Émerveillement et connaissance
Selon Descartes, les idées et la raison sont du côté de l’homme, la matière du côté de la nature et des animaux. Un peu après lui, Locke prend un point de vue très différent selon lequel à l’origine, l’esprit humain est vierge de toute idée, une table rase (tabula rasa), la pensée et les idées découlant des sensations transmises par les sens au cerveau, Kant un peu plus tard va combiner les deux points de vue avec d’un côté les à prioris de la pensée comme l’espace et le temps et de l’autre le monde que l’on découvre avec ces aprioris sans pouvoir atteindre la chose en elle-même (la « Ding in sich »), la réalité objective du monde, au-delà de ce que nous connaissons par nos sens, notre raison et les a prioris de la connaissance. De là, on passe à la dialectique d’Hegel d’une connaissance progressive reprise par Marx et combinée avec la praxis.
Toutes ces gens, prétendant à chaque fois nous donner la clé de la connaissance en prenant plus ou moins le contre-pied de leurs prédécesseurs, ont développé des théories ne sont pas dénuées d’intérêt mais qui ne prennent pas en compte un aspect important de la connaissance : la joie et même l’émerveillement qui accompagnent et motivent la découverte du monde qui nous entoure alors qu’il faudrait commencer par là.
Récemment, circulait sur Internet une petite vidéo sur d’un bébé et un agneau côte à côte, chacun tenu par une femme, le bébé et l’agneau se mettant à crier alternativement avec des cris semblables, de plus en plus fort, chacun répondant à l’autre et étant de plus en plus excité l’un par l’autre. Il y avait un sentiment de joie ou d’exultation de la part du bébé auquel semblait répondre l’agneau avec des sonorités très semblables.
Si l’on regarde un bébé qui essaie d’attraper un objet ou même un papillon volant autour de son berceau, l’enfant qui cherche à attraper des sauterelles, parfois leur arrache les jambes, allant jusqu'à les manger par curiosité en étant intéressé par la similitude avec les cuisses et les jambes des humains, le gamin courant dans une prairie fleurie, s’émerveillant de la beauté qui l’entoure, l'enfant jouant avec un animal familier, on voit dans toutes ces expériences que la découverte de la nature s’accompagne d’un sentiment d'intérêt, d’appartenance et finalement de joie.
On voit que l’esprit du bébé ou de l’enfant est bien actif et ne correspond pas à la « table rase » passive qui attend d’être imprégnée par les sensations du dehors, ni à celui d’un philosophe utilisant les a-priori de la connaissance en sachant qu’il n’atteindra jamais la « Ding in sich », la chose en elle-même, ni à un membre de la classe exploitée vérifiant sa connaissance du monde et de la société par la praxis, révolutionnaire ou pas.
Un enfant rencontrant un chien ou un chat pour la première fois exprime d’abord de la surprise, une certaine inquiétude puis un sentiment d’excitation et de joie à voir que cet animal a quelque chose en commun avec lui, des membres, des yeux, un nez, des oreilles, la joie de voir un objet ou plutôt un être animé qui lui répond.
Dans ces différents cas, il s’agit d’un être humain qui découvre avec joie que l’univers est compréhensible. Cela n’est pas évident et aurait pu être autrement. Ainsi pour Einstein « Ce qui est incompréhensible, c'est que le monde soit compréhensible ». Cet univers est comme fait pour lui avec comme le soutiennent les défenseurs un « principe anthropique » guidant l’évolution de l’univers.
On peut se demander pourquoi la découverte du monde qui nous environne s’accompagne de joie. Le philosophe Henri Bergson voyait dans la joie le sentiment qui accompagnait la création, la découverte, écrivant que « plus riche est la création, plus grande est la joie », joie qui se retrouve aussi bien chez la mère face à son enfant que chez l’artiste ou le scientifique.
Ce sentiment de joie lié à l’exploration de l’univers qui nous environne, peut s’expliquer si l’on fait appel à un vieux concept remontant à l’antiquité repris à la Renaissance en particulier par le médecin suisse Paracelse, celui de la relation d’un microcosme, l’homme et d’un macrocosme, l’univers entrant en résonnance l’un avec l’autre, existant l’un pour l’autre. Selon cette vision, l’homme est le microcosme, le centre du macrocosme ou de l’univers, résumant en lui toutes les formes minérales, végétales, animales, un être qui comprend en lui les éléments chimiques et a la capacité de comprendre avec sa raison les lois de cet univers. Même au niveau physique, sa voix a la capacité d’imiter celles de différents animaux, sa main avec le pouce s’opposant aux autres doigts en fait autre chose qu’un instrument spécialisé pour certaines tâches mais un organe capable de créer toutes sortes d’objets et de faire toutes sortes d’activités. Plus l’homme réalise sa place centrale par rapport au monde qui l’entoure, plus cette découverte s’accompagne de joie.
On retrouve là l’idée d’un principe anthropique guidant la formation de l’univers pour aboutir à un cosmos fait pour l’homme et à un homme fait pour le cosmos, l’un correspondant à l’autre, la découverte de cette correspondance étant source de joie. Ce principe, proposé par l'astrophysicien Brandon Carter en 1974 1, est accepté par différents scientifiques américains comme celui permettant d’expliquer le mieux l’histoire de l’univers, bien qu’il aille à l’encontre une certaine approche matérialiste de la science plaçant l'homme à côté de l'univers, étranger l'un à l'autre et non fait l'un pour l'autre, qui a dominé les derniers siècles. Ce principe anthropique permet en tout cas de mieux expliquer la curiosité, la joie et l’émerveillement du scientifique ou de l’artiste face à l’univers, sentiments sur lesquels l’approche matérialiste garde un certain silence.
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