Ces Russes à qui on demande des comptes
Il est de bon ton aujourd'hui de faire allusion à une dette qu'aurait la Russie contemporaine vis-à-vis des Pays Baltes, si ce n'est du reste de l'Europe, pour leur avoir imposé l'URSS. Selon les versions de l'histoire plus ou moins consciemment répandues chez les occidentaux, les Russes auraient d'abord fait la révolution chez eux et à eux seuls, puis auraient exporté le modèle en soumettant leurs voisins non consentants et en les absorbant dans l'Union Soviétique. La Lettonie, la Pologne et la Finlande, particulièrement, n'auraient ainsi rien à voir avec la création de l'URSS et seraient d'innocentes victimes (ou victimes potentielles) en droit d'obtenir réparation. Et c'est tout juste si on ne reproche pas aux Russes dans leur ensemble de détenir un gène particulier de la conquête et de l'amour de la tyrannie, tant les autres auraient agi beaucoup plus sagement pour faire une belle et joyeuse révolution !
Parce-qu'il faut redevenir sérieux
Voyant que ce thème revient périodiquement dans presque toutes les discussions qui touchent à la Russie et à l'Ukraine à notre époque, il serait bon de procéder à quelques rappels afin de mettre fin à une remarquable hypocrisie, sans oublier d'autres nations auxquelles on pense moins comme la Lituanie, l'Allemagne, la Grande Bretagne, voire la France (très changeante au fil des événements), qui n'ont pas été de simples spectatrices non plus lors de la révolution bolchevique. Que ce soit par l'action de leurs volontaires internationalistes ou même par une ingérence plus ou moins directe de leurs gouvernements.
Rappelons aussi que les premières victimes des purges, des famines et des goulags furent les Russes avant tout, y compris ceux du Donbass (si on se rapporte à ce qu'était le territoire de l'Ukraine à l'époque), ceux-là mêmes qui auraient été remplacés par d'autres Russes plus Russes selon les révisionnistes et leurs thèses de la "purification ethnique" pro-russe (Thèse qui aurait plutôt tendance à être vendue aujourd'hui par les atlantistes dont les protégés promeuvent, quant à eux, une réelle purification ethnique [1]). En effet, si nous jouons à présent nous aussi à ce jeu accusatoire ethniquement orienté [2] et pas très sain, des surprises peuvent nous attendre !
Le premier fait connu mais qui reste pourtant peu souligné est la facilité avec laquelle le révolutionnaire Vladimir Oulyanov alias Lénine put bénéficier, après s'être exilé en Allemagne, d'un retour en Russie parfaitement organisé et sous haute protection, en train à travers une Europe en guerre. En Mars 1918 l'intéressé manifestait sa gratitude en cédant à l'Allemagne bien plus de territoires que nécessaires, suite au traité de Brest-Litovsk. Mais il devrait être impossible de parler de Lénine sans aborder l'histoire de ses fusiliers lettons !
