• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > D’un De Gaulle de pacotille au possible héroïsme citoyen de (...)

D’un De Gaulle de pacotille au possible héroïsme citoyen de demain

En sa qualité de pièce majeure dans le bagage intellectuel de Charles de Gaulle pour ce qui touche aux institutions à faire valoir en France, André Tardieu valait d’abord pour sa façon de mettre en garde contre les erreurs qui peuvent émaner de l’expression du suffrage universel : la loi du nombre n’est, selon lui, que bien peu adéquate à produire quoi que ce soit de raisonnable.

Reprenons le début d’une de ses formules. Il l’a couchée noir sur blanc en 1936 :
« Qu’est-ce qui établit que la majorité ait nécessairement raison ; que l’avis de 20 millions d’hommes soit plus proche de la vérité que l’avis de 200.000 ? »

Pourquoi ces chiffres-là plutôt que d’autres ? Pour le comprendre, remontons un peu plus de trente ans en arrière. Ouvrons - d’un auteur que nous laissons d’abord dans l’anonymat - La Crise de l’État moderne - L’Organisation du travail dans son tome premier : Le Travail, le Nombre et l’État à la page 8 :
« Désormais l’État tout entier allait porter, non plus sur ce lit d’argent assez mince des 240.000 électeurs censitaires, mais sur l’épaisse accumulation des trente-deux couches d’électeurs populaires, à moins de deux cents francs ou à rien. »

"L’épaisse accumulation", il faudra s’y faire, c’est le suffrage universel masculin tel qu’instauré en 1848 : le nombre d’électeurs s’était trouvé tout à coup multiplié par 33. Quel malheur !

L’homme qui tient ce langage, c’est le très important Charles Benoist, futur précepteur du futur comte de Paris, dont l’ombre royale ne cessera guère de planer aux alentours d’un Charles de Gaulle qui aurait pu devenir son Monk…

Charles Benoist nous donne une image terriblement parlante de la peur ressentie par les possédants en présence de la mise en œuvre du suffrage universel (rien que masculin cependant) :
« L’introduction du Nombre dans la mécanique de l’État concorde donc et peut se comparer absolument avec l’introduction de la vapeur dans la mécanique des métiers. » (page 8)

Voilà ce à quoi a remédié, dès 1958, la Constitution de la Cinquième République… Nulle part il n’y a plus eu le moindre échappement de vapeur. Quant aux bielles, c’est rien que du billard…

Mais la bourgeoisie a eu très peur… et justement, jusqu’en 1958. Après, elle n’a plus eu peur du tout. Et surtout pas en mai 68. Les initiés n’ont cessé de vérifier que même l’application de l’article 16 n’était pas du tout en vue, et à aucun moment : c’est dire la marge…

Et pourtant, en 1905, Charles Benoist n’avait pas tort de s’inquiéter un peu. Voilà pourquoi, nous dit-il :
« La conséquence nécessaire est que, faite plus ou moins directement par le Nombre, mais dans tous les cas inspirée par lui, la loi sera plus ou moins franchement faite par le Nombre, et l’État lui-même tourné au profit du Nombre. » (page 8)

Ce qui est particulièrement comique, c’est de voir figurer justement sur le collier étrangleur du suffrage universel - la belle et bonne Constitution de 1958 (version originale) que nous devons au dit Grand Charles - cette inénarrable formule (article 2, alinéa 5) :
« Son principe est gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »

Faut-il qu’on nous l’emballe ? Ou bien le prendrons-nous tel qu’il est ?...

Trop tard : ça fait déjà bientôt soixante années que ça dure - c’est-à-dire deux générations -, que le Nombre se suffit de sa muselière.

