Bolsonaro et les trois fléaux
Alors que le nouveau président brésilien, Jair Bolsonaro, n’a pas encore terminé son premier mois de mandat, des fissures ont commencé à se faire jour dans l’étrange coalition qui l’a porté au pouvoir.
Bolsonaro, un ancien officier militaire qui a été député pendant près de trente ans sans laisser de traces législatives, s'est fait connaître l'année dernière après avoir obtenu le soutien de familles politiques de droite mais antagonistes, allant des membres du Mouvement du Brésil Libéral (MBL) convaincus des vertus de l’économie de marché déréglementée aux fondamentalistes religieux, en passant par les adeptes du "philosophe" d'extrême droite et astrologue Olavo de Carvalho et les interventionnistes traditionnellement conservateurs et promilitaires. Même les Integralistas, un mouvement fasciste fondé au Brésil dans les années 1930, et les monarchistes avaient déclaré soutenir le "bolonarisme".
La candidature de Bolsonaro avait réussi à réunir des groupes aux objectifs politiques, économiques et sociaux aussi divergents en promettant de lutter contre la corruption, " l'idéologie du genre " et le "marxisme culturel".
Son discours reposait sur une combinaison de machisme, de nationalisme, de fondamentalisme chrétien et de capitalisme agressif - mais les méthodes qui permettraient la mise en œuvre de cette alchimie restait un mystère qu’il s’était bien gardé de révéler.
Tout au long de sa campagne électorale, le politicien que la presse bien-pensante affuble de l’anathème fourre-tout de populiste qui évite des analyses qui donnent sans doute mal à la tête dans les salles de rédaction, le candidat donc, populiste n'avait jamais présenté d'agenda ni de programme en matière de politique économique ou étrangère ni expliqué comment il répondrait aux attentes contradictoires des groupes qui ont rendu possible sa présidence.
Aujourd'hui, Bolsonaro ne semble toujours pas avoir de plan d'action clair qui lui permette de maintenir sa popularité, de satisfaire tous ses partisans et de changer le destin de la plus importante économie d'Amérique latine. En conséquence, malgré des sondages d’opinion favorables et un indice boursier atteignant des niveaux record, la base unitaire de droite qui a offert à Bolsonaro la présidence commence à présenter des signes d’érosion prématurée.
Dès son entrée en fonction, Bolsonaro a procédé à une série de nominations aux ministères en essayant de faire plaisir à tous les groupes qui avaient soutenu sa candidature. C’est la moindre des politesses, la reconnaissance du ventre.
Il a nommé au ministère de la justice M. Sergio Moro, juge anti-corruption, afin de satisfaire ceux qui ont voté pour lui pour mette fin à la corruption. Il a nommé le banquier libéral M. Paulo Guedes au poste de ministre de l'Economie, conformément aux exigences du lobby des grandes entreprises.
Jusque là, rien d’original. Mais ce n’est pas tout.
Bolsonaro a confié au pasteur évangélique Damares Alves le ministère de la Femme, de la Famille et des Droits de l'homme pour faire plaisir à ses partisans les plus conservateurs. Il a également proposé au théologien M. Ricardo Velez Rodriguez, réputé pour ses positions ultraconservatrices d'occuper le poste de Ministre de l'Éducation et M. Ernesto Araujo, diplomate convaincu de mener une croisade pour la défense du christianisme, est devenu ministre des Affaires Etrangères pour plaire à divers autres groupes conservateurs, y compris les partisans du charlatan Carvalho cité plus haut. Mais ces nominations, si elles ont une finalité stratégique en matière électoral, ne semblent pas convaincre certains des alliés du président de sa capacité à tenir ses promesses.
Les milieux d'affaires brésiliens ont accordé leur soutien à cet homme politique d'extrême droite parce qu'il avait promis de relancer l'économie "morose" du pays, d'adopter des réformes favorables aux entreprises, de s’attaquer au secteur public, de réduire le déficit budgétaire et de détricoter le système de retraite jugé par eux trop coûteux.
