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Accueil du site > Tribune Libre > C’est Bizet qu’on assassine !

C’est Bizet qu’on assassine !

A défaut de pouvoir donner une suite personnelle à Carmen, un metteur en scène italien s’est tout simplement permis d’en dénaturer la fin. Un exemple hautement significatif du révisionnisme culturel qui caractérise notre époque

 

 Qui ne connait l’histoire de Carmen et de ses amours tumultueuses avec Don José ? Qui n’a pas siffloté un jour Le chœur des enfants ou, bien sûr, la célébrissime habanera, L’amour est enfant de bohème, de l’Acte 1 ? Bref, l’opéra de Bizet – dans lequel Nietzsche voyait le meilleur de la musique méditerranéenne – n’a jamais cessé de hanter la sensibilité collective depuis sa création en 1875. Au XXeme siècle, le cinéma a pris le relais de la scène pour en perpétuer le mythe. On se souvient sans doute de la pétillante Carmen jouée par Julia Migenès-Johnson dans le film de Francesco Rosi en 1984 : face à elle, dans le rôle de Don José, le ténor Placido Domingo n’en menait vraiment pas large. Et pourtant, l’histoire se répétait inexorablement, fidèle à la vision du compositeur et de ses librettistes.

Eh bien aujourd’hui, c’est un certain Léo Muscato, metteur en scène de son état, qui a entrepris de transformer la fin de cet opéra parmi les plus célèbres du monde. Sous le curieux prétexte que la mort d’une femme ne doit plus être applaudie à la scène (Carmen est tuée par Don José), il a tout simplement décidé que ce serait Carmen qui, en se défendant, blesserait mortellement son agresseur. Pour justifier une telle hérésie, il a expliqué que l’idée lui aurait été suggérée par le directeur du théâtre florentin où était montée cette énième version. La stupidité d’un tel argument fait bondir de colère. Car c’est une interprétation, et non une démonstration de force, qu’on applaudit à l’opéra. Ainsi de prétendus hommes de l’art n’ont même plus la claire conscience des lignes de partage entre le réel et l’imaginaire. Ainsi la représentation d’une action, quelle qu’elle soit, deviendrait pour eux moralement équivalente à sa réalisation physique.

On voit d’ici la régression effarante qu’implique cette confusion de l’éthique et de l’esthétique (au bénéfice de la première) ; l’irruption intempestive, dans le champ de l’art, des questions sociétales du moment – ici la protestation féministe. A terme c’est la liberté souveraine de l’artiste qui est menacée, comme ce fut le cas sous des pouvoirs totalitaires ou en des époques particulièrement puritaines. C’est aussi la négation du statut d’auteur par ceux qui devraient se contenter de le servir humblement – ici les metteurs en scène – siècle après siècle, si la modernité ne les avait pas incités à se penser plus intelligents que les créateurs eux-mêmes. Passe encore qu’on habille les acteurs au goût du jour. Passe encore qu’on situe l’action dans un camp de Roms des années 80 ou même qu’on noircisse la personnalité de Don José tant que l’histoire va jusqu’au bout d’elle-même. Certes l’opéra de Bizet, en un siècle et demi, a connu maintes variations. On l’a même tiré du registre comique, où il se situait initialement, vers un registre plus tragique. Mais on n’avait pas, pour autant, osé réécrire une partie de son canevas.

C’est chose faite et ce coup de force en dit long sur le révisionnisme culturel qui gangrène notre époque. Au motif de vouloir moraliser la vie de nos contemporains, des associations (servies par des relais gouvernementaux) cherchent à orienter dans leur sens les créateurs actuels ou s’immiscent sans vergogne dans le patrimoine classique pour le dénigrer, voire y expurger ce qui s’oppose à leur mesquine vision du monde. Comme si les hommes et les femmes des temps anciens n’avaient plus droit à leurs propres codes culturels ; comme si le passé devait être mis, de gré ou de force, au diapason du présent - le seul mode temporel qui vaille pour les tristes imbéciles qui prétendent régir nos vies. Hier, une ministre de la santé voulait faire interdire l’acte de fumer à l’écran pour des questions hygiénistes. Aujourd’hui c’est un metteur en scène qui réinvente  Carmen pour le plus grand plaisir des féministes qui s’agitent en coulisses. L’empire du Bien, magistralement dénoncé par Philippe Muray, poursuit sa marche irrésistible. Quitte à stériliser l’Histoire et transformer la culture en jardin d’enfants.

 

Jacques LUCCHESI 


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22 réactions à cet article    


  • L'enfoiré L’enfoiré 12 janvier 2018 17:44

    Cela s’appelle évolution, tout simplement.


    • baldis30 12 janvier 2018 19:29

      @L’enfoiré
      avec un tel pseudonyme on comprend parfaitement votre intervention !


    • Fergus Fergus 12 janvier 2018 20:37

      Bonsoir, L’enfoiré

      Pas d’accord avec vous, l’auteur a raison de dénoncer cette trahison de l’œuvre de Bizet ; changer la fin de l’opéra modifie complètement le sentiment du spectateur sur les deux personnages. C’est absurde et indéfendable !


    • mmbbb 12 janvier 2018 21:22

      @Fergus a ce petit jeux, les livres les chansons les pieces de theatre l opera , le cinema d avant devront etre réecrits A ce jeux stupide les feministes demanderont que l on cache dans les musées les statues d homme inspirees de l antique dont le sexe paraîtrait trop masculin . Nous sombrons dans le ridicule mais nous nous soumettons a une dictature molle qui se durcira si nous nous laissons envahir pas ces diktats .


