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Coke en stock (XXII) : retour en Guinée Bissau et ses fameux « sacs de ciment »

La Guinée Bissau avait déjà été l'objet d'un épisode assez épique des transferts de drogue vers l'Afrique de l'Ouest, le 12 juilet 2008, avec l'arrivée inopinée d'un avion de type Gulfstream venant d'Espagne et contenant 650 kilos de cocaïne, aussitôt saisie par l'armée pour être soi-disant détruite. Son pilote, Carmelo Vicente Vázquez Guerra, frère d'un vététan des vols de cocaïne mouillé dans l'affaire du DC-9 bloqué au Mexique avec 4,5 tonnes de cocaïne à bord, avait été relâché après moult péripéties : le gouvernement du pays avait tout fait pour lui favoriser la tâche. C'est bel et bien un narco-état, dirigé par des militaires ayant supprimé le 2 mars 2009 l'un des présidents élus, Joao Bernado Viera. 

C'est le 13 septembre 2010 que le texte savoureux d'Antonio Pacheco a été mis en ligne sur le site du journal belge LaLibre.be. A lui seul, il résume parfaitement les méthodes utilisées par les trafiquants en Guinée Bissau, dont on a déjà vu ici les liens étroits avec le trafic international de cocaïne (et d'héroïne, comme nous allons le voir. Ça commence par la description d'un minuscule aéroport, à l'activité plutôt restreinte : "le petit aéroport "international" Osvaldo Vieira, à Bissau, semble sortir d’un roman de Somerset Maugham : une espèce de tente, trois petits bureaux d’enregistrement des passagers, des militaires et fonctionnaires comme des lézards endormis, les pieds posés sur les tables et les balcons. Apparemment, le mouvement ne se fait qu’aux jours d’arrivée de l’avion de Lisbonne, trois fois par semaine, et de celui du Cap-Vert, à destination de Dakar, du lundi au vendredi. Mais l’apparence est bien loin de la réalité." Déjà, l'auteur nous livre l'un des nœuds fondamentaux du circuit de drogue de l'ouest africain : nous sommes en Guinée Bissau, et les avions attendus viennent... du Cap Vert, et du Sénégal, qui, jusqu'ici, avaient échappé tous deux à notre vigilance.

Sur le petit aéroport, poursuit l'ineffable Pacheco, une zone à part a été pourtant délimitée : "Sur la piste d’atterrissage stationnent presque en permanence des voitures de luxe et des véhicules immatriculés "FA" - ceux des chefs de l’armée bissau-guinéenne. Ils attendent on ne sait quoi. Ce circuit est regardé avec envie par le corps de police des frontières, gardiens de la sécurité de l’aéroport, mais écartés du contrôle des grandes opérations de commerce illegales qui enrichissent les officiers de l’armée. Cette police des frontières, mal payée, commence à parler. Et fort." Que s'y passe-t-il ? On commence à s'en douter, et c'est ce que vont dire à l'auteur deux témoins rencontrés sur place : "Ils me racontent l’histoire du Monsieur, là-bas. "Tu le vois ? Rond, chauve, avec les vêtements fripés ? C’est un Espagnol". "Tu es sûr ?", dis-je. "Non, mais il parle comme les Espagnols". Le Monsieur est habituellement "très gentil avec nous".Avant, lorsqu’il arrivait, il donnait environ 40000 francs cfa (50 euros) à chaque fonctionnaire. Il donnait aussi aux policiers des frontières des sacs de riz pour leurs unités militaires. C’est un "brumejo sympa" (c’est-à-dire un Créole d’origine étrangère).  Le Monsieur arrive régulièrement dans un petit avion avec des sacs de "ciment". Il traverse l’aéroport sans être contrôlé par les douanes ou l’immigration. J’insiste : "On ne vérifie ni ses documents, ni le ciment, ni sa nationalité ?" La réponse fuse :"Jamais ! C’est un vieux, amical ; il comprend notre situation", disent mes interlocuteurs - avec tristesse, parce que, pour eux, la fête est finie." Voilà, nous y sommes : Pacheco vient de nous décrire la scène fondamentale. Celle d'un trafic, qui n'est certes pas de "ciment". Mais d'héroïne, cette fois, ou de cocaïne, cela dépend... des arrivages (afghans ou colombiens !).