Les fusiliers lettons, les incontournables
Alors que l'influence des bolcheviks ne fait que grandir sous le gouvernement pré-révolutionnaire de Kerensky, ce sera à plusieurs reprises que les gardes lettons auront permis d'annihiler tous les types de contre-mouvements (non bolcheviks, bien entendu). Que ce soit pour protéger temporairement le gouvernement de Kerensky ou pour ensuite le renverser au profit des bolcheviks. On peut même dire sans exagérer que ce sont eux qui ont choisi de porter Lénine au pouvoir [3]. Certains n'ont d'ailleurs pas hésité à les appeler "les remparts de la révolution". Une fois le jour « J » venu, une véritable opération de paralysie des infrastructures et de prise du pouvoir put en effet être accomplie par les bataillons lettons. La dévotion à la cause ne s'arrête pas là : Une purge fut même pratiquée par les soldats lettons eux-mêmes au sein de leurs rangs afin de se débarrasser de toute opposition politique. Ce n'est donc pas pour rien que les Lettons furent aussi choisis pour assurer la protection du train qui conduisit, dans la nuit du 10 au 11 mars, l'ensemble de la direction bolchevique de Petrograd à Moscou. Ce n'est pas pour rien non plus que l'Institut Smolny, quartier général des bolcheviks, fut protégé par une unité de gardes rouges lettons. Cette garde de Smolny devint par la suite officiellement le premier détachement letton, chargé d'assurer la protection de Lénine et des autres dirigeants, une sorte garde prétorienne léniniste. Quand, début décembre, le pouvoir bolchevik fonde la Tcheka de sinistre réputation, de nombreux Lettons intègrent cet organisme qui se dote d'un corps militaire où, en avril 1918, des fusiliers lettons sont transférés, notamment des soldats déjà chargés de la protection de Lénine. C'est à la fin de la guerre civile que des milliers de soldats lettons rentrent enfin en Lettonie, renouant miraculeusement avec le patriotisme letton après ces années de luttes paradoxalement internationalistes en Russie... En attendant de profiter plus tard à leur tour légitimement de leur oeuvre, peu avant la seconde guerre qui apporta de nouveaux bouleversements. La minorité de Lettons décidant de rester représentera tout de même une quantité considérable d'individus placés à des postes clés : Police, diplomatie, appareil gouvernemental, parti, armée.
La Finlande, alliée précieuse des bolcheviks
On peut dire que Lénine a eu à maintes occasions une chance incroyable, tant il a reçu à plusieurs reprises une aide précieuse de l'étranger pour se tirer d'affaire. Et on ne parle plus ici de bataillons de volontaires mais bien du soutien de puissances étrangères. On ne pourra donc pas faire l'impasse sur quelques exemples. A la fin de l'été 1917, Lénine fut sauvé par la Finlande d'une poursuite engagée contre lui par le gouvernement de Kerensky le pressentant comme menaçant. Mais ce n'est pas tout, En 1905 il avait déjà bénéficié du soutien personnel et financier de Karl Marnegeim (le frère aîné du célèbre maréchal finnois), avec organisations de conférences et de réunions bolchéviques à Tampere. En dehors de ces soutiens officiels, il fut soutenu par Iisakki Vihtori Kosola, qui deviendra pourtant plus tard l'un des organisateurs du « Mouvement de Lapua », mouvement nationaliste qui deviendra même fasciste. Les villas et les maisons de « réfugiés » furent mises à disposition dans des lieux de villégiature. Lénine appelait les Finnois des « conspirateurs exemplaires ». Il eu l'occasion de cumuler un an et demi en Finlande lors de sa vie clandestine.
Ces pseudo-russes qui avaient droit de vie et de mort en URSS sous Lénine
Tout le monde connaît Trotsky (Lev Bronstein). Moins nombreux sont déjà ceux qui connaissent le niveau de barbarie et les déclarations impitoyables [4] de ce voyageur mondain ayant séjourné à Londres et à Vienne avant de revenir pour le grand soir (des réfugiés précieux comme on les aime encore, une histoire qui se répète). En utilisant les termes de notre époque on pourrait dire qu'il est ukrainien puisque né à Kherson, mais comme nous voulons rester plus sérieux que les médias pro-Maïdan nous dirons que ça ne "compte pas" et qu'il était un ressortissant russe "inspiré par l'Europe"...
