de GES dues au secteur des transports peuvent baisser, par contre celles dues à la déforestation augmentent ! En terme de bilan global, non seulement il n’y a pas réduction des émissions de GES, mais transfert et parfois hausse de ces émissions. Ainsi par ajout d’huile dans le gaz-oil pour en économiser 30%, en tenant compte de son impact de production, on va émettre en moyenne 80 % plus de gaz à effet de serre que le diesel qu’il remplace, qu’il soit produit avec des huiles végétales européennes, comme le colza français, ou importées de pays du Sud, ou encore à base d’huile de palme. Il est vrai que pour les multinationales qui sont derrière les agro-carburants on ne coupe qu’une seule fois une forêt, mais on produit sur le même sol de nouvelles cultures pour biocarburants chaque année avec les gains financiers qui en résultent.
En plus de déplacer les problèmes, un grave danger pour la biodiversité et la sécurité alimentaire dans les pays pauvres
En plus de déplacer et aggraver les rejets de GES, ce transfert se fait essentiellement aux dépens des pays du tiers monde. Les émissions de GES ne sont plus le fait des véhicules dans les pays industrialisés, mais d’immenses zones forestières transformées en terres arables pour des productions céréalières ou de palmiers à huile, dans le seul but de produire des agro-carburants dans les pays pauvres au détriment des cultures vivrières. Les pays riches se dédouanent ainsi des efforts qu’ils ont à fournir en terme de réduction de leurs émissions de GES sur le dos des pays pauvres qui eux voient leurs émissions augmenter !
En outre, la déforestation dans les pays pauvres qui met en péril la biodiversité des zones forestières et le cadre de vie des populations qui y résident rapportent bien plus aux industries agro-alimentaires qu’aux pays qui voient leurs forêts partir en fumée. La culture du palmier à huile en Indonésie en est l’exemple le plus spectaculaire. Les terres voisines de Papouasie-Nouvelle-Guinée pourraient suivre. Enfin, l’augmentation des cultures destinées à la production des agro-carburants fait grimper les prix des produits alimentaires et diminuer les réserves alimentaires mondiales.
Au rythme actuel des déplacements quelle surface serait-elle nécessaire en France ?
Avec le meilleur produit (huile brute de colza), il faudrait 20 millions d’hectares de terres cultivées pour assurer nos déplacements au même rythme qu’actuellement. Or la France dispose de 15 millions d’hectares de terres cultivables. Donc, cela n’a pas de sens, il faut d’abord se nourrir !!
Pour remplacer seulement 10 % des carburants pétroliers par des biocarburants, elle devrait y consacrer 2,7 millions d’hectares soit 18,5 % de sa surface agricole utile (SAU) contre 320 000 hectares actuellement qui couvrent 0,97 % des besoins en carburant. Dans l’état actuel de productivité des agro-carburants, il faudrait deux fois la surface totale de la SAU française pour couvrir l’ensemble des besoins en carburant. Pour mémoire, la SAU est composée de : terres arables (grande culture, cultures maraîchères, prairies artificielles...), surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages), cultures pérennes (vignes, vergers...). Elle n'inclut pas les bois et forêts. Elle comprend en revanche les surfaces en jachère (comprises dans les terres arables).
En France, la SAU représente environ 29 millions d'hectares, soit 54 % du territoire national. Elle se répartit en terres arables pour 62 %, en surfaces toujours en herbe pour 34 % et en cultures pérennes pour 4 %. Autrement dit environ 15 millions de terres cultivables. Même Avec la suppression des jachères en augmentant la surface cultivable de 10 %, on augmenterait la capacité de production d’agro-carburants. Mais cette décision extrêmement dommageable pour la biodiversité est sans commune mesure avec les surfaces qu’il faudrait cultiver pour que l’agriculture fabrique le carburant que l’on consomme actuellement.
Le retour à l’énergie animale pour les travaux de la ferme (bien qu’ayant été fondamentale dans notre histoire) n’est pas possible à cause du temps nécessaire pour reconstituer un parc de chevaux de trait suffisant, encore faudrait-il s’y « atteler » car les ressources et énergies fossiles s’épuisent rapidement, vu la croissance démographique et ses besoins correspondant si cela n’est pas régulé immédiatement.
