• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Ces 50 % de la population des pays riches qui n’« ont » à peu près (...)

Ces 50 % de la population des pays riches qui n’« ont » à peu près rien…

Si l’inégalité des patrimoines - ce que Piketty croit bon d’appeler le "capital" - surpasse toujours l’inégalité des revenus du travail, elle est elle-même extrêmement contrastée en son intérieur :

« À ma connaissance, il n’existe aucune société, à aucune époque, où l’on observe une répartition de la propriété du capital qui puisse raisonnablement être qualifiée de "faiblement" inégalitaire, c’est-à-dire une répartition où la moitié la plus pauvre de la société posséderait une part significative - par exemple un cinquième ou un quart - du patrimoine total. » (Idem, page 405.)

À cet endroit apparaît une très curieuse note de bas de page :
« Il est difficile de dire si ce critère était respecté en Union soviétique et au sein de l’ex-bloc communiste, compte tenu du manque de données disponibles. En tout état de cause, le capital était principalement détenu par la puissance publique, ce qui limite beaucoup l’intérêt de la question. » (Idem, page 405.)

À l’évidence, il s’agit pourtant de la question principale… l’attitude du "bloc communiste" en présence du capital et les solutions apportées par l’URSS au problème de l’exploitation du travail sont directement liées aux deux guerres mondiales qu’a connues le XXe siècle et aux conséquences de celles-ci. Et cela concerne directement l’"oubli" qui caractérise, de part en part, l’ouvrage analysé ici.

Or, dans un premier temps, ce qu’il nous faut retenir de la réalité sociale à laquelle Thomas Piketty limite son analyse - les principaux pays capitalistes -, c’est cette permanence du dénuement que connaît, en termes de patrimoine, la moitié la plus pauvre des habitants.

Après avoir rappelé que, dans le patrimoine, Thomas Piketty inclut toujours l’éventuelle maison d’habitation ou, plus simplement, le logement dont il peut arriver que l’on soit propriétaire, tournons-nous vers un exemple qui n’est en fait qu’un schéma simplifié d’une situation bien réelle, aujourd’hui même, ainsi que cela nous est dit :
« Imaginons une société où le patrimoine net moyen serait de 200.000 euros par adulte, ce qui est approximativement le cas actuellement dans les pays européens les plus riches. » Idem, page 406.)

Le découpage retenu distingue la moitié la plus pauvre, puis les 10 % les plus riches, et enfin les 40 % qui suivent immédiatement ceux-ci. L’observation des parts de patrimoine détenues par chacune des trois catégories ainsi définies à l’intérieur des pays européens les plus riches fait apparaître les résultats suivants :
« Entre les 50 % les plus pauvres (qui détiennent 5 % du patrimoine total, soit 20.000 euros de patrimoine moyen dans l’exemple choisi) et les 10 % les plus riches (qui possèdent 60 % du patrimoine total, soit 1,2 million d’euros de patrimoine moyen) se trouvent les 40 % du milieu : cette "classe moyenne patrimoniale" détient 35 % du patrimoine total, ce qui signifie que son patrimoine net moyen est très proche de la moyenne de l’ensemble de la société - en l’occurrence, dans l’exemple choisi, il est très exactement de 175.000 euros par adulte. » Idem, page 409.)

…contre 200.000 euros pour le patrimoine moyen, ainsi que Thomas Piketty nous l’a indiqué dès le départ. Dans l’immédiat, intéressons-nous aux 40 % du milieu :
« Au sein de ce vaste groupe, où les patrimoines s’échelonnent d’à peine 100.000 euros à plus de 400.000 euros, la possession de la résidence principale et les modalités de son acquisition et de son remboursement jouent le plus souvent un rôle essentiel. » (Idem, page 409.)

Il ne s’agit donc pas d’un capital "productif", le seul que retiendrait Karl Marx… Il s’agit de biens de consommation personnelle… qui peuvent, cependant - et ce n’est sans doute pas là l’un de leurs moindres attraits - entrer dans un circuit d’échanges financiers qui leur donneront une vie "économique" plus ou moins exaltante, le sel même de tout patrimoine qui n’est toujours pas, pour autant, producteur de cette plus-value qu’extrait, par ailleurs, l’exploitation de l’être humain par l’être humain. Mais Thomas Piketty persiste à lui donner cette fausse identité :
« Ce capital principalement immobilier est parfois complété par une épargne financière non négligeable. Par exemple, un patrimoine net de 200.000 euros, dont il faut déduire un reliquat d’emprunt de 100.000 euros, et à laquelle il faut ajouter 50.000 euros placés sur un contrat d’assurance vie ou un livret d’épargne retraite. » (Idem, page 409.)