Mais un mois après le début de son mandat, Bolsonaro n’a toujours pas présenté d’éléments concrets concernant les réformes et les politiques économiques proposées, ce qui a provoqué des craintes sur le marché et un malaise dans son entourage. Il continue par ailleurs de faire des déclarations controversées et contradictoires, amenant beaucoup de ses partisans d’hier à remettre en cause son engagement à rendre le Brésil "favorable aux entreprises".
Par exemple, trois jours seulement après son entrée en fonction, Bolsonaro a annoncé qu'il porterait l'âge minimum de la retraite à 62 ans pour les hommes et à 57 ans pour les femmes, soit un chiffre inférieur à celui promis par son prédécesseur, ce qui a été interprété comme une intention d’enterrer ses promesses d'une réforme radicale des retraites.
Le même jour, il a également fait part de ses réserves concernant la vente d'une participation de l’état dans la société Embraer au constructeur aéronautique américain Boeing, ce qui a entrainé une chute de la valeur des actions de cinq pour cent. Et puis quelques jours plus tard, son gouvernement a approuvé la vente. Pour pas cher, messieurs dames !
À la mi-janvier, Bolsonaro a dû faire face à une tempête idéologique. Une visite officielle en Chine de députés du parti libéral social de Bolsonaro a provoqué un tollé chez certains de ses partisans. Bien que faire des affaires avec la Chine soit bénéfique pour les grands capitalistes qui soutiennent le gouvernement, le fameux de Carvalho et ses partisans considéraient ce voyage d’affaires dans un pays communiste comme une "trahison". Ils ont insisté sur le fait que de nombreux Brésiliens de droite avaient voté pour Bolsonaro parce qu'ils pensaient qu'il poursuivrait un programme anticommuniste de droite. Le président avait en effet fait de sa position anti-communiste un sujet de discussion majeur pendant sa campagne électorale, déclarant même qu'il soutenait la guerre commerciale du président américain Donald Trump contre la Chine (sic).
Pourtant, bien que Bolsonaro admire le « trumpisme » et déteste ce qu’il appelle le « communisme », il ne peut pas abstraire le fait que la Chine est le premier partenaire commercial du Brésil, et que ce pays importe deux fois plus de produits brésiliens que les États-Unis. Comment le président brésilien va-t-il s’y prendre pour concilier des partisans anti-communistes (ou plutôt anti-chinois) et des pro-business ? Des idéologues et des pragmatiques ?
Côté corruption, le nouveau président n'a pas beaucoup progressé, au contraire. Lui et sa famille ont été confrontés à une série de scandales qui ont perturbé et déçu nombre de ses partisans.
Une enquête du Conseil des activités financières (COAF) a récemment mis au jour des transactions financières suspectes d'une valeur de plusieurs centaines de milliers de dollars effectuées sur les comptes bancaires du fils aîné du président et sénateur élu, Flavio Bolsonaro, et de la première dame, Michelle. Les paiements ont été effectués par l'ancien pilote de Flavio, Fabricio Queiroz, qui a prétendu qu'il avait obtenu légalement l'argent qu'il avait transféré à la famille du président, en vendant des voitures d'occasion. Quelle générosité désintéressée. L’altruisme n’a pas de limites si ce n’est celles de la naïveté.
Une autre série de virements suspects d’une valeur de près de 30 000 dollars a également été versée sur le compte bancaire de Flavio. Le sénateur s'est défendu en disant que l'argent qu'il avait déposé provenait de "la vente d'un appartement".
Les scandales de corruption entourant la famille Bolsonaro, le voyage des députés en Chine et le manque de vision du président sur l'avenir de l'économie brésilienne, a calmé l'enthousiasme de certains de ses partisans. Certains avouent même qu'ils ont honte de leur vote.
La question est de savoir si les lobbies (intérieurs et extérieurs) qui ont contribué à mettre en place cette coalition non-viable auront la capacité de la remanier ou si les « déceptions » vont continuer jusqu’en 2022. D’ici là, les Brésiliens risquent de continuer à souffrir des trois fléaux que l’homme providentiel promettait de vaincre.
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