Si ce n’est le Nombre qui commande, qui donc est-ce ? Bon prince, Charles Benoist ne nous l’aura pas caché plus de quelques secondes : c’est la propriété. Cela chevauche gaiement les pages 8 et 9 :
« Tandis qu’auparavant on avait légiféré pour la propriété, et presque uniquement pour elle, maintenant on allait légiférer presque uniquement pour le travail ; ou du moins jamais à présent le travail ne serait oublié, et toujours, dans toute la législation, on se placerait de préférence au point de vue du travail. »

Sauf qu’aujourd’hui - grâce à la mise en œuvre de la Constitution de 1958 -, le travail s’est tellement fait la malle que le problème se trouve véritablement résolu, disons-le, faute de combattants.

Quant à la propriété - dont il faut bien comprendre qu’elle n’est véritablement que celle qui s’attache aux moyens de production et d’échange -, elle court tellement vite - dans sa version : finance internationale - qu’elle peut se rire doucement… de la loi nationale… du Nombre muselé ici ou ailleurs.

1905-2015 : le même Nombre s’est très largement éparpillé. Haché menu apparemment… Et si ce n’était qu’une apparence, justement ? S’il retrouvait les mots de son histoire !... Que lui resterait-il alors à dire aux plus jeunes qui sont comme la prunelle de ses yeux ?

Que l’histoire n’est décidément pas close.

Que, peut-être, le temps de tous les héroïsmes citoyens est enfin revenu.


Moyenne des avis sur cet article :  2.33/5   (12 votes)




Réagissez à l'article

10 réactions à cet article    


  • Le p’tit Charles 13 avril 2015 10:20

    De Gaulle avait ses défauts...mais reste le meilleur président que la France n’ait jamais eu... !


    • mac 13 avril 2015 22:37

      @Le p’tit Charles
      De Gaulle le meilleurs président de la 5ème et de très très loin !


    • Olivier 13 avril 2015 10:33

      Sur Tardieu, lire son livre (paru en 1934) « La révolution à refaire », tout à fait remarquable, où il dénonçait de façon virulente la IIIème république, certes pas moins pourrie que celles qui lui ont succédé...


      • Dwaabala Dwaabala 13 avril 2015 14:04

        Bonjour, Michel J. Cuny
        grâce à la mise en œuvre de la Constitution de 1958 -, le travail s’est tellement fait la malle...
        Je vous trouve injuste. Certes, jusqu’à Pompidou, la Ve était bien au service de ce que le PCF appelait alors le capitalisme monopoliste d’Etat et les ministres passaient des postes de PDG aux affaires pour retourner aux premiers, mais il n’empêche qu’alors s’exerçait une politique de compromis avec les forces du travail.
        Le début du virage en politique fut pris avec le libéral VGE, puis confirmé et accentué paf Mitterrand qui se défaussèrent sur l’Europe des problèmes posés par la classe ouvrière. Aidés en cela par la désindustrialisation du pays qui vit ses activités productives remises aux soins des mains-d’œuvre de pays étrangers.
        Sinon, votre retour aux sources est toujours aussi intéressant.


        • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 13 avril 2015 14:24

          @Dwaabala
          Bonjour et merci, Maurice.
          Je pense ne pas être en contradiction avec vous.
          La phrase que vous rapportez renvoie aux presque soixante années de fonctionnement de la Constitution, et non pas seulement à son début.
          L’étape la plus importante est celle de 1958. Ensuite vient la modification de 1962, qui est elle-même une étape majeure. Mais, entre 1958 et 1969, par exemple - et j’y viendrai par la suite - De Gaulle n’a cessé d’améliorer le modèle...
          Et ses successeurs au-delà.
          C’est tout cela qu’il faut regarder de près : j’espère pouvoir le faire ici, avec vous, et qui voudra bien nous rejoindre.

          Me voici, au début d’un face à face que je me propose de faire durer :
          https://youtu.be/870G4CQ8IjI


        • Parrhesia Parrhesia 13 avril 2015 14:43

          Une phrase qui suffit à mesurer la valeur réelle de ce papier : 

           >>> Sauf qu’aujourd’hui - grâce à la mise en œuvre de la Constitution de 1958 -, le travail s’est tellement fait la malle que le problème se trouve véritablement résolu, disons-le, faute de combattants. <<<

           Donc, d’après Michel. J. Cuny, le travail se serait fait la malle « grâce » à la constitution de 1958 !!!

