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Accueil du site > Tribune Libre > Attention à ne pas réveiller les démons de notre passé

Attention à ne pas réveiller les démons de notre passé

Doit-on brûler les protestants ou nous battre contre les Allemands ? Vouloir à tout prix tout savoir sur ses origines peut conduire un individu comme un pays vers une impasse : comment vivre si l'on est né d'un crime ?

Comment vivre quand on sait que l’on est né d’un crime ?

Un frère et une sœur, jeunes adultes à l’aube de leur vie, font face au notaire, employeur et ami de leur mère. Celle-ci vient de mourir, et ils écoutent la lecture du testament. Double choc : celui de la demande de leur mère de retrouver leur père, celle de la nouvelle de l’existence d’un frère qu’elle leur demande aussi de retrouver.

Leur père est un inconnu, lointain, quelque part dans ce Liban quitté par leur mère au moment de leur naissance. Ils le croyaient mort. Pourquoi aller à sa rencontre ? Pourquoi remettre en cause l’équilibre de leur vie, ici ? Pourquoi quitter le Québec ?

Et puis ce frère, qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi leur mère ne leur en a jamais parlé ? Quelle drôle d’idée, d’un seul coup, dans un testament, de lâcher la bombe de son existence !

Réaction symétrique et opposée entre le frère et la sœur.

Simon, le frère est d’avis qu’il faut continuer comme avant. Surtout ne pas savoir, surtout ne rien changer. Il est bien là après tout. Rien n’est parfait, mais aucun drame apparent. Probablement des non-dits, des problèmes de-ci de-là, mais rien d’apparemment dramatique. Oui, sa mère avait son jardin secret. Oui, ils ont peut-être, et même certainement, un père quelque part au sud Liban, et un frère aussi. Et alors ? Simon ressent le danger de ce passé enfoui. C’est vrai que ce n’est pas très courageux. N’a-t-il pas tort de vouloir laisser inconnu ses origines ?

Jeanne, la sœur, n’a pas peur de ce passé. Elle, elle veut partir, va partir à sa recherche. Elle n’imagine de rester là comment avant. Maintenant qu’elle sait que ce passé inconnu existe, elle doit partir. Pourquoi ? Est-elle plus courageuse ? Est-elle plus insatisfaite de sa vie ici ? Allez savoir… La voilà sur le chemin de ses racines, de leurs racines, mettant ses pas dans ceux de sa mère. Elle découvre l’horreur de la guerre du Sud Liban et comment ses origines en dépendent. Elle va convaincre son frère de la rejoindre.

Je ne vais pas vous raconter le film et le chemin d’horreur de ses découvertes successives. A vous de les découvrir si vous ne l’avez pas vu.

Au terme de ce voyage, quelques questions se poseront : qui avait raison, celui qui voulait continuer comme si de rien n’était ou celle qui voulait savoir ? Comment vont-ils pouvoir vivre avec ce qu’ils ont appris ? Peut-on survivre quand on sait que l’on est né d’un crime ?

Incendies n’apporte pas de réponses. Denis Villeneuve l’a tourné comme un documentaire, pas de commentaires, pas d’explications, pas de jugements. Juste le choc de la succession des images, juste l’empilement des faits, lente plongée… sans fonds.

Il montre simplement que la remontée à la surface de certains faits venant du passé n’est pas toujours souhaitable. Comment vivre en effet sans oubli ?

Ce qui est vrai pour un individu l’est aussi des sociétés : est-il toujours pertinent de vouloir se souvenir de tout ? Le devoir de mémoire n’est-il pas parfois à pondérer par la nécessité de l’oubli ? Que penser de la volonté de penser la France en la plongeant dans son passé ?

Devenons-nous brûler tous les protestants ?

