Energie nucléaire et changement climatique
"Nous avons décidé d'avoir ce qu'il nous faut [pour nous défendre] et d'autant plus que cette puissance nucléaire est liée directement à l'énergie atomique, elle-même qui est, comme vous le savez tous, le fond de l'activité de demain." Par ces mots prononcés le 25 sept. 1963 lors d'un discours à Orange (Vaucluse), le général de Gaulle évoquait sa conception de l'indépendance nationale qui passait, selon lui, par la maîtrise de l'arme atomique et plus généralement de l'énergie nucléaire. Qu’en est-il aujourd’hui ?
En ce qui concerne l’indépendance nationale, cinquante-trois ans de recul permettent de constater que les fleurons de l’industrie nationale et de la politique étrangère ont subi quelques déconvenues :
Les successeurs du Général ont réintégré le commandement intégré de l’OTAN, organisation (que la France n’a jamais quitté malgré la rumeur urbaine qui véhicule cette contre-vérité)
L’avion Concorde, projet franco-britannique destiné à démontrer la suprématie technologique de notre industrie aéronautique a été abandonné non pas pour des raisons techniques qui seraient liées au drame que l’on connait, mais pour des raisons commerciales et sociologiques : le choix du transport de masse opéré par les américains avec le Boeing 747 s’est avéré plus pertinent que celui de la grande vitesse. Par la suite, la réalisation de l’Airbus A380 a permis d’amortir le choc, mais la stratégie n’était pas la bonne.
Le paquebot France quant à lui, consolation du deuil national éprouvé lors de la perte du Normandie, n’a non seulement pas rempli sa mission d’ambassadeur du drapeau tricolore, mais sa triste fin en a fait un porte-drapeau du renoncement à la grandeur du pays. Là encore, c’est le transport aérien de masse qui s’est révélé être le bon choix.
Il reste le choix stratégique du nucléaire, civil et militaire, et là, c’est une autre affaire.
Après l'accident 2011 à Fukushima, au Japon, les adversaires du nucléaire n'ont cessé de mettre en avant les dangers encourus par les populations, et ses partisans affirment qu’en réalité les risques sont faibles et que son abandon se traduirait par une facture énergétique phénoménale.
Une chose est claire : la « dé-carbonisation » de la production d’énergie électrique est essentielle pour freiner le changement climatique. Or le monde aura besoin d'environ deux fois plus d'électricité en 2050 qu’aujourd'hui, et sur notre planète, la plus grosse partie de l'électricité provient du charbon (40%) et du gaz (20%). Les sources d'énergie à faible émission de carbone sont la production hydroélectrique (16%), le nucléaire (13%) et l’éolien qui reste marginal quantitativement. En Chine, le plus grand consommateur d'énergie du monde, la plus grosse part de l’énergie est produite par le charbon, mais en même temps, ce pays est le plus gros investisseur au monde dans l’éolien et le nucléaire. Toutefois le charbon ou le gaz restent les principales sources d’énergie à l'échelle mondiale.
Si on veut atteindre l'objectif de limiter l'augmentation moyenne des températures mondiales à 2°, la grande majorité de l'énergie du monde devra provenir de sources faibles en émission de carbone, et les principales options sont l'hydroélectricité, l’éolien, le nucléaire, l'énergie solaire et le l’énergie produite par le charbon et le gaz dans des centrales aptes au captage et au stockage du carbone (CSC). Mais la disponibilité de l'hydroélectricité, comme celle de l’électricité éolienne et solaire dépendent des conditions locales. Le vent et l'énergie solaire sont intermittents et ne peuvent pas fournir de l'énergie 'baseload' (fonds de roulement), un inconvénient qui peut être atténué dans une certaine mesure, à un coût élevé, par les interconnexions des grands réseaux électriques ou le stockage d'énergie à grande échelle. En fait, le CSC est la seule option à faible émission de carbone autre que le nucléaire capable de fournir l'énergie de base dans les régions où les conditions météo ne permettant pas une fiabilité du solaire ou de l’éolien.
Beaucoup d'incertitudes pèsent sur le coût de l'énergie nucléaire par rapport aux autres alternatives. Ce coût se situerait au-dessus des options « low cost » tels que l'éolien terrestre ou le mini-hydraulique, mais au-dessous des options « coûteuses », comme l'éolien offshore et le CSC. Les dernières technologies (hydroliennes ou houlomotricité) présentent des coûts de production plus élevés encore. Comme c’était le cas pour Concorde et le France dans les années 60, il est difficile de prévoir l’avenir. L'énergie solaire reste chère aujourd'hui, mais son coût a fortement diminué et elle pourrait devenir une option très concurrentielle, (surtout dans les régions ensoleillées, comme M. de la Palisse aurait pu l’affirmer). Le CSC est une possibilité technique, mais il est difficile de savoir ce qu'il en coûtera jusqu'à ce qu'il ait fait ses preuves.
Suite à l'accident de Fukushima, la plupart des pays prévoyant de nouvelles centrales nucléaires devraient mener à bien leurs projets, si ce n’est avec un certain retard et des obligations de sécurité renforcées. Toutefois, l'Allemagne a décidé de sortir du nucléaire entièrement d'ici à 2020, tout en cherchant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% par rapport au niveau de 1990. Pour l’instant, certains observateurs sont sceptiques et préoccupés par le recours aux centrales à charbon ou au gaz sans baisse des émissions de carbone.
Les besoins en énergie électrique semblent progresser plus vite que les solutions techniques d’alternative au charbon et au nucléaire. Eliminer progressivement le nucléaire et ses dangers pourrait se conjuguer avec la lutte contre le changement climatique, mais la limitation des émissions de carbone à des niveaux compatibles avec une cible 2° est loin d’être suffisante pour pouvoir se permettre d’écarter la principale option technologique assurant de faibles émissions de carbone actuellement disponible. Les dangers liés à l'énergie nucléaire paraissent « compensés » par sa contribution à l'atténuation du changement climatique climat (et d'autres objectifs de la politique énergétique comme celui des coûts de production et de commercialisation). Pour les responsables des politiques énergétiques et leur impact sur les économies comme sur les indépendances nationales, il s’agit d’un dilemme incontournable.
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