Airbus iranien : 290 victimes de la peur
Longtemps, nous avons cru que la destruction de l’Airbus d’Iran Air en 1988 par un croiseur américain avait été causée par une mauvaise programmation des systèmes de reconnaissance de l’appareil. Le reportage qu’a diffusé la 6 mercredi soir démontre qu’il n’en est rien. Ce drame résulte de graves défaillances de l’équipement du Vincennes et d’une succession d’erreurs de son équipage, trompé par la peur d’être la cible d’une attaque.
Le matin du 3 juillet 1988, le croiseur AEGIS Vincennes patrouille dans le Golfe persique. Spécialisé dans la détection aérienne, c’est un des fleurons de la flotte américaine. Des attaques contre des navires marchands ont eu lieu les jours précédents. L’équipage redoute de subir le même sort qu’une autre unité de la Navy endommagée juste un an auparavant par deux missiles tirés d’un Mirage iranien. Scénario de guerre.
En ce début de matinée, un navire américain subit le feu de vedettes rapides iraniennes. L’US Vincennes se propose d’intervenir. Il n’est autorisé qu’à envoyer son hélicoptère de reconnaissance qui s’approche trop près et subit à son tour des tirs. Le croiseur se lance alors à la poursuite de ces vedettes et pénètre dans les eaux iraniennes. Les vedettes sont détruites. De nombreuses règles d’engagement de la marine américaine ont été bafouées.
À 10 h 47, le vol 655 d’Iran Air décolle de son escale de Bandar Abbas vers Dubaï pour un vol de moins de 30 minutes. Directement sous sa route : le Vincennes. La Navy dispose de son plan de vol. Son départ a été redardé. Une banalité dans le transport aérien. Au même moment, sur le même terrain, un F14 se prépare à partir en mission. L’équipage du Vincennes commet alors une première erreur : il attribue à l’Airbus le code de reconnaissance " ami/ennemi " du chasseur, (commençant par un " 2 "). L’Airbus, lui, dispose du bon code, (commençant par un " 3 "). Le fleuron de la technique attribue alors son identification à un A6 américain, situé à des kilomètres de là. Pendant 7 minutes, l’écho de l’appareil civil est identifié comme un appareil militaire.
Le Vincennes croit voir venir un F14. À sept reprises, son équipage tente de rentrer en contact avec lui en appelant sur une fréquence de détresse militaire. Les avions civils ne disposent pas de cette fréquence. En l’absence de réponse, l’appel est réitéré trois fois sur la fréquence civile. Le Vincennes appelle un " F14 irannien " voire un " avion inconnu dans les eaux internationales " quand l’Airbus survole encore les eaux iraniennes. L’équipage du navire tente de le décrire par son cap et sa vitesse par rapport au sol. Le cap est bon, mais, l’indicateur de vitesse de l’avion donne celle de l’air sur l’appareil, non sa vitesse au sol. La différence est sensible. Le Vincennes ne mentionne pas le couloir aérien suivi par l’Airbus - Amber 59 - qui figure pourtant sur son propre radar. Il n’utilise pas non plus le code du transpondeur attribué par le contrôle aérien indépendamment du code " ami/ennemi ". Ce code est affiché sur un cadran de l’Airbus et sur un radar du Vincennes. Personne ne songe à l’utiliser. Tous ces éléments renvoient à un vol civil, que l’équipage du Vincennes refuse de reconnaître comme tel. Quelques instants avant le drame, l’Airbus contacte Bandar Abbas sur la fréquence de l’aéroport. Le Vincennes ne dispose pas de radios permettant de veiller cette gamme de fréquences.
Toute la sémantique des appels du Vincennes est construite sur l’interpellation d’une menace. Logique de guerre, logique de peur. Personne, dans l’équipage de l’Airbus, ne pense menacer la flotte américaine en suivant un plan de vol connu, sur une route aérienne internationale.
Le pire est à venir. Un radariste du Vincennes croit que l’Airbus est descendu vers le Vincennes. Après dépouillement des données, l’enquête de la Navy prouvera que le radar n’a cessé de constater l’augmentation de son altitude. Le radariste s’est encore trompé d’avion. Cette seule remarque suffit cependant à convaincre le commandant du navire que la cible potentielle prépare une attaque. L’Airbus n’est plus qu’à 11 miles nautiques. Depuis son bunker blindé, le commandant fait tirer deux missiles, le doigt prêt à les détruire avant l’impact pendant que l’équipage cherche encore à joindre un pilote de l’appareil. La crainte l’emporte sur le doute. À 10 h 54, les missiles atteignent leur cible. Deux cent quatre-vingt-dix personnes ont péri. L’équipage du Vincennes n’a plus peur. Quelques instants plus tard, il constate son erreur.
Ses chefs seront décorés et promus.
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