    • Pierre 12 janvier 2018 17:50

      Comme quoi le féminisme à ce point stupide n’est qu’une forme de fascisme !


      • Radix Radix 12 janvier 2018 19:06

        Bonsoir

        On pourrait rapprocher cette anecdote de celle de cette anglaise qui voulait interdire « La belle au bois Dormant » au prétexte que le baiser n’avait pas été souhaité par la donzelle !

        C’est sûr, elle aurait préféré rester dans son état végétatif ad vitam... Comme la plaignante !

        Radix


        • baldis30 12 janvier 2018 19:39

          Bonsoir,

          Il n’est pas le premier à dénaturer complètement une œuvre lyrique ... j’ai quelques souvenirs dont l’un à Lyon avec la Médée de M.A. Charpentier ... où dans le prologue le général Lee rencontre je ne sais plus trop qui à la bataille de Waterloo... d’accord signé Bob Wilson ...

          Et que dire de la mise en scène des « Huguenots » à Strasbourg, pourtant remarquablement chantés et conduits ... mais la bénédiction des épées remplacée par celle des kalachnikovs cela ne cadre guère avec un opéra qui normalement se termine à la Saint -Barthélémy ...

          Bien des metteurs en scène du lyrique sont devenus fous ... même dans les plus grandes œuvres ... à A ...oui en France . Une Traviata remarquablement chantée dont le deuxième acte est pour moi LA référence ( Cioffi - Barrard) .... mais avec des références scéniques sur la rue Lauriston ....

          Sans oublier pour le même opéra tous les metteurs en scène qui confondent une noceuse avec une putain ....et là parlons de la condition féminine ...


          • Giordano Bruno - Non vacciné Giordano Bruno 12 janvier 2018 20:53

            Carmen, c’est le diable. Dans l’original, le diable est tué. La morale est sauve. Dans la version dont vous nous parlez, il achève sa victime. Que faut-il en penser ?...


            • JC_Lavau JC_Lavau 12 janvier 2018 21:03

              @Giordano Bruno. En penser que le diable est féministe, en ce 21e siècle des pays surenveloppés.


            • Graal 12 janvier 2018 22:16

              Si on confie à ce metteur en scène « Le dialogue des carmélites » de Francis Poulenc, ça promet.


              • generation désenchantée 13 janvier 2018 15:54

                @Graal
                elles guillotinent les juges et le bourreau ?


              • bob de lyon 13 janvier 2018 17:19
                @generation désenchantée

                Ah celle-là elle est drôle !

                Je la retiens..

              • generation désenchantée 15 janvier 2018 14:10

                @bob de lyon
                fait toi plaisir , c’ est gratuit
                il faut bien rigoler des conneries de certains


              • Taverne Taverne 12 janvier 2018 22:24

                La représentante du mouvement des Effrontées assumait sur LCI hier soir le choix de modifier les contes pour enfants, y compris la Belle au bois dormant parce que la belle est endormie quand le prince lui donne un baiser. Il y avait en face d’elle un journaliste d’Atlantico, toujours calme et sachant toujours bien argumenter, il est resté sec cette fois. Et, je l’avoue moi aussi je serais resté sans voix devant tant de bêtise et d’idéologie totalitaire.


                • nono le simplet 13 janvier 2018 06:47

                  quand j’entends du Wagner j’ai envie d’envahir la Pologne, quand j’entends du Bizet j’ai envie ...de raccrocher ...


                  • baldis30 13 janvier 2018 07:46

                    @nono le simplet
                    bonjour

                    « quand j’entends du Wagner j’ai envie d’envahir la Pologne »

                     C’est que vous n’avez rien compris à Wagner, qui l’un des premiers aurait fini dans un camp de concentration, tout comme son beau-père..... qui compte tenu de ses convictions l’aurait précédé ... 

                    Ne pas confondre la fille avec le père ou le grand-père ... le couvent des oiseaux était passé par là ...


                  • nono le simplet 13 janvier 2018 08:49

                    @baldis30
                    je citais Woody Allen qui avait de l’humour ...


                  • nono le simplet 13 janvier 2018 08:51

                    @baldis30
                    oups, oublié « bonjour » ... j’ai pas l’habitude sur le net ...


                  • L'Astronome L’Astronome 13 janvier 2018 09:08

                     
                    J’ai assisté à une représentation de Don Giovanni de Mozart où, à la fin, Don Giovanni est victime d’une cabale montée contre lui « Balance ton porc ».
                     


                    • baldis30 13 janvier 2018 11:40

                      @L’Astronome
                      bonjour,

                      de la part des metteurs en scène du lyrique rien ne m’étonne ! même à la Scala ...et alors cela ne se passe pas toujours très bien avec le public. Outre les cabales qui règnent dans cette salle


                    • Crab2 13 janvier 2018 15:17
                      Opéra et féminisme

                      https://laicite-moderne.blogspot.fr/2018/01/opera-et-feminisme.html

                      . Cosi fan tutte

                      https://laicite-moderne.blogspot.fr/2018/01/cosi-fan-tutte.html

                      Le féminisme est envers et contre tout universel ainsi que tout bien pesé la laïcité sans adjectif


                      • Pierre 14 janvier 2018 15:10

                        Tiens, il va falloir aussi réécrire le Don Juan de Mozart puisque Zerlina y chante à Masetto qu’elle serait ravie qu’il lui mette une raclée...

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