Toutefois, il est utile de remarquer que bon nombre de ses compères et collaborateurs n'étaient pas si russes que ça, comme par exemple, et sans prétentions à l'exhaustivité : Karl Radek (Austro-Polonais), secrétaire du Kommintern et du Comité Central, puis Erwin Wolf (Norvégien d'origine tchécoslovaque), l'un des secrétaires politiques de Trotsky. Ou encore Ignace Reiss (Austro-Hongrois) au sein de la GPU, et Rudolf Klement, secrétaire de la Quatrième Internationale. L'exécution ultérieure de ces trotskystes convaincus sur ordre de Staline (de son vrai nom Djougashvili, Géorgien) constitue d'ailleurs l'une des raisons principales de l'aversion qu'éprouvent tous les trotskystes-léninistes d'Europe envers Staline. Ne croyez pas que c'est parce-que Staline était plus « dur ». Il reste simplement à leurs yeux un « réac » qui a tué les « vrais » révolutionnaires. Ceux qui massacrent aussi en masse mais... pas pareil. On comprendra que les Russes ne voient donc pas tout ça exactement comme nous et que certains pourraient même dire que Staline aura au moins fait quelque chose de bien, parfois. D'autant plus qu'à partir des années quarante le pouvoir soviétique ne fut plus la principale cause de souffrance du peuple. [5]
Car on ne s'arrête pas là, nous n'étions qu'au hors d'oeuvre. Les années vingt ont été l'occasion de s'illustrer pour de nombreux autres sinistres et puissants personnages peu russes, dont certains furent éliminés aussi plus tard à leur tour :
Le célèbre Dzerjinski, issu d'une famille de l'aristocratie polonaise installée en Biélorussie, sera à la tête de la Tchéka pratiquant à grande échelle la torture, l'extorsion d'aveux forcés, les exécutions et arrestations arbitraires. Quel beau chemin parcouru après ses activités de jeunesse en tant que fondateur du parti "Social-Démocratie du Royaume de Pologne et de Lituanie" ! On lui doit cette citation explicite : "Pour ceux qui ne sont pas de notre avis, quatre murs, c'est trois de trop". D'autres que moi se feront d'ailleurs un plaisir de vous relater toutes les horreurs qu'il a organisé, même si dans certains cas ce sera pour défendre des bandéristes ukrainiens qui ont exactement le même type de slogans et de mentalités. Les masses contemporaines peuvent alors les applaudir, rien que pour le plaisir de casser du Russe, ou encore plus dans l'air du temps : du « séparatiste pro-russe ».
Et ensuite...
Cette dernière remarque sur l'Ukraine est d'ailleurs l'occasion de rebondir sur un autre personnage bien connu et impliqué dans la répression sans pitié des paysans pas assez productifs, aussi bien en Ukraine que dans le Caucase du Nord : Lazare Kaganovitch. Né à Kiev, il ne pourrait en aucun cas, selon les critères en vigueur aujourd'hui, être considéré comme un Russe mais bien comme un authentique Ukrainien estampillé (au service d'un Géorgien, rappelons le), même si certains Ukrainiens verront probablement dans son nom d'autres raisons de lui refuser ce statut. C'est leur affaire, mais ceux qui crient "holodomor" à tous bouts de champs devraient donc commencer par laver leur linge sale en famille avant de chercher un coupable géographiquement externe qui serait né à Moscou pour se faciliter la tâche. Car s'il y eut un maître d'oeuvre de la collecte sauvage des denrées auprès des populations paysannes, il s'agit bien de Kaganovitch ! Parmi les protégés de ce dernier on remarquera un personnage dont la carrière n'allait pas s'arrêter là : Nikita Khrouchtchev, qui après une enfance passée en Ukraine s'illustrera d'ailleurs également dans cette région, comme son maître, par sa férocité à la tête de la troïka durant cette sombre période. Molotov rapporte que Staline lui-même avait reçu des indignations télégraphiées de Khrouchtchev à propos du nombre insuffisant d'exécutions confirmées par rapport aux envois massifs de personnes à exécuter [6]. On remarquera que le phénomène de zèle et de concurrence dans la cruauté chez des dirigeants tout à fait locaux ne se limitait absolument pas à l'Ukraine, contrairement aux idées massivement propagées. Le tristement célèbre Béria (issu d'une minorité vivant en Géorgie, les « Mingréliens »), tueur en masse sadique et pervers, s'est lui aussi exercé d'abord dans son pays pour ensuite prendre la tête du NKVD en 1938. En dehors de ses campagnes d'éliminations "régulières", on ne sait combien de jeunes filles moscovites ont perdu la vie dans des circonstances abominables afin de satisfaire ses sordides instincts, jusqu'à ce qu'il soit finalement exécuté.