Ce qui peut incorporer un très charmant surplus qui n’engage pas davantage dans les affres de la délicate et parfois très difficile production de plus-value :
« Lorsque le remboursement de la maison sera terminé, le patrimoine net atteindra 300.000 euros, voire davantage si l’épargne financière s’est accrue dans l’intervalle. » (Idem, page 409.)

Tout ceci étant particulièrement paisible… en apparence : de l’argent qui produit de l’argent, sans doute dans la quiétude des pays européens riches, et pour les quatre cinquièmes les plus modestes de la moitié la plus aisée de la population française. Nulle trace d’impérialisme.

Dans les pays européens riches d’aujourd’hui, 40 % de la population adulte est donc propriétaire de son logement et dispose d’une épargne plus ou moins liquide qui virevolte autour de l’investissement logement… On peut imaginer quel poids politique cette énorme masse représente, placée qu’elle est entre les 10 % les plus riches et les 50 % les plus pauvres, ceux-ci n’étant, en règle générale, propriétaires qu’à la marge, c’est-à-dire de pas grand-chose de plus que le minimum des objets nécessaires qui accompagnent le fait fondamental de pouvoir offrir son travail dans les conditions humaines du temps : un véhicule personnel, le matériel électroménager qui raccourcit le temps nécessaire à l’effectuation des tâches qui n’entrent pas dans le circuit du travail rémunéré au titre de l’exploitation, le téléviseur et les nouveaux instruments de persuasion clandestine, etc…

Et c’est ici que retentit avec toute la force possible cette mise en garde de Thomas Piketty :
« Que l’on ne s’y trompe pas : le développement d’une véritable "classe moyenne patrimoniale" constitue la principale transformation structurelle de la répartition des richesses dans les pays développés au XXe siècle. » (Idem, page 410.)

Que s’est-il donc produit, en ce siècle-là, qui pût engendrer pareil phénomène jusqu’alors parfaitement inouï ? Des guerres, nous a dit et nous redira Thomas Piketty. Est-ce là tout ?... Mais reprenons d’abord avec lui le fil de l’histoire européenne, et revenons à l’époque qui précède le déclenchement de cette première guerre mondiale qui devait déboucher sur la révolution bolchevique de 1917 :
« Vers 1900-1910, en France comme au Royaume-Uni ou en Suède, ainsi que dans tous les pays pour lesquels nous avons des données, les 10 % les plus riches détenaient la quasi-totalité du patrimoine national : la part du décile supérieur atteignait 90 %.  » (Idem, page 410.)

Ce qui est dire que 90 % de la population adulte totale se partageaient bravement les 10 % restants… Et c’est bien cela que l’on a appelé La Belle Époque ! C’est cela qu’un Vladimir Ilitch Lénine avait eu sous les yeux à l’occasion de ses séjours en France, en Allemagne et ailleurs. Voilà bien l’Europe impérialiste qui s’apprêtait à faire ruisseler le sang de ses peuples comme jamais cela ne s’était encore vu !...

Ses véritables seigneurs et maîtres sont ici :
« À eux seuls, les 1 % les plus fortunés possédaient plus de 50 % du total des patrimoines. La part du centile supérieur dépassait même 60 % dans certains pays particulièrement inégalitaires, comme le Royaume-Uni. » (Idem, page 410.)

Et c’est effectivement ce dernier pays qui aura le plus directement profité des exploits militaires de la coalition qu’il menait à la baguette - sans toujours avoir l’air d’y toucher… et tout spécialement dans le cadre du démembrement de l’Empire ottoman (Irak, Palestine, etc.), pour ne rien dire du reste… Mais il y avait eu, du côté de Moscou et de Saint-Pétersbourg, quelque chose de véritablement imprévu, et sur quoi Thomas Piketty se gardera de venir.

Alors qu’il s’agit précisément du principal point de re-broussement, à l’échelle du continent européen et au-delà, des 1 % qui tenaient, dans les pays européens impérialistes, la dragée haute à leurs propres populations.