Pour fabriquer la quantité suffisante d’huile brute pour alimenter les seules machines agricoles d’une exploitation, on estime qu’au lieu de consacrer 10% de la surface agricole de chaque exploitation pour la biodiversité : haies, bandes enherbées non traitées, ripisylves, corridors écologiques, ce qui est absolument nécessaire, en les réservant à la culture du colza ou du tournesol cela suffirait pour les machines agricoles, dont les agriculteurs peuvent utiliser l’huile végétale brute pour leurs besoins professionnels depuis 2006, et la sécurité alimentaire ne serait pas menacée. Certes… outre que ce serait une aberration pour la Biodiversité, pour des véhicules routiers autres ce serait totalement impossible, y compris ceux des agriculteurs.
Pas de plantes miracles pour la production d’agro-carburants sans effets collatéraux désastreux pour les ressources aquifères
On parle souvent des algues, mais surtout d’une plante « extraordinaire » par la quantité de biomasse qu’elle produit et qui serait intégralement transformée en carburant : ce serait un agro-carburant dit de 2ème génération. C’est le Miscanthus (appelée « herbe à éléphants » !). On estime que cette plante produirait 20 tonnes de matière sèche par hectare qu’il faudrait encore transformer en « carburant ». Parait-il que cela se ferait globalement avec une efficacité énergétique remarquable. Tout ceci relève d’une espérance qui permet de justifier des choix politiques comme étant une solution d’attente miracle... Par contre, ce qui est certain, c’est que de telles cultures nécessiteraient beaucoup d’eau. Et donc, dans ce cas, en plus de l’opposition critique nourriture- carburant pour l’occupation des terres, il y aurait la concurrence entre la ressource en eau et la production de carburant… Inadmissible !!
Il est temps de mettre un terme au leurre des agro-carburants, un remède pire que le mal
Une étude de l’ONG Européenne Transport et Environnement (T&E.) https://www.transportenvironment.org/press/biodiesel%E2%80%99s-impact-emissions-extra-12m-cars-our-roads-latest-figures-show, publiée le 25 avril 2016, estime ainsi que les agro-carburants, loin d’être vertueux pour le climat, émettent en fait plus de gaz à effet de serre que les combustibles fossiles (essence ou diesel). L’association s’appuie sur une vaste étude commandée par la Commission Européenne qui présentait ainsi un nouveau bilan des impacts des agro-carburants, en termes d’émissions et de surfaces cultivées, à l’horizon 2020.
A cette date, en Europe, 5 % d’agro-diesel en moyenne sera incorporé dans 1 litre de diesel. Or, selon l’étude, 1 litre de d’agro-diesel émet 80 % d’émissions de gaz à effet de serre de plus que 1 litre de diesel. Résultats : l’agro-diesel causera une hausse de 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au scénario d’un diesel pur. Soit l’équivalent, selon T & E, de 12 millions de voitures supplémentaires sur les routes européennes. Si en, plus le parc automobile augmentait à la cadence de 4 millions de véhicules comme cette dernière décennie, on peut imaginer les conséquences…
Cette hausse des émissions tomberait à 3,5 % pour tous les agro-carburants confondus (agro-diesel et agro-éthanol), puisque le l’agro-éthanol permettrait, de son côté, de réduire de 0,5 % les émissions de GES par rapport à l’essence.
La piste du recyclage, pas évident ?
Plus de 170 millions de litres d’huile de cuisson sont consommées dans la restauration privée et alimentaire. Ce qui en fait une quantité importante à valoriser ou à recycler ! Même si les restaurants sont obligés de passer par une filière de traitement spécifique, seuls 40 % des établissements respectent cette obligation. Reste que sur les 70 000 tonnes d'huile alimentaire utilisées chaque année en France, seules 26 000 tonnes sont collectées et recyclées.
En France, les particuliers ou les entreprises ne sont pas autorisés à utiliser d'huiles alimentaires usagées dans le moteur de leurs véhicules, sauf dans le cas particulier des véhicules agricoles. Une directive européenne y est pourtant favorable, mais selon les constructeurs automobiles, la forte densité et la viscosité de ces huiles (nommées HVB) pourraient entraîner des risques d'incidents mécaniques et une importante pollution.
Pour conclure
En finir avec le leurre des agro-carburants implique une décroissance des besoins en carburant, ce qui impose de réduire le nombre de véhicules routiers, de repenser l’usage de la voiture individuelle et de mieux recycler les huiles alimentaires pour satisfaire les besoins des véhicules agricoles. Ce qui éviterait que les 10% de l’espace que les agriculteurs consacreraient à la culture du soja pour des agro-carburants soient réservés à la préservation de la Biodiversité. Encore faudrait-il se poser la question de la décroissance démographique qui reste la problématique fondamentale…
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