"Le Monsieur débarque toujours à Bissau, mais aujourd’hui son arrivée est précédée par celle d’une unité militaire qui s’occupe de l’affaire et assure le transfert, manu militari, du "ciment" vers les véhicules militaires. Le Monsieur vient une fois par semaine dans un bimoteur chargé de sacs de"ciment". L’opération militaire est régulièrement dirigée par un major récemment promu, homme de confiance d’Antonio Indjai, le nouveau chef de l’armée bissau-guinéenne. Cet officier a été arrêté, en 2009, dans la région de Jugudul, entre Bissau et Mansoa, accusé de transporter de la drogue. Il n’a jamais été mis en prison ni jugé et garde toute la confiance du chef de l’armée". Nous y sommes encore davantage : le pouvoir et les militaires font bien partie du trafic ! Exactement ce qu'on avait décelé lors de l'affaire du Gulfstream débarqué inopinément le 12 juillet 2008 (et mis en vente depuis !).

Pacheco insistant pour décrire ce lien déjà entrevu lors de l'affaire du Gulfstream : "le lien entre les forces armées et le transport de drogues existe au plus haut niveau. On cite le cas d’un autre capitaine, qui fut l’aide de camp de l’ancien président de la République, Cumba Iala, et qui se servait des voyages présidentiels pour transporter des stupéfiants. En août, un autre protégé d’Antonio Indjai, le capitaine Pansau, a accusé ce dernier, dans une interview, d’être le coordinateur et le patron du circuit de la drogue colombienne en Guinée-Bissau. L’accusateur est à présent à Lisbonne, en formation au titre de la coopération militaire entre le Portugal et la Guinée ; le plus extraordinaire est que l’interview a été accordée à partir des installations militaires portugaises de Mafra."

La Guinée Bissau, déclarée narco-état il y a plus de cinq ans déjà, avec déjà à l'époque des exemples pendables : l’année dernière (en 2006), des pêcheurs locaux ont récupéré des paquets contenant une mystérieuse poudre blanche qu’ils ont utilisée comme assaisonnement ou engrais. Informé, l’ONUDC a dépêché une mission dans le village de Quinhamel, situé à une trentaine de kilomètres de Bissau, la capitale, pour mener une enquête. « Nous avons confirmé qu’un bateau a coulé dans la région en octobre [2005] et que des pêcheurs ont récupéré plusieurs paquets de cocaïne qui flottaient dans l’eau », a affirmé M. Mazzitelli.« Nous avons également confirmé qu’un avion privé est arrivé à Bissau peu de temps après avec son bord un ressortissant ouest-africain et deux Sud américains. Apparemment, ils étaient venus racheter les paquets récupérés. Ils ont été arrêtés par la police qui a saisi les 700 000 euros [900 000 dollars américains] qu’ils avaient en leur possession. Deux jours plus tard, ils étaient relâchés ». Quelques jours après, un autre avion privé est arrivé en Espagne, en provenance de Guinée Bissau, transportant 100 kilogrammes de cocaïne estimés à 5 millions de dollars sur le marché" : les petits malins avaient réussi à recupérer 100 kilos ! On ignore ce que le fait d'arroser à la coke a pu donner sur les cultures, en revanche.

Déjà à l'époque, l'armée avait été mise en cause par l'ONUDC (*) : "la prise la plus importante réalisée en Guinée Bissau a eu lieu le 26 septembre 2006 après une fusillade dans Bissau. « La Police a arrêté deux hommes, détenteurs de passeports vénézuéliens, et a saisi des ordinateurs portables, des armes et des postes émetteurs, ainsi que 674 kilos de cocaïne », a expliqué M. Mazzitelli. Le butin, d’une valeur de 39 millions de dollars, a été déposé dans un coffre du trésor public, puis a disparu, selon un fonctionnaire du trésor qui a requis l’anonymat. « Un groupe de soldats est arrivé et a demandé à évaluer la drogue saisie, puis on n’a plus jamais revu les paquets », a-t-il précisé." Et déjà, on avait laissé entrevoir le coup du fameux "ciment" : « La chaîne de preuves est rompue », a déploré M. Mazzitelli. « Aucune analyse n’a été effectuée sur le produit qui aurait été détruit. Ils auraient très bien pu détruire 674 kilos de ciment blanc, après tout ». Ah, ce fameux "ciment" si pratique ! On construit peu, en Guinée Bissau, mais c'est fou ce qu'il peut circuler comme "ciment" !

