Du pouvoir d’achat de droite au savoir-être de gauche
Quelle nouvelle défaite, pour ne pas dire capitulation, de la gauche à revendiquer sans cesse du pouvoir d’achat, à en faire le socle de sa critique de l’échec de la politique gouvernementale ! Quel renoncement à ce qui devrait la constituer ! Quel suivisme à l’égard de celui qui avant l’élection présidentielle, dans une de ses formules élégantes dont il a le secret, avait annoncé qu’il irait « le chercher avec les dents ». Quel manque d’imagination et de rigueur conceptuelle ! Car enfin, réveillons-nous ! Le pouvoir d’achat, n’est-ce pas la condition même, l’essence (au sens de carburant) du système libéral et capitaliste dans ce qu’il peut avoir de plus excessif et de vain, ce que résumait la formule du Trader du film Wall Street « Greed is good » ?
Le pouvoir d’achat, un concept de droite
Attention, et là commence le débat, de quoi parle-t-on quand on évoque le pouvoir d’achat ? Est-ce des biens de première nécessité, logement, nourriture, vêtements ? Mais alors il s’agirait d’avantage de revendiquer non plus du « pouvoir d’achat » mais déjà du « pouvoir vivre ». La formule serait plus belle, la portée différente.
Mais non, ne nous leurrons pas, le pouvoir d’achat renvoie directement à la propension consumériste qui nous anime et que les spécialistes du marketing n’ont de cesse de flatter et de développer. Dans son livre « La société du spectacle », Guy Debord démontre que le système libéral marchand, qu’il démonte par la même occasion, repose notamment sur cet éloignement progressif de nos besoins élémentaires et surtout sur une distorsion du coût de la valeur d’échange laquelle s’éloigne de la valeur d’utilité de la chose. Le summum de cette distorsion étant le luxe qui bien évidemment n’a pas de prix. Il explique le mécanisme notamment au regard des coûts engendrés par les structures intermédiaires devenues d’autant plus nécessaires et dont le seul objet est de trouver les moyens de susciter le désir du quidam, du consommateur, jusqu’à lui faire ressentir la quasi nécessité de posséder l’objet de sa convoitise.
Ainsi, en se faisant le défenseur du pouvoir d’achat notre Président actuel, à l’instar des sociétés de crédit à la consommation est bien davantage dans son rôle que la gauche. Le pouvoir d’achat se borne à instaurer une relation de pouvoir entre l’individu et les choses qui lui sont présentées. Or, il n’est pas difficile de constater qu’en réalité, ce sont les choses qui exercent un pouvoir, une fascination sur les individus. Le consommateur rappelle en effet trop souvent l’histoire bouddhiste du singe dont la main se retrouve coincée à l’intérieur de la boite où il vient de saisir une poignée de graines et qui dès lors ne peut plus la ressortir par l’orifice par lequel elle s’était introduite. Il se retrouve prisonnier.
Quelles alternatives à gauche ?
Est-ce donc dans cette prison de la possession que la gauche entend enfermer l’homme ? Est-ce le seul horizon qu’elle prétend aujourd’hui lui donner ? Serait-elle devenue matérialiste au sens le plus pauvre du terme, au sens commun ? A-t-elle sacrifié à ce principe fondamental du libéralisme qui ferait accroire que le bonheur serait dans l’avoir et non plus dans l’être ? Où se trouve la vocation de la gauche à libérer l’homme de ses aliénations ?
Comment ne pas voir que prôner l’augmentation du pouvoir d’achat renforce l’asservissement de l’individu ? Là encore, le Président actuel se trouve davantage en cohérence puisqu’il propose comme solution le « travailler plus pour gagner plus », avec la conséquence non dite du consommer plus et ainsi la participation, non pas ainsi au bonheur de l’individu, mais au bon fonctionnement du système. Déjà, à cette occasion, la gauche avait failli à contrer le slogan. Il aurait été si simple de dire que l’enjeu majeur de nos sociétés modernes et technologiques reste de « travailler mieux pour vivre mieux ». Et la solution passe du reste sans doute par le travailler moins… Mais il ne s’agit pas de rentrer à nouveau dans le débat du temps de travail et du temps de vie. Débat au cœur d’ailleurs de la réflexion sur les retraites.
« Vivre mieux » renvoie surtout à la notion de progrès tant collectif qu’individuel Il renvoie non plus à une relation de pouvoir sur les choses mais à celle de maîtrise de soi, de travail sur soi, mais pas seulement. Il renvoie aussi et surtout à un art de vivre avec les autres. A un savoir être, être au Monde. Il obligerait le Politique à réfléchir aux conditions de vie qui permettent à l’homme de s’épanouir en harmonie avec son environnement et de retrouver le temps envolé à poursuivre l’appât du gain. Et que l’on ne vienne pas dire que le système libéral offre cette liberté à qui veut la saisir. Elle est le bien le plus précieux d’une petite élite. La masse est dirigée vers les grandes surfaces et les galeries marchandes.
Des solutions alternatives existent en matière d’agriculture (la permaculture), d’organisation des villes (priorité donnée aux transports en commun et aux économies d'énergie), de nouvelles logiques industrielles (conception de bassins industriels élaborés comme des éco-systèmes permettantd e réaliser des économies d'énergie et de gagner en productivité), d’organisation du travail (libérant du temps pour les salariés), de formation (avec une vraie priorité donnée aux savoirs de demain). Il manque une vision d’ensemble qui donnerait de la cohérence. Un vrai projet politique et non pas le gadget « Care » sorti un temps des cartons pour y retourner dans la foulée. Le temps d'un coup médiatique. Un vrai projet de société qui ne repose pas sur la satisfaction égoïste de pulsions primaires (le marketing et les médias nous titillent sans arrêt notre libido) mais sur une vision plus ambitieuse de l’homme, une ambition que la gauche a souvent porté dans l’histoire et à laquelle il serait dommage qu’elle ait renoncé. Voilà sans doute ce qu’une grande partie du peuple de gauche, mais pas seulement, attend pour 2012, comme un nouveau souffle, un nouvel espoir.
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