A un niveau plus bas dans la hiérarchie
Le 18 octobre 1919, l'organe de presse du Comité central des bolchéviques écrivait : « Le slogan « Tous les pouvoirs aux Soviets » change et devient « Tous les pouvoirs aux Tchékas » ! ». La Tchéka à laquelle ont succédé la « Guépéou » (GPU) puis le NKVD, n'a pas seulement eu à sa tête des dirigeants étrangers mais aussi à tous les niveaux et dans des proportions stupéfiantes. En 1918, les cadres de la Tchéka comportaient 50,4 % de Lettons (les principaux ressortissants étrangers), alors qu'une part de 25,9 % restait à se partager entre Biélorusses et Russes (y compris ceux qui allaient devenir plus tard des Ukrainiens). Les lettons occupaient des postes stratégiques, parmi les investigateurs et adjoints d'investigateurs. Le nombre de Polonais parmi les cadres de la Tchéka n'était pas si élevé que celui des Lettons mais leurs postes étaient parmi les plus importants : Viatcheslav Menjinski, vice-président de la GPU, puis S.F.Rederk, V.P.Yanouchevsky et V.V.Artichevsky qui furent les fondateurs de la Tchéka de Moscou, ou encore S.A.Messing qui est devenu le dirigeant de la Tchéka centrale un peu plus tard. On peut citer I.A.Vizner, A.S Sonie-Domanski, M.K.Romanovski, S.S.Piliavski, I.V.Poul'anovski, I.O.Manoulevitche, etc... Rien que dans l'appareil central de la GPU en 1924 travaillaient 90 Polonais. On peut avoir une idée de cette surreprésentation en observant que parmi la population vivant sur le territoire soviétique en 1922, on pouvait compter seulement 0,09 % de Lettons et 0,40 % de Polonais.
Quant à ceux qui dénoncent régulièrement les répressions et massacres passés en Ukraine pour encenser le putsch de Maïdan, ces derniers devraient avoir l'honnêteté de nous raconter d'où venait par exemple cet illustre personnage : Martin Ivanovich L ?cis (de son vrai nom J ?nis Sudrabs, Letton) devenu célèbre en tant que « le bourreau de Kiev ». Entre avril et aout 1919, suite à son intervention ont été exterminées plus de 10 000 personnes. Son adjoint se nommait Schwarz et les chefs de Tchéka régionale de Kiev s'appelaient Dekhtyarenko, Lifchits, et Schwartzman. Cherchez les Russes de Moscou !
D'autres que moi vous ont abreuvé des descriptions d'exécutions arbitraires en masse pratiquées par les tchékistes, ou des répressions sanguinaires pratiquées contre toute forme de protestation même modérée, comme une grève ou une manifestation. A titre d'exemple frappant on peut citer les purges pratiquées dans la ville russe de Kronstadt sur toute la population, suite à une révolte de matelots en 1921. Ces purges successives ont été tellement massives qu'on peut considérer que la population de la ville entière a été « renouvelée » suite aux interventions de Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski, Biélorusse d'origine polonaise. Ce dernier s'illustra à nouveau lors de la répression de Tambov ou furent utilisées les prises d'otages et les exterminations de villageois, entre autres au moyen de gaz toxiques, avec le concours des tchékistes à la pointe de la répression parmi lesquels on peut nommer Alexander Grigorievich Schlichter (Polonais), Vassili Vassilievitch Oulrikh (Letton). Les pertes totales subies par la population de la région de Tambov sont estimées à 240.000 personnes. Plus tard, Rudolf Austrin (Letton) fut aussi très zélé en tant que chef d'administration et membre de la troïka du NKVD de Kirov en 1937, pour exécuter l'ordre « 00447 » : Les « ennemis » à éliminer n'étaient alors plus seulement des paysans russes et des prêtres comme lors de son passé à la GPU de la région du Nord , mais cette fois des révolutionnaires tombés en disgrace. Dans toute l'URSS l'ordre « 00447 » fut très productif : 767.397 condamnés dont 386.798 exécutions par fusillade. Et là il ne s'agit que des exécutions officielles enregistrées.
Et les goulags, les Russes devraient s'en excuser auprès de nous ?