Du ciment qui n'est pas toujours de la "colombienne" : l'autre particularisme du pays est qu'il sert aussi à écouler de l'héroïne, la plupart du temps venue on s'en doute d'Afghanistan, où le commerce n'a jamais été aussi florissant depuis que Wali Karzaï s'en occupe avec une attention toute... professionnelle. L'homme qui, comme par hasard, déclarait solennellement le 12 juillet 2010 que "les américains doivent rester en Afghanistan" : de là à dire qu'il y trouve intérêt, il y a un pas qu'on ne va pas hésiter à franchir. Dans tous les pays où les USA influent directement sur la vie politique (comme pour la Guinée Equatoriale, par exemple !) le commerce de la drogue est plus que florissant ! Wali Karzaï ayant été nommément cité le 4 octobre 2008 comme étant à la tête du réseau de drogue du pays par un journal américain de poids : le New-York Times.... et en même temps décrit comme "employé de la CIA" !!! Encore un narco-Etat évident !!!

De l'héroïne, donc, qui inonde l'Europe et qu'on retrouve par exemple en France, à Toulouse, comme l'indiquait une dépêche du 28 juillet 2010 : "La police judiciaire a démantelé une filière de revente d'héroïne très active sur Toulouse. Dix-huit mois d'enquête et, au final, de lourdes peines devant le tribunal de Bayonne. Dans ce réseau à tiroir, tenu par des Africains de Guinée Bissau, chaque branche fonctionnait en parallèle sans se marcher sur les pieds. Le business tournait à plein. « En moyenne, entre 1,5 et 2 kg d'héroïne par mois », lâche un enquêteur. La poudre achetée autour de 20 € le gramme en Espagne, au Pays Basque ou en Catalogne, doublait une fois arrivée dans les rues de Toulouse. À la clef, de beaux bénéfices et un chef… femme. Une « nature », souvent accompagnée de gros bras, qui faisait régner l'ordre et tourner la cash-machine. « Tia Cady », son surnom, a disparu avant que les policiers lui passent des bracelets peu coquets. En fuite, elle fait l'objet d'un mandat d'arrêt désormais assorti d'une peine de dix ans de prison." On le voit, le "ciment" passe bien par l'Espagne et le pays basque pour atterrir dans le sud de la France, et ce n'est donc pas toujours de la cocaïne ! A Toulouse, il y en avait pour presque un demi-million d'euros !

En Guinée Bissau, il faut le rappeler, le 26 février 2008, avant même l'atterrissage du Gulfstream N351SE, un avion semblable, sinon le même, était arrivé trois jours seulement avant l’assassinat de Tagme Na Wai, un militaire illettré arrivé à la tête des armées, justement. Mort dans le même attentat ayant tué le président Viera. Comme j'ai déjà pu l'écrire, ce jour-là une bien étrange conïncidence s'étaiitr produite : "l’avion s’était posé et avait redécollé quatre heures à peine après (direction l’Espagne et Marbella ?), mais l’aéroport n’avait rien gardé comme preuve de son passage. Le même jour, 200 kilos de drogue avaient disparu d’un hangar de la Marine nationale de Guinée-Bissau". Le trafic que nous décrit Pacheco durait donc depuis quelques temps, avec la bénédiction évidente des dirigeants militaires du pays. .  Qui ne lésinent pas avec les petits profits : l'avion saisi avait carrément remis sur le marché de l'occasion et revendu le 16 décembre 2009. Selon Wikipedia, aucun doute sur l'origine de l'explosion ayant décapité le pays : "selon Le Figaro, ces deux attentats porteraient la marque des trafiquants de drogue colombiens . Le Prid, le parti de Vieira, aurait été particulièrement impliqué dans ce trafic, qui mouille une grande partie de la classe politique de Guinée-Bissau. Le double attentat aurait pu être une mesure de représailles contre la destitution, en août 2008, du chef de la marine nationale, accusé de couvrir le trafic". Des narcos trafiquants qui suppriment des chefs d'état... comme au Mexique, où c'est le ministre de l'intérieur qui voit son appareil (le Learjet 45 XC-VMC) s'écraser "par accident" en novembre 2008.

