Art : vols d’oeuvres d’art par les Nazis
Mars 2021, le tableau de Nicolas Poussin (1594-1665), Loth avec ses deux filles lui servant à boire, une peinture à l’huile de 120 sur 150 cm, volé par les Nazis à ses propriétaires à Poitiers (Vienne) en 1944, a été retrouvé au domicile d'un antiquaire près de Padoue (Italie). L’œuvre inscrite en 1947 dans le Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre 1939-45 a été reconnue lors d'une exposition aux Pays-Bas en 2019. Le tableau fut vendu en France à un antiquaire italien en 2017 qui l’a revendu à un homologue transalpin. Plus de 100.000 œuvres d'art ont été pillées dans les collections privées et les musées français durant l'occupation, et près de quarante mille d'entre elles sont toujours introuvables.
L'arrivée du nazisme va avoir d'importantes répercussions sur la « Kulture ». En 1933, les artistes allemands doivent s'inscrire à la Société Nationale Socialiste pour la Culture allemande (créée en 1927) et « participer à la nouvelle esthétique » du IIIe Reich. D'un côté l'art officiel ou Art héroïque symbole de la beauté classique et pureté de la race aryenne, de l'autre l'Art dégénéré (entartete Kunst). En 1935 Hitler offre à Hermann Göring, pour ses quarante-deux ans, un portrait de Bismarck peint par Lenbach, l’année suivante une aquarelle signée de la main même d'Adolphe Hitler.
En 1937 le chancelier inaugure une exposition à Munich qui promeut un « art allemand de valeur éternelle ». Plus de sept cents peintures : expressionnistes - dadaïstes - cubistes - futuristes - surréalistes provenant des musées allemands sont juxtaposées avec un tableau d'art officiel afin d'en marquer les différences. Leurs auteurs sont assimilés à des « malades mentaux » et une affichette indique le prix d'acquisition de chaque toile... L'exposition va accueillir plus de deux millions de visiteurs et l'exposition itinérante de trois ans à travers l'Allemagne et l'Autriche, un million de visiteurs. Tous les musées de province vont suivre l’exemple berlinois. Plus de 16.000 œuvres d'art moderne seront répertoriées comme « dégénérées ». Le peintre Ernst Kirchner qui a fait don de mille peintures et dessins se suicidera après qu'il eut appris que toutes ces œuvres avaient disparu dans un autodafé.
Avril 1938, Hitler conçoit le projet d'un Führermuseum à Linz, ville sur le Danube où il a grandi, destiné à héberger les tableaux qu'il collectionne depuis 1920 et accueillir les œuvres provenant des pillages à travers toute l'Europe. Le 31 mai, Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie crée la Commission pour l'exploitation des œuvres d'art dégénérées. Quatre marchands d’art sont chargés de vendre des toiles « un art malade sans aucune valeur »..., afin de faire entrer des devises en Allemagne.
Le Chancelier Hitler commande en 1940, l'inventaire « Kümmel » répertoriant toutes les œuvres d'art conservées en Europe et qui appartiennent de droit à l'Allemagne : œuvres sorties d’Allemagne après 1500 - celles réalisées par un artiste d'origine allemande ou autrichienne - commandées ou exécutées en Allemagne - réalisées selon un style allemand. Joseph Goebbels revendique un millier d’œuvres allemandes en France ! Le 4 juillet 1940, les émissaires d'Otto Abetz, ambassadeur du Reich à Paris font main basse sur les oeuvres d'art chez les particuliers et galeristes juifs pour la plupart. La razzia est effectuée par l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg. Les œuvres d'art volées sont transportées au Jeu de Paume pour y être entreposées, référencées et emballées avant d'être expédiées en Allemagne. La veille de l'invasion, Jacques Jaujard le directeur des Musées nationaux et sa collaboratrice bénévole Rose Valland, ont organisé la mise en sécurité des œuvres muséales les plus remarquables dans des châteaux afin de les soustraire aux « risques de guerre ».
Le Journal Officiel du 15 juillet 1940 publie : « toute œuvre d’art dépassant les 100.000 francs doit être signalée à la Feldkommandantur, pour leur transfert et leur mise en sauvetage. Le signalement comporte la description de l’objet, sa valeur, le nom et l’adresse du propriétaire ou du détenteur, et le lieu où se situe l’œuvre ». Tous les antiquaires, marchands d'art et propriétaires de collections privées ont déjà fait l'objet d'un recensement avant l'occupation. Au mois d'octobre 1940, le maréchal allemand von Rundstedt, commandant des forces allemandes en France, visite le musée du Louvre, Goering y viendra une vingtaine de fois pour sélectionner les toiles destinées au Führer et celles pour son palais de Carinhall.
Rapport de Rosenberg daté du 20 mars 1941 : « Mes hommes affectés aux missions spéciales ont commencé à confisquer des biens à Paris en octobre 1940. (...) Les historiens d'art à mes ordres ont établi une liste de la totalité des œuvres, en photographiant celles de valeur. je vous communiquerai sous peu un catalogue exhaustif des œuvres confisquées assorti de descriptions mentionnant leur provenance. Pour l'heure, l'inventaire concerne plus de quatre mille œuvres dont certaines d'une valeur incomparable ».