Nous n'aurons pas fait le tour si nous n'abordons pas les fameux goulags, ces camps de la mort fallacieusement assimilés à la continuation logique du principe des colonies pénitentiaires d'avant et après l'URSS. En vérité les révolutionnaires, bien avant Staline, n'ont jamais caché leurs intentions de transformer eux-mêmes le procédé de sorte à le rentabiliser. On ne « gâche pas la marchandise ». C'est plus productif de tuer les gens au travail plutôt que de les exécuter tout de suite. (Ça donne en plus l'occasion à quelques criminels recyclés en gardiens d'exercer leur cruauté). On doit cette suggestion d'application au territoire russe à Josef Unshlikht (Polonais), collaborateur de Dzerjinsky déjà abordé plus haut. Les îles Solovky où vivaient paysans et moines devinrent le territoire idéal pour élargir cette pratique à grande échelle. C'est de ce goulag dont il est question dans le livre de Soljenitsyne (dissident dont les russophobes patentés ne reprennent d'ailleurs que les citations qui les arrangent). Selon Soljénitsyne toujours, lorsqu'un certain Naftali Frenkel (qui serait turc, en tout cas pas russe), ancien détenu de droit commun, devient chef de camp et réorganisateur du travail, on peut alors vraiment dire que le lieu devient un camp d'extermination et de supplice. Cet individu est hélas un des rares tortionnaires qui n'a pas fini à son tour fusillé mais mort de vieillesse. Quant au bourreau « principal » du camp (Degtiarev, Letton)[7] surnommé « le chirurgien principal », il tenait particulièrement à exécuter lui-même les prisonniers.
Purges et contre-purges - Les interprétations malsaines
Si on peut se consoler par le fait que la plupart de ces bourreaux aient péri dans les rouages de la machine qu'ils avaient mise en marche, certains défenseurs du « monde libre » trouveront encore paradoxalement le moyen de s'apitoyer sur leur sort, voire même d'aller chercher des raisons antisémites à leur exécution, étant donné que les Juifs de Russie étaient aussi surreprésentés parmi les tchékistes. Les plus pervers des propagandistes européens [8] parviennent même à jouer le grand écart afin de ménager leur amour paradoxal pour les ultranationalistes ukrainiens qui vénèrent les auteurs de pires pogroms anti-Juifs ayant pu avoir lieu (au point d'en choquer les envahisseurs nazis) [9]. L'essentiel pour les haineux déguisés en dénonciateurs serait simplement que les Russes de l'après Lénine puissent être attestés coupables d'antisémitisme. Cette accusation serait selon eux à elle seule plus terrible que les purges elles-mêmes, et les quidams russes trop ordinaires broyés par ces mêmes purges léninistes puis staliniennes en deviennent insignifiants. On peut voir là l'obsession des promoteurs contemporains de ce politiquement correct qui habille en vérité une haine profondément malsaine contre tout ce qui pourrait tenir de près ou de loin à la stabilité de la nation russe, sous prétexte de ne s'en prendre qu'à son gouvernement [10]. Ce n'est pas nouveau et ce n'est pas fini. Une recrudescence s'opère à chaque fois que la Russie se remet sur pieds !
Où allons-nous finalement en venir ?
Beaucoup se sont sûrement demandés : « Mais où veut-il en venir finalement ? Est-ce une campagne de haine entre peuples, alors que finalement personne n'est tout blanc dans l'affaire ? Il y a eu aussi des tas de russes sanguinaires ! »
Je répondrai alors : « Si c'est ce que vous percevez, considérez alors ce texte comme une provocation utile, une mise en situation qui vous aura fait ressentir ce que ressentent les russes à chaque fois que leurs voisins frustrés se permettent de la ramener en jouant les uniques victimes. Il fallait bien que ceux qui avaient participé à l'oeuvre révolutionnaire (totalement internationaliste, niant toute notion de nation) en goûtent eux aussi les effets, non ? » Et que dire des ouest-européens lobotomisés qui rabâchent les mêmes rengaines d'ignorants ? Ça doit être encore pire à entendre pour les russes. Ce n'est certes pas ainsi que les jeunes générations en Europe et à l'Est pourront tirer un trait sur ce lourd passif, source de frictions à répétitions. Le tout entretenu par une paranoïa intensive orchestré par ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui « l'Otanie » et ses idiots de service.
Je n'aurais jamais eu l'idée de faire ressortir tout cela si ces mêmes faits historiques partiellement expliqués ne revenaient pas régulièrement sur le tapis ces dernières années dans des buts malhonnêtes, pour tenter de nous démontrer que les Russes sont la cause de tous les maux de l'Est de l'Europe depuis des siècles, leur domination suprême s'étant installée par la création de l'Union Soviétique qu'ils tenteraient de reconstruire sous l'impulsion de leur gouvernement actuel. « Le Kremlin », « le pouvoir de Moscou », reviennent en boucle pour préciser que le gouvernement d'URSS y était installé. Pensez vous donc que les révolutionnaires allaient choisir une petite capitale excentrée après avoir initiée leur révolution internationaliste en Russie ?
La révolution dite russe nous montre en fait ce qu'aurait pu être la révolution française si elle avait eu lieu à la même époque, avec les mêmes moyens de destruction à sa disposition. Ça fait froid dans le dos, mais il faut bien garder à l'esprit quels étaient les modèles de Lénine. Il a tout appliqué à la lettre, simplement. Le moment était venu : L'intelligentsia libérale, mais aussi les nantis rentiers égoïstes et ceux qu'on appellerait aujourd'hui les « bobos » avaient déjà préparé le délabrement civilisationnel qui a rendu le peuple russe à la fois vulnérable et favorable à une révolte dont il ne percevait pas tous les aspects. Nous ne sommes pas plus malins, nous aurions connu ces mêmes horreurs au début du vingtième siècle (c'était déjà assez conséquent au dix-huitième !), et les pays qui nous sont frontaliers nous reprocheraient encore régulièrement notre dictature sanguinaire que nous aurions été les premiers à subir.
Un procédé qui se répète dans l'histoire, un pays après l'autre
Parmi tous les pays qui ont subi des attaques indirectes, telles que des opérations de déstabilisation de la part de leurs adversaires (qui se résumeront plus simplement en ce vingt-et-unième siècle aux membres de l'OTAN), certains ont complètement plongé dans un chaos irrémédiable (Afghanistan, Irak, Libye, à la suite de plusieurs pays d'Amérique Latine condamnés pour toujours au règne des bandits). D'autres ont conservé une certaine puissance ou tout au moins une farouche résistance, malgré leur basculement politique total et les dommages occasionnés à leurs civilisations, et n'en sont devenus que plus menaçants envers ceux qui les ont déstabilisés. On peut d'ailleurs observer parmi ces cas de « rescapés » une récupération progressive des valeurs civilisationnelles d'origine, ou pas du tout. On peut citer l'Iran (déstabilisé deux fois de suite, avant et après le Shah), la défunte URSS abordée ici, sans oublier la Chine (déstabilisée par les Anglais), et dans une catégorie plus modeste : Cuba, le Venezuela. (La liste serait beaucoup plus longue si on abordait les interventions directes et officielles US par la force armée). Les têtes pensantes de l'Otanie, si elles existent, feraient donc bien d'en tirer des leçons si elles souhaitent la survie de leurs enfants...