Le petit bimoteur décrit par Pacheco a été vu à plusieurs reprises sur les nombreuses pistes sommairement aménagées dans le pays comme celles de Faranah, dans le centre du pays Guinée, ou à Boké,  à a peine 268 kilomètres au nord de la capitale, la plupart en provenance du Cap Vert, qui, visiblement, jour le rôle de relais vers l'Europe, ou vers le Sénégal, qui semble bien être une autre plaque tournante qu'une découverte récente vient de confirmer... De petites pistes entretenues par... des militaires, dans des endroits où il ne fait pas bon enquêter, visiblement, nous raconte The Economist : "la poignée de courageux journalistes locaux qui osent écrire des rapports sur le rôle de leur pays dans le commerce de la cocaïne doivent face à des menaces croissantes pour les faire taire. Votre correspondant local et un collègue ont été traînés devant le ministre de l'Intérieur et menacés de prison pour diffusion d'allégations selon lesquelles les forces armées avaient affaire de cocaïne, après qu'un homme de la région ait rédigé une déposition, repris par la radio portugaise. Manifestement, les soldats sont impliqués : certains ont été pris en flagrant délit. Des experts en drogues affirment que ses agents peuvent gagner jusqu'à 500 000 dollars pour assurer une piste d'atterrissage pour les livraisons..."

L'avion, seul moyen de circuler dans un pays sans infrastructure ferroviaire ou presque : en 2002 on estimait qu'in n'avait que 4400 km de voies ferrées dont 453 au moins inutilisables, et les routes ne valant guère mieux. Entre développer une économie véritable et s'en mettre personnellement plein les poches, les militaires ont choisi. Pour ce qui est des aéroports, sur les 28 recensés en 2001, 3 seulement étaient en dur. Depuis, rien n'a changé. Selon un procureur américain, dans son rapport du 14 novembre 2010, les terrains d'atterrissage de Guinée Bissau sont l'œuvre d'un cartel Mexicano-Colombien : celui de l'organisation de Valencia-Arbelaez, qui était à l'origine de l'achat d'un avion gros porteur de 2 millions de dollars pour faire le trajet mensuel entre le Venezuela et la Guinée.  Selon le procureur, le cartel aurait eu six avions déjà prêts pour les traversées... le groupe avait tenté d'acheter un cargo Moldave, mais un agent de la DEA qui s'était infiltré avait dénoncé l'affaire. Moldave, oui, vous avez bien lu : Moldave, comme les avions d'un certain Viktor Bout. Je m'étais toujours dit que les cargos une fois déversé leur armement ne repartaient jamais à vide... l'autre partie de l'iceberg vient de subitement apparaître. Et pour ce faire, nous avons retrouvé un des pilotes... ce que nous verrons demain, si vous le voulez bien... pour ce faire, nous allons visiter plutôt le Nigeria, sur lequel débouche directement la fameuse île de Bioko, chère à la famille Nguema...` Le 2 juillet 2009, en Roumanie, Valencia Arbeláez, surnommé "El Padre” ou “Pat”, se faisait prendre en train d'acheter un petit appareil. Jugé, il prendra 17 années de réclusion.

(*) l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.


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6 réactions à cet article    



    • morice morice 23 mars 2011 18:56

      considérez la série come un blog en elle-même !


    • morice morice 23 mars 2011 18:55

      Veuillez cesser vos IMBECILLITES ici dans ce fil, Haddock, pour la dernière fois ; j’en ai MARRE que vous pourrissiez ce forum et ce site : ça fait plus de trois ans que ça dure, et JAMAIS vous n’avez apporté une seule précision « pour enrichir la discussion » : allez régler vos comptes ailleurs !


      • Victor 23 mars 2011 20:13

        Vérifiez mieux vos sources, car le net n’est pas toujours fiable, hein ? :-P
        - Tagme Na Waye est effectivement mort dans un attentat, mais Nino Vieira a été assassiné quelques heures après...

        - Faranah et Boké sont en Guinée-Conakry, et pas en Guinée-Bissau...

        - En Guinée-Bissau, il n’y pas de voies ferrées du tout...

        En fin, pourquoi ne pas indiquer le lien au rapport du procureur américain de 2010 que vous citez ? :->


        • morice morice 23 mars 2011 23:21

          - Tagme Na Waye est effectivement mort dans un attentat, mais Nino Vieira a été assassiné quelques heures après...


          on a souvent relié les deux morts, désolé.

          - Faranah et Boké sont en Guinée-Conakry, et pas en Guinée-Bissau... exact.
          - En Guinée-Bissau, il n’y pas de voies ferrées du tout... là aussi = Le pays ne compte aucune voie ferrée.

          mieux : «  L’archipel des Bijagos est mal relié au reste du territoire Les îles sont joignables exclusivement par la mer, à l’exception des îles de Bubaque et de Boloma, qui possèdent un petit aéroport. La desserte des îles par la voie maritime est médiocre et irrégulière. L’isolement relatif semble le lot commun de la plupart de ces îles. »

          Vérifiez mieux vos sources, car le net n’est pas toujours fiable...

          faites donc l’ensemble des épisodes, pour voir, « hein... »


          • morice morice 24 mars 2011 01:07

            news du jour : bad news

            http://sciencepourvousetmoi.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/03/23/fukushim a-suite-16-uranium-et-transuraniens.html
            FUKUSHIMA (suite 16) URANIUM et TRANSURANIENS. Le pire est-il déjà arrivé ?

            Mercredi 23 mars. 19H15. C’est une confirmation extrêmement grave à propos de la centrale de Fukushima, pouvant impliquer le relargage de produits parmi les plus dangereux pour l’homme et l’environnement – uranium, plutonium, américium, curium etc. outre l’iode et le césium volatils,  qui date de ce matin. « L’enceinte de confinement du réacteur n°3 ne semble plus étanche, selon les indications de pression », précisait dans son dernier « point de situation », ce mercredi 23 mars, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. En clair, même si de l’eau de mer continue à être injectée dans la cuve du réacteur – de façon à le refroidir, non seulement l’eau s’en échappe sous forme de vapeur mais elle part aussi vers l’extérieur. Comme ce cœur n’a cessé de chauffer, on peut imaginer qu’il est même largement fondu et qu’il relargue dans cette vapeur des éléments de son contenu. Résultat : ces fumées noires ou grises qui se sont dégagées ces derniers jours au-dessus du bâtiment réacteur dévasté, qui emporteraient des gaz (gaz rares tel le Xénon), des éléments volatils (iode, césium) et, ce qui nous inquiète le plus, des aérosols contenant les produits dangereux évoqués ci-dessus.

            Dès avant hier soir, nous faisions cette analyse pessimiste (1), accompagnée d’une photo symptomatique prise à l’aplomb du réacteur. A savoir l’existence d’un contact « direct » entre le cœur du réacteur et l’extérieur – air ambiant mais aussi eau de la mer, à proximité de la centrale. « Cette perte d’étanchéité, ajoute l’IRSN, serait à l’origine de rejets radioactifs « continus » non filtrés dans l’environnement. » Et, vu les implications graves de cette hypothèse, nous interpellions les autorités du nucléaire. Nous les interpellons à nouveau aujourd’hui. De quelles données disposez-vous ? Pourquoi aucune précision n’est-elle donnée ces jours-ci sur ce danger très particulier ? « Oui, il faut demander des explications. Il doit forcément y avoir émission d’aérosols, après que les pastilles d’uranium ont atteint le point de fusion », estime la physicienne Monique Sené, du GSIEN (gourpement de scientifiques pour l’énergie nucléaire).

            Il s’agit en effet d’une situation d’une gravité potentielle extrême, sur laquelle les autorités japonaises doivent absolument s’exprimer. Les éléments cités plus haut, uranium et « transuraniens », sont des métaux lourds, non seulement d’une violente toxicité chimique (notamment le plutonium) mais d’une des plus grandes dangerosités en termes de radioactivité. On pourrait dire, pour faire comprendre la différence, qu’ils sont pour une même quantité, cent fois plus dangereux que le césium ou l’iode. Rappelons que ces derniers ont été incriminés depuis trois jours pour avoir contaminé dans la région de Fukushima, lait, épinards, brocolis, mais aussi l’eau à Tokyo. Uranium et transuraniens, s’ils sont inhalés ou ingérés sous forme de fines particules, comme les précédents, vont se fixer à l’intérieur du corps. Le plutonium ira dans les poumons puis se fixera de préférence dans le squelette ou le foie, l’uranium dans les reins… Là, ils émettront des particules dites « alpha » (2) qui peuvent provoquer des dommages considérables, en particulier aux chromosomes des cellules, ce qui engendre des cancers (3). Très grave aussi, ces éléments peuvent persister très longuement dans la nature. Là où l’iode a une demi-vie de 8 jours (au bout de 8 jours, il ne reste que la moitié de la quantité initiale), certains isotopes de plutonium ont une demi-vie de 80 ans, et d’autres de 24000 ans.

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