L'art devient une valeur refuge aisément transportable. Le 17 juillet 1941, l'hôtel Drouot qui a fermé ses portes douze mois plus tôt rouvre. A l’entrée une affiche : « A la demande du Commissariat Général aux questions Juives, l’entrée des Juifs dans les salles de l’Hôtel des Ventes est interdite d’une manière absolue ». Si la population commence à manquer de tout, des affairistes, directeurs de musées allemands, suisses, personnalités françaises et dignitaires nazis vont profiter d'un reichsmark sur-évalué et transformer leurs liquidités volatiles en objets d'art attributs de leur ascension sociale. La loi du 22 juillet 1941 sur l’aryanisation contraint toute galerie et tout commerce dirigé par un Juif à en confier l'administration provisoire à un Aryen. Les Juifs se voient dépossédés de leurs biens immobiliers, financiers, œuvres d'art et leurs comptes bancaires sont bloqués. Entre 1941-42 deux millions d’objets (estimation de Mme Polack) vont passer par l’hôtel des ventes de la rue Drouot et le régime de Vichy d'encaisser les frais de vente...
Rien n'échappe à Melle Rose Valland attachée de conservation diplômée des Beaux-arts, de l'école du Louvre et de la Sorbonne. Rose qui comprend la langue allemande, renseigne Jacques Jaujard qui est en contact avec la Résistance. Rose recopie la liste et la description des œuvres volées, retrace les complicités et malversations. Au mois de juillet 41 Rose remplace le responsable de la salle du Jeu de Paume, un poste rémunéré. Au mois de décembre, Bruno Lohse troque avec le Reichsmarschall Göring, un Brueghel contre quatre Matisse provenant de la collection Rosenberg.
En 1942, Hildebrand Gurlitt, historien et marchand d'art, accomplit de nombreux allers et retours entre Dresde et Paris. Il officie pour le compte de Hermann Voss, le directeur du projet Führermuseum, mais aussi pour son propre compte. Le 6 août, Göring déclare : « J'ai bien l'intention de me livrer à un pillage systématique ». Au mois d'octobre, Rose surprend Lohse emporter quatre toiles, il la menace mais elle reste à son poste. Juillet 43, plusieurs centaines de toiles marquées « Vernichtet » (à détruire) sont jetées sur un bûcher dans les jardins des Tuileries !
Le 2 août 44 il faut vider le musée avant l'arrivée des armées alliées. Rose apprend que les camions transportant le butin nazi sont en partance pour la gare d'Aubervillier (93). Elle remet à Jaujard copie des bons de transport mentionnant les numéros des wagons, le contenu des caisses et leur destination. Une grève fortuite des cheminots immobilise le train en gare d'Aubervilliers... Le convoi, une cinquantaine de wagons, part pour l'Allemagne avec trois semaines de retard... Le temps de parcourir quelques kilomètres, une panne aussi soudaine que mystérieuse l'immobilise au Bourget ! La Résistance fait dérailler deux locomotives, la voie est bloquée... Le détachement dépêché par le général Leclerc prévenu par la Résistance découvre trente-six caisses contenant des toiles appartenant à la collection Rosenberg (le grand-père d'Anne Saint-Clair). Ironie de la guerre, c'est le lieutenant Rosenberg qui est chargé d'inspecter le train ! Le 21 octobre Rose peut informer Jaujard du retour des cent-quarante-huit caisses au musée du Louvre.
La « croisade » de Rose Valland va se poursuivre. Cette patriote esthète va communiquer aux nouvelles autorités les noms, adresses des pilleurs, celles de leurs complices et faire mentionne du château de Neuschwanstein et du monastère Buxheim dans lesquels seront retrouvées une partie du patrimoine artistique français et les archives de l'ERR ! Rose Valland rejoint la 1° Armée française avec le grade de capitaine et passer plusieurs années en Allemagne et contribuer à la découverte de nombreuses toiles et à leur rapatriement en France. Si beaucoup d'oeuvres d'art restent encore à découvrir, certaines sont irrémédiablement perdues, parmi celles-ci la collection de Heinrich Himmler détruite par les SS. Une plaque apposée sur le mur du Jeu de Paume rappelle au passant l'action méconnue de Rose Valland, décorée de la légion d'honneur, la médaille de la résistance et élevée au grade de commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres.
Novembre 2014, Cornélius Gurlitt est interpellé par la douane allemande, à la frontière avec la Suisse, en possession de 80.000 euros. Lors de leur visite domiciliaire, les douaniers découvrent des : Picasso - Klee - Chagall - Monet - Matisse tableaux hérités de son père Hildebrand Gurlitt. Cet ancien conservateur au musée de Zwickau de 1925 à 1930 puis Directeur du Kunstverein Museum de Düsseldorf avait déclaré avoir : « tout perdu pendant le bombardement de Dresde à l'exception d'un chariot contenant le strict nécessaire ». Quelles informations a-t-il livrées pour sortir de prison en 1948 et continuer à jouir de sa collection de tableaux volés ?
Juin 2015, quatorze aquarelles et dessins réalisés entre 1904 et 1922 signés Adolphe Hitler sont adjugés pour la somme de 390.000 euros lors d'une vente à Nurenberg. Parmi les aquarelles, une représentation du château de Neuschwanstein en Bavière dont Disney se serait inspiré pour son logo avant de le remplacer par la château d'Ussès (Indre-et-Loire). Plusieurs contrefacteurs ont peint de faux tableaux, entre 1908 et 1930, attribués à l'artiste Adolphe Hitler. Son destin aurait-il été modifié s'il n'avait pas échoué à deux reprises (1907 & 1908) au concours d'entrée de l'Académie des Beaux-arts de vienne (Autriche) ? Les annotations : « Trait malhabile, composition confuse, ignorance des techniques, imagination conventionnelle » pourraient tout aussi bien s'appliquer à l'homme. L'art « dégénéré » a conquit les musées et rejoint l'art-thérapie.
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