Il devient ou redevient « à la mode » en France de se replonger dans l’histoire et dans nos racines pour se définir. Certes l’idée est louable et apparemment sympathique. Mais que va-t-on y trouver ? N’est-ce pas le même risque que celui couru par Jeanne dans Incendies ? Les apôtres de la mémoire et des racines ne vont-ils pas mettre le feu à ce pays ? Ne vont-ils pas allumer l’incendie qui va rendre impossible tout vivre ensemble, tout vivre au futur ?

Suivons-les pour un temps et plongeons dans notre passé :

  • Faut-il, au nom des guerres de 14-18 et 39-44, rompre toute relation avec l’Allemagne ? 
  • Ou alors c’est la Grande Bretagne qui est l’ennemie ? La guerre de Cent ans n’est pas si loin, car pourquoi ne pas remonter jusque là ? Y a-t-il une limite au devoir de mémoire ?
  • Côté religion, faut-il se méfier des protestants ? Ils ne sont quand même pas de catholiques. Aurions-nous fait la guerre de religion pour rien ? Pourquoi aller faire une croisade en Lybie alors que l’on peut la faire chez nous ?
  • Inutile de parler des juifs, nous les avons maltraités à de multiples moments, aucune raison d’arrêter.
  • Et pourquoi ne pas non plus réhabiliter l’inquisition ?
  • Et les italiens ne sont-ils pas les héritiers de ces romains qui ont ridiculisé les Gaulois ?
  • Et pourquoi aider les Grecs alors qu’ils ont dominé le monde ? 
  • Et les Égyptiens, où sont donc leurs pharaons ?

Certes, j’exagère. Mais qui a commencé ?

Qui nous parle de la France en nous parlant de son passé ? Qui a peur de ceux qui la rejoignent ? Qui croit que c’est dans son passé que la France trouvera et construira son avenir ? Qui prône le devoir de mémoire ?

Tout individu se construit sur une part d’oubli qui est la seule façon d’avancer, de pardonner et de penser au futur. Il en est de même avec les nations et les pays : la France ne sera généreuse et porteuse d’avenir que si elle ne se pense pas au passé et ne cherche pas dans le futur le prolongement de ses origines.

Méfions-nous des incendiaires qui pourraient réveiller des démons du passé.

 

PS : Si vous n’avez pas vu ce film, courez-y ! Si vous êtes occupés, arrêtez ce que vous faites ! Si vous n’avez pas le temps, trouvez-le ! Bref, c’est vraiment un film à voir !

 


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4 réactions à cet article    


  • ddt99 ddt99 28 mars 2011 12:57

    Il n’y a rien à réveiller, « les démons du passé » ne sont pas endormis, ils sont toujours là, tapis dans l’ombre, cachés par l’hypocrisie du politiquement correct et de la pensée unique, n’attendant qu’un signal pour ressortir au grand jour.

    Il suffirait d’un déclencheur pour que tout dégénère, et peut-être que l’élection présidentielle de 2012 sera ce déclencheur ?


    • gaijin gaijin 28 mars 2011 13:37

      ignorer le passé est pour une société le plus sur moyen pour répéter toujours les mêmes erreurs.


      • Robert Branche Robert Branche 28 mars 2011 17:13

        Oui bien sûr sans mémoire, un individu comme une société ne peut pas avoir d’identité, n’y progresser (voir mes articles sur ce thème).

        Mais ce qui est dans l’inconscient l’est souvent pour de bonnes raisons et il ne sert à rien de rouvrir les cicatrices : le passé n’est pas porteur du futur. Pour comprendre où va la Seine rien ne sert de regarder ce qu’elle fait, il faut comprendre ce qui l’attire

      • Alain-Goethe 28 mars 2011 17:27

        Qui suis je , où vais je , dans quelle étagère ??

        Viens je de l’Ile de Sark ... osi ?? une ile «  féodale » où - dixit Le Monde en été 2007- un 

        référendum doit être organisé vers 2012 afin d’introduire plus de démocratie

        ( authentique c’était un court article du Monde en 2007

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