Le débat sur la nostalgie de l'Union Soviétique, et conclusion
Il est prévisible que l'un des arguments en réponse à cet article sera ce débat à propos de la nostalgie entretenue par les Russes, plus que d'autres (ce qui n'est pas si flagrant) envers l'Union Soviétique. Toutefois, là aussi, il faut savoir de quoi on parle. Quand certains Russes disent regretter l'Union Soviétique, il faut garder à l'esprit qu'il n'ont pas la nostalgie de la guerre civile, du NKVD, des années 30, des purges et des goulags. Il est évident que premièrement la plupart de ces gens font allusion à la période qu'ils ont connue, celle qui lorsqu'ils étaient de jeunes adultes ne remonte pas tellement plus loin que Brejniev pour les plus vieux. Et il est aussi évident que la comparaison entre les dix dernières années de l'URSS et la période de déconfiture totale et d'insécurité généralisée des années 90 donne l'avantage à l'URSS qui était au moins une structure existante et stabilisée. C'est comme ça. Et si nous avions vécu les mêmes événements nous raisonnerions de la même façon. Encore une fois, ne croyons pas être naturellement plus malins que le reste du monde, ça nous rendra déjà suffisamment intelligents. Il ne manquerait plus qu'on demande aux Russes de s'excuser pour leurs souffrances afin de devenir fréquentables ! Quant à la Lettonie qui se remet aujourd'hui à l'heure des défilés SS [11] avec la bénédiction de l'OTAN pour célébrer la « résistance à l'oppresseur soviétique », je pense qu'il vaut mieux que je n'ajoute rien...
Références et/ou précisions
[1] On ne citera plus l'illustre Boutkevitch, "journaliste" ukrainien absolument pas relégué dans la marginalité, dont les paroles sont sans ambiguïté :
http://www.youtube.com/watch?v=fGCNKNFy5Do
[2] Certains n'hésitent pas et se croient tout permis quand ça va dans ce sens :
* Veronika Dorman dans Libération : « La société russe ne parvient toujours pas à se mobiliser pour repenser son histoire en profondeur et de façon critique. Le discours officiel, tout à l'autocélébration, semble éloigner définitivement la possibilité d'un repentir collectif ». Puis, citant Thomasz Kizny : « La Russie se raconte aujourd'hui une histoire faite de victoires et de succès et veut éduquer la jeunesse dans la fierté et non pas le mea-culpa. »
* Moshé Anielewicz : « Les Russes apprécient être dirigés d'une main de fer, et terroriser les ex-territoires de l'URSS ».
* Gary Volcy, dans on livre « Le Guide du Leader » (anecdotiquement indiqué en tant que curiosité burlesque) : « Peu importe qui est à la tête du pays, le chef de la Russie sera toujours l'incarnation d'un système qui ne changera jamais son objectif, c'est à dire la domination mondiale ».
[3] Le rôle prédominant des fusiliers lettons, passés assez facilement de la résistance contre l'Allemagne à la guerre civile au service de Lénine lorsque le moment fut propice : http://communismeetconflits.over-blog.com/article-les-pretoriens-de-lenine-histoire-des-fusiliers-lettons-rouges-112673550.html
La célèbre révolutionnaire Maria Spiridonova n'hésitait pas à les appeler les « janissaires de Lénine ».
[4] Trotsky - On peut citer par exemple :
* « La calomnie ne peut être une force que si elle correspond à un besoin historique. »
* « Aucun de nous ne veut ou ne peut discuter la volonté du Parti, car le Parti a toujours raison. On ne peut avoir raison qu'avec et par le Parti, car l'Histoire n'a pas ouvert d'autres voies pour suivre la raison. »
* « Dans moins d'un mois la terreur va prendre des formes très violentes, à l'instar de ce qui s'est passé lors de la Grande révolution française... »
(le 1er décembre 1917)
[5] La seconde guerre mondiale explique aussi que la cohésion nécessaire face à un ennemi extérieur venu pour exterminer les slaves ait mis naturellement Staline dans un meilleur rôle que ses prédécesseurs ; lesquels avaient entraîné la guerre et les massacres dans leur propre pays après avoir fait des concessions à l'Allemagne. La fête du 9 mai (date de l'armistice en Russie) a encore recours à la symbolique de l'URSS pour signifier cette cohésion lors du combat contre les nazis, tout comme les célébrations nationales françaises utilisent encore la symbolique et même les dates révolutionnaires depuis plus de 200 ans. Il est vrai aussi qu'en Russie on aperçoit beaucoup de bustes de Lénine qui ont tendance à jouer le même rôle que celui que jouent chez nous les références à la révolution française sur les monuments et bâtiments officiels. Le symbole initial reste, il a été transmis même par ceux qui sont supposés l'avoir plus ou moins trahi ou embelli (selon du côté duquel on se place). Chacun ne garde ainsi qu'une image édulcorée de sa révolution, c'est ainsi dans le monde entier. On pourra aussi remarquer qu'il est courant, de nos jours, de voir en Russie des monuments aux morts comporter à la fois le symbole de l'URSS et la croix orthodoxe. Ça s'appelle la réconciliation nationale, le respect des aînés, la cohésion, et ce sera bien sûr encore utilisé comme prétexte par des malfaisants [10] pour nous démontrer l'existence d'un impérialisme russe génétique et polymorphe aux mille visages. Quant à moi, je vois en revanche dans ces petits signes un grand espoir ; celui de la paix, du pardon et de la stabilité. C'est aussi le signe du profond respect envers tous ces jeunes, russes ou autres soviétiques (n'en déplaise aux euro-maïdanistes), qui se sont sacrifiés pour sauver leurs peuples face à un envahisseur sans pitié, qu'ils aient été ou non dans l'erreur quant à leurs convictions politiques.