           

          Car, bien sûr, le travail ne s’est pas fait la malle « grâce » à la trahison de ceux qui ont suivi de Gaulle, n’est-ce pas ? Souvent les mêmes, d’ailleurs, que ceux qui continue encore aujourd’hui (la preuve ici), à combattre à la fois le général et sa constitution !!!

          Et ceci pour le plus grand profit de ceux qui, ayant d’abord permis l’instauration de la dérégulation, puis nous ayant amené le pouvoir absolu, inconstitutionnel et rance de la haute finance, nous explique maintenant qu’il n’y a pas d’autre alternative !

          Mais il est vrai que chaque système, quel qu’il soit, dépend essentiellement de la qualité morale et de la compétence technique de ceux qui sont chargés de l’appliquer ! Alors maintenant… naturellement…


          • Dwaabala Dwaabala 13 avril 2015 15:45

            Curieux phénomène qui me poursuit : je discute un point ou une phrase d’un article, et aussitôt après surgit un diable (pas toujours le même !) qui la reprend pour s’apercevoir que l’article est à mettre au rebut.
            @ Michel J. Cuny
            Je voulais ajouter, mais le « critique » ci-dessus m’a précédé, qu’entre le moment où « la politique ne se fait pas à la corbeille » (effectivement alors la Bourse vivait en hibernation), et aujourd’hui, de la finance a coulé sous les fondations.


            • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 13 avril 2015 16:18

              @Dwaabala

              Oui, en ce qui concerne les questions financières, bien des choses ont changé.
              Mais il faudrait regarder ce qui s’est passé du point de vue de la situation du franc aux alentours immédiats de mai 1968. Il faut ensuite faire le lien avec le rôle que Jacques Rueff - véritable mentor du Général, en ce temps-là, pour les questions économiques et monétaires - avait voulu rendre à l’or. Une partie des raisons de la chute du président de la république passe par là (et donc par les pays anglo-saxons et par... l’Allemagne).
              A noter qu’à cette époque, Daniel Cohn-Bendit recevait, en provenance des Etats-Unis, une lettre très amicale de la dénommée Hannah Arendt qui le félicitait pour son action, lui disait que son père à lui, s’il vivait encore, aurait été très fier de son fils, et lui proposait de l’aider, si nécessaire, en lui envoyant de l’argent.

              Pour Hannah Arendt, j’oriente vers mon propre travail :
              http://crimesdestaline.canalblog.com


            • Dwaabala Dwaabala 13 avril 2015 16:58

              Ah ! Hannah Arendt ! Une des coqueluches de France culture quand ce n’est pas la grève...
              Grâce à cela j’ai pu me dispenser de sa lecture. Ce qui n’empêche pas notre appréciation sur la penseure de converger.


            • mmbbb 13 avril 2015 19:42

              Votre article est quelque peu meprisant pour cet homme Vous oubliez de rappelez que cette constitution de 1958 a instaure une base solide et a mis fin a la 4 eme dont votre Mitterand s’accommodait tres bien des compromissions Ce meme Mitternad qui a tant critique le general et une fois elu s’est si bien adapte a cette constitution Cette 4 eme qui a failli precipiter la France dans le chaos DE Gaulle qui a quand meme foutu les americains dehors apres la guerre qui voulaient nous mettrent sous tutelle ( AMGOT) etc etc Je ne veux pas passer pour un thuriferaire du general mais nos representants politiques Sarko et Hollande entre autres sont loin d’avoir cette assise Quant a vos petits gars de 68 ce sont des liberaux Con Bendit le premier et pro atlantiste Vous etes ecrivain lancez vous dans la bataille et je vous souhaite plus de chance que Lamartine qui s’est fait laminee

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité