De l’art et du cochon
Connaissez-vous Pigcasso (contraction du mot pig qui veut dire cochon en anglais et du fameux Picasso, le marronnier et le tiroir-caisse de tous les musées de France et de Navarre) ? une truie de 200 kg, six ans à peine, auteur de près de 400 tableaux et cerise sur le groin, Pigcasso est devenu le 13 décembre, le cochon-artiste le mieux côté de l'histoire animale avec Sauvage et Libre une toile vendue 23 500 €, battant pour le coup le record de son prédécesseur (16 754 €) détenu par le chimpanzé Congo. Dieu sait que chez les canidés, hominidés et autres mammifères herbivores ou non, certains ont, de par leur gestuelle picturale, enchanté les salles de vente et les mondanités des dîners en ville. Ce qui va sans dire la condition animale peut être aussi sujet à spéculation et profits.
Quelle bonne âme a décidé de changer le destin tout tracé de ce Pigcasso tant adulé, à savoir direction l'abattoir ? Elle s'appelle Joanne Lefson, une artiste dirigeant un refuge animalier, la Farm Sanctuary, situé dans la petite ville de Franschhoek dans le Western Cape (Afrique du Sud), au beau milieu d'un massif montagneux. Son point de vue sur les "dons" artistiques de son cher Pigcasso n'est en rien mercantile." Tous les bénéfices sont reversés en faveur de la cause animale et de l'entretien de la ferme. Le bien-être des animaux passe avant tout." Une louable intention au demeurant discutable. Comment un cochon pourrait être regardant sur la comptabilité de ses "prouesses" artistiques, si ce n'est qu'en stoppant net ce cirque ou en chiant avec satisfaction sur la toile sans crier gare ? Loin de lui de penser qu'il ferait de la merde. Ce n'est tout de même pas Pigcasso, qui par vocation intime, a demandé à sa protectrice toiles, pinceaux et couleurs. Peut-on parler de consentement, de ressenti et de virtuosité ? Sent-il au moins qu'il ne finira pas en saucisse dans l'assiette de son prochain (loin de moi le véganisme, j'adore le porc) ou tranché sous cellophane dans les rayons sur-bondés d'un hypermarché ? Pas forcément, on lui a appris à projeter de la couleur, pinceau en gueule en agitant du groin dans tous les sens avec une ivresse enfantine qui peut certes surprendre et faire jouer notre corde sensible face à ce génie méconnu qui pourrait sommeiller en chaque animal. Pourquoi pas ! La question demeure. Pigcasso n'aurait pas à rougir aux côtés de certaines croûtes qui jalonnent l'histoire de l'art.
Du bacon dans les épinards
Certains journaux relatant l’info parle même de boulimie artistique lui permettant de créer sa propre galerie d'art baptisée OINK, et affichant toutes ses séries d’œuvres accrochées sur les palissades en bois de la grange, également déclinées en produits dérivés, à l'image de sacs en toile et divers pulls over. La condition animale, au même titre que la condition humaine, est un vaste sujet où vérités à la petite semaine, querelles de chapelle et philosophie de comptoir deviennent les ingrédients d’une cuisine bon marché pour consommateurs pas trop exigeant. Si l’homme est un loup pour l’homme, qu’en est-il de l’animal, (re)lire La Ferme des animaux de Georges Orwell, excellente allégorie de l’exploitation universelle ou de la domination du plus fort sur le plus faible ? Pigcasso n’est pas stupide au point de se soustraire à la bienveillance de sa bienfaitrice, fût-elle en filigrane financière et philanthrope. Devenir le cochon-artiste le mieux côté de l’histoire animale n’est pas une sinécure mais il y a pire. Fermons les yeux et disons-nous qu'il mérite bien toute l’attention des médias friands d’anecdotes insolites en ces heures de scénario-catastrophe (O’covid quand tu nous tiens !) dont la fin reste encore à écrire. Voir ce sublime porcin s’activer sur une toile immense face à la mer pendant 72 heures, temps de pause comprise, ce n’est pas du stakhanovisme mais tout de même ! ça n’a rien d’une croisière de luxe.
Qui est-ce qui ramène le bacon à la maison ? C'est Pigcassooo ! (avec sa bienfaitrice Joanne Lefson)
Amoureux des bêtes à des fins commerciales ?
Au-delà d'illustres prédécesseurs tels que Congo le chimpanzé, star des années 1960 dont Picasso, Miro et Dali auraient acquis certaines de ses toiles ; Cholla le cheval peintre, ses oeuvres ayant été exposées à la Galleria Giudecca de Venise et se vendant à plus de 2000 € ou Tillamook Cheddar, une chienne terrier Jack Russel, ses tableaux furent présentés au National Arts Club aux côtés de sommités telles que Tom Sach et Westphal, on en vient à se demander, malgré ce vernis bien pensant que l'homme n'est pas le seul à posséder une certaine créativité, si les prouesses artistiques de nos amis les bêtes ne seraient pas utilisés, même avec l’amour le plus « désintéressé », à des fins commerciales. Leurs propriétaires ont beau évoqué la fibre artistique de leur protégé, version officielle oblige, on en reste pas moins sceptique sur la possibilité d’un dressage en sous main, certes beaucoup moins cruel que celui exercé dans les camps d’éléphants en Thaïlande.
Congo le chimpanzé en action ©Desmond Morris
Autoportrait de Hong © Asian Elephant Art Conservation Project
Ces derniers vus comme des mammifères de foires égayant les séjours de touristes en goguette deviennent pour le spectacle footballeurs, acrobates, jongleurs...ou peintres. Il faut savoir que derrière chacun d’eux, il y a la main tyrannique du dresseur visant à briser l’esprit de l’animal avant d’en faire de la pâte à modeler. On appelle cela la cérémonie du Phajaan, rituel à base de sévices, de tortures et de camisoles. Il paraîtrait selon les rites du dressage que ses cicatrices sont les preuves d'affection de leur mabout (maître et tortionnaire) pour le pousser à la capitulation avec son pic. L’essentiel est invisible aux yeux de celui qui se pâme devant le spectacle d’un éléphant qui peint, et qui plus fait son autoportrait. Sa domesticité, ou plutôt sa soumission, fait partie d’une symbolique lié à l’image d’une Thaïlande paradisiaque gargarisant le tourisme. Vous ne verrez jamais un éléphant d’Afrique avec une nacelle sur le dos transportant un couple de touristes ébahis ou en train de faire le pitre avec un pinceau, un ballon de foot ou un cerceau. Vous le verrez en savane, libre et certainement pas bridé dans un cirque. On peut me rétorquer que face à la misère qui sévit en Thaïlande (et pas seulement), que ces camps d’éléphants « savants » pour touristes sont une manne providentielle pour l’économie du pays. Je ne suis pas thaïlandais mais je ne pense pas que tous les thaïlandais ignorent que derrière un animal « savant », il y a souvent de la souffrance.
Harry Kampianne
PS : Je mets en lien une vidéo sur le dressage d'éléphants dans un camp en Thaïlande en vue d'égayer le touriste. Certaines images peuvent être dures et violentes mais derrière ces mammifères "savants", il y a le réel.
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