[6] Ces informations ont été confirmées par des recherches faites plus tard dans les archives du KGB et du parti communiste par une commission spéciale initiée lors de Perestroika. http://www.alexanderyakovlev.org/fond/issues-doc/66195
« L'Ukraine vous envoie 16-18 mille réprimés par mois. Mais Moscou confirme seulement 2-3 mille. Je vous prie de prendre des mesures ».
Le fait qu'on ne trouve pratiquement plus de bustes de Staline en Russie est principalement le fait d'une décision de Khrouchtchev parvenu au sommet du pouvoir, officiellement pour exprimer son indignation contre la cruauté de son prédécesseur. Mais on peut supposer que des rancunes personnelles sont en fait à l'origine de cette décision. Ce fut l'occasion de combiner une opération « mains propres » discutable avec une probable vengeance posthume.
[7] D'après Dmitri Serguéievitch Likhatchov dans son livre « Sur Solovki 1928-1931. Une place à terre sous les lits superposés »
[8] Laissons parler les intéressés (B.H.Lévy, A.Glucksmann et E.Bonner) :
* B.H.L : « C'est encore et toujours Poutine qui, en soutenant ostensiblement tout ce que le continent compte de partis racistes et antisémites, en appuyant, voire en finançant, tous les Podemos, Syriza et autres... ». Pour évaluer la crédibilité de ces déclarations, on peut remarquer chez le même auteur : « Tout un travail sur cet antisémitisme national que le peuple ukrainien a commencé d'accomplir avec un courage, une lucidité historique, que je trouve, pour ma part, tout à fait exceptionnels (...) je ne peux qu'être admiratif de la manière dont le virus antisémite a été désactivé en Ukraine ». En fait, la réalité c'est à peu près ceci : http://www.les-crises.fr/les-experts-ont-parle/
* E.B : « Certains estiment que Staline était un antisémite né. C'est très possible. Mais avant tout, il était un grand pragmatique, et si l'antisémitisme ne lui avait pas été profitable il ne l'aurait pas propagé ». A.G enchaîne aussitôt : « Le pragmatisme de Staline devient conscient. Dès ce moment là Poutine existe en germe ». (« Le Roman du Juif universel »).
[9] http://www.les-crises.fr/u3-6-l-upa-en-action-et-les-massacres-de-la-volhynie/
(Mais d'autres y passaient aussi finalement, donc ce n'est pas important pour BHL)
[10] Parmi tant d'autres, Michel Eltchaninoff (Français) nous déballe dans l'Express : « Les Russes sont actuellement sous le coup d'une propagande massive et d'un discours idéologique impérialiste (...) Staline, grand impérialiste, s'est inscrit dans la même logique (...) Poutine veut, à travers ses discours mais aussi, de plus en plus à travers ses actes, renouer tous les fils de l'histoire russe, mais sous l'angle de l'empire. (...) A partir de 2004, il a utilisé l'Église pour édifier ce que j'appelle son idéologie archéo-conservatrice : valeurs familiales, morale religieuse, patriotisme, obéissance aux autorités, etc... »
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