Reprenons la tripartition 10 %, 40 %, 50 % précédemment utilisée par notre auteur pour décrire la situation d’aujourd’hui, et voyons ce qu’il en était, avant 1914, de la position des 40 % qui lestent désormais notre système politique :
« À l’inverse, les 40 % du milieu possédaient à peine plus de 5 % du patrimoine national (entre 5 % et 10 %, suivant les pays), c’est-à-dire guère plus que les 50 % les plus pauvres, qui en détenaient comme aujourd’hui moins de 5 %.  » (Idem, page 410.)

Oh, héroïque déséquilibre !... Qui, sans Lénine et quelques autres, n’aurait demandé qu’à se survivre longtemps encore…
« Autrement dit, il n’existait pas de classe moyenne, dans le sens précis où les 40 % du milieu étaient quasiment aussi pauvres en patrimoine que les 50 % les plus pauvres. » (Idem, page 410.)

Avec Thomas Piketty, n’hésitons pas à nous étonner du lest que les sociétés capitalistes ont reçu en faisant basculer, à travers l’accession à la propriété d’un logement, les 40 % - que presque rien ne séparait des 50 % les plus pauvres - du côté des 10 % de cet impérialisme européen en quête de bonne aventure… ici ou là dans le vaste monde :
« Le fait que des dizaines de millions de personnes - 40 % de la population, cela représente un corps social considérable, intermédiaire entre les pauvres et les riches - possèdent individuellement quelques centaines de milliers d’euros, et détiennent collectivement entre un tiers et un quart du patrimoine national, est une transformation qui n’a rien d’anodin. » (Idem, page 412.)

Faut-il pas que les 10 % les plus riches aient connu la frayeur de leur vie, pour qu’ils en viennent à se serrer quelque peu pour faire une toute petite place à l’appropriation privée d’un "logement" pour les 40 % désormais nécessaires à reformer un équilibre en face de la montée inouïe du prolétariat de l’Est lointain. Car, Thomas Piketty le souligne :
« Dans le même temps, cette transformation s’est traduite par une très forte baisse des plus hauts patrimoines : la part du centile supérieur a été divisée par plus de deux, passant en Europe de plus de 50 % au début du XXe siècle à environ 20 %-25 % à la fin du XXe et au début du XXIe siècle. » (Idem, page 412.)

Se serait-il agi seulement de mettre fin à un pic momentané ? Non, se récrie Thomas Piketty :
« Ce changement est d’autant plus important historiquement que le niveau extrême de concentration des patrimoines que l’on observe dans l’Europe de 1900-1910 se retrouve dans une large mesure tout au long du XIXe siècle. » (Idem, page 413.)

Mieux, la frousse ressentie n’était pas seulement à l’échelle du nouveau siècle commençant. Elle signait la fin d’une histoire longue de quelques-uns des siècles précédents, s’il faut en croire les calculs réalisés par Thomas Piketty et certains de ses confrères d’antan :
« Toutes les sources dont nous disposons indiquent que ces ordres de grandeur - autour de 90 % du patrimoine pour le décile supérieur, dont au moins 50 % pour le centile supérieur - semblent également caractériser les sociétés rurales traditionnelles, qu’il s’agisse de l’Ancien Régime en France ou du XVIIIe siècle anglais. » (Idem, page 413.)

Alors ?... ce vent venu de Moscou... Sera-ce l’heure - et le lieu - de le méconnaître ?

Michel J. Cuny


Moyenne des avis sur cet article :  1.2/5   (20 votes)




Réagissez à l'article

1 réactions à cet article    


  • La Bête du Gévaudan 19 février 19:43

    C’est de la faute du socialisme... à force d’augmenter les taxes pour payer les assistés d’en-haut et d’en-bas (qui votent tous à gauche), le peuple est affamé... 

    Vos 50% ne sont pas loin des 42% qui votent Le Pen, et contre qui la gauche appelle invariablement à « faire barrage » en élisant Macron, Chirac, Mitterrand et cie. 

    En Argentine ce sont ces 50%, ces pauvres, ces délaissés, qui ont élu Javier Milei pour faire tomber la caste des privilégiés, depuis les capitalistes de connivence jusqu’aux « clientèles » du socialisme d’état. 

    Liberté, égalité, sûreté, propriété, proclama la Constitution de 1793. Mais aujourd’hui la gauche marxiste propose : oppression flicage, discrimination positive, insécurité arbitraire et taxation massive.

    L’Etat, c’est la grande fiction à travers laquelle chacun s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde (Frédéric Bastiat)

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès