Exemple pas très synthétique d’AG étudiante et autres histoires (1)
Avant tout, je vais citer l’un de mes professeurs d’histoire du lycée, sans remettre le contexte pour m’épargner le point Godwin : "Les personnes à qui on ment le mieux sont celles que l’on méprise."
Contexte : vendredi 20 mars 2009, 9h du matin. La fac est bloquée depuis mardi. L’assemblée générale se réunit dans un amphithéâtre étouffant pour décider de la suite du mouvement. Des grévistes, des bloqueurs, confronté à des étudiants venus chercher des informations ou, pour certains, venus uniquement pour voter la reprise des cours. Mais au fait, comment ça se passe ? Comment un ensemble constitué de vingt milles personnes ayant eu leur baccalauréat, qui ne forment pas la partie la moins instruite de la population perçoit-elle et vit-elle cette chose qu’est une contestation de loi et une grève ?
J’ai beaucoup hésité sur la forme de ce texte : Laisser les interventions telles quelles (alors que pour aller vite, je ne recopiais que le cœur du message, avec mes faiblesses humaines telles que la fatigue et la faim après deux heures et demi de débats parfois houleux, rapides, certainement enrichissants mais pas toujours faciles à suivre), ou ranger les sujets abordés par catégorie et principales informations, sans parler de quelques précieux témoignages, livrés aux hasards d’une prise de parole, d’un invité surprise inattendu de tous (un ancien de l’université qui donne maintenant des cours à la fac et dans des écoles prestigieuses à l’élocution impeccable, un syndiqué de l’UNI : Au moins je ne dirais plus qu’ils souffrent d’une peur irraisonnée de se faire assommer à coups de battes par les morts-vivants de l’armée rouge ; un ours des cavernes venu demander à une assemblée d’étudiant la fin de la rétention des notes organisée par les enseignants-chercheurs…) finalement j’ai choisi une forme bâtarde entre les deux, laissant les interventions telles que je les ai noté, faisant un peu de tri et regroupées par sujets :
La grève a lieu tout dans un contexte difficile : Des étudiants lambda qui se sentent plus concernés par la date des examens et la reprise des cours que la grande question « pourquoi tout ce bordel, merde mais c’est quoi ces branleurs ? » (Pardon pour cette succession de gros mots, soyez encore heureux que je ne l’écrive pas uniquement en SMS pour plus de fidélité à l’esprit des dits-concernés.) Ces étudiants là ne viennent pas aux AG en masse voter contre le blocage ou démolir ceux-ci une fois installé, mais partent en week-end prolongé si le blocage a lieu à côté d’un jour sans cours. C’est pour eux également que je fais ce compte-rendu personnel -au moins, certains seront mit au courant.
Il faut ensuite savoir que faire un blocage est beaucoup plus fatiguant que d’aller en cours : Il faut se lever à six heures du matin pour arriver tôt au campus et organiser le piquet de grève, répondre aux commentaires acerbes voire aux insultes des étudiants, des enseignants, préparer les banderoles, les prospectus, informer, etc. etc. Un bloqueur arrive avant tout le monde et repart après tout le monde. Si ce n’est la raison d’être de la chose, ça serait un atout incroyable sur n’importe quel CV.
Maintenant, les grands sujets.
I Les sous !
De l’argent de qui parle-t-on ici, déjà ? Celui de la fac, et le nôtre, principalement et les deux étant liés (augmenter les frais universitaires ne serait pas un problème si les bourses augmentaient en proportions…)
Les frais universitaires de certaines universités ont déjà connu une augmentation en flèche (le gouvernement, si vous en en souvenez, avait promis qu’il n’y aurait pas d’augmentation des frais d’inscriptions : Mais justement, ce n’est pas la même chose !) On parle de 300 euros pour l’accès aux salles informatiques, 700 euros pour la bibliothèque universitaire à Nice. (Note : j’ai essayé par la suite de retrouver ces tarifs sur le site universitaire de Nice, sans y parvenir. A notez que les frais universitaires justement ne figurent pas dans le PDF consacré au prix des formations. Néanmoins, cette université avait effectivement déjà été épinglée par l’UNEF et on notera que l’inscription en licence coûte tout de même, pour un an, huit cent euros. A titre de comparaison, je paie quatre cents euros à Lille 1, sans bourses aucune. J’attends de voir ce que me répondra l’UNEF-Nice, mais j’ai entendu le même genre d’histoire sur l’une des universités Marseillaises, avec certaines année à 5500 euros. Si quelqu’un passant ici peut infirmer ou confirmer, merci.)
Les témoignages sur la pénible situation financière de certains sont nombreux :
« Je suis maintenant au modem. J’ai été salarié quatre ans à Toyota Valencienne et j’ai été licencié. Si les licences coûtaient 3000 euros je ne pourrais pas être ici. Je suis contre le blocage et contre la LRU. Je propose une pétition à la sortie du métro contre la LRU, comme ça on montrera que nous sommes représentatifs à ceux qui en doutent. Je suis sûre qu’aux prochaines élections Sarkozy ne fera plus 53%. »
« Mon cousin n’a pas droit aux bourses mais ne peut pas payer 2000 euros l’année de fac. Donc à la sortie de terminale il n’aura plus le moyen d’étudier et sera coincé »
« JE viens d’une famille de trois enfants, mon père est ouvrier et ma mère enchaîne les CDD. Après les aides, j’ai un loyer de 111 euros à payer. Il me reste 40 euros pour le mois. »
UNI« Vous jouez sur la peur de la crises. Alors que les bourses ont augmenté de 5%, un sixième échelon a été ajouté, les universités auront 10% de plus !
« J’ai longtemps eu ma carte à l’UMP mais maintenant je me sens presque proche de l’extrême gauche. Tout le monde à l’UMP ne soutient pas le gouvernement. Concernant les bourses, oui, il y a plus de gens à l’échelon 0, moi j’ai une fille et elle ne me rapporte plus de point pour les bourses, donc je suis passé de l’échelon 1 à l’échelon 0. Le gouvernement croit-il que les enfants ne mangent pas ? »
UNI : « Lille 2 a une augmentation de 25% de son budget, mais elle avait plus de besoin avec les instruments médicaux qui ne sont pas donnés. Les autres budgets augmenteront plus tard. Et une rénovation des cités U est prévue. Lille est comprise dans le croissant qui va de la Grande-Bretagne à L’Italie. Il y a une volonté d’en faire une fac de qualité. On fera un classement européen plus tard. »
" L’UNI divise encore pour régner Ils ne donnent presque jamais son avis lors des AG et le font maintenant seulement après que le blocage a été voté ! Ce sont encore les plus pauvres qui seront pénalisés s’il faut faire 500 km pour avoir une université de bon niveau ! Tout le monde a le droit à la même éducation."
« L’UNI est là quand il y a blocage mais jamais aux débats ! Les bourses ne sont pas suffisantes pour payer tous les frais. Les gens qui ont décidé des modifications n’ont visiblement pas été à la fac ! »
« Science Po Paris est plus réputée que Science-Po Lille ? Ces choses là font partie du combat : et le croissant Grande-Bretagne-Italie est encore une logique concurrentielle ! En plus, on sait que le taux de chômage est de toute façon plus fort à Lille qu’à Rennes ou Nantes : ça voudra dire moins de sous pour Lille si on se base sur l’insertion des diplômés sans que ça veuille dire quelque chose sur la qualité »
l’UNI : J’ai été à presque toutes les AG depuis le 22 janvier. Je comprends les inquiétudes des boursiers, les bourses augmenteront l’an prochain. Ok, la crise crée des dommages, l’année est difficile pour les CDD et les contrats précaires. Mais sans aide de l’état il n’y a plus de banques et vous pouvez continuer à retirer de l’argent. Ça n’avait pas été fait en 29 et les extrémistes avaient gagné en force et on a eu Hitler et la seconde guerre mondiale » « Et voilà, Premier point Godwin ! » Lance quelqu’un. (Notez que cette personne malgré de nombreux sifflet et des "c’est faux" ainsi que "menteur" lancé depuis les gradins a pu s’exprimer jusqu’au bout, le bureau a veillé à ce qu’il ait le même droit de parole que les autres).
[note : un projet de loi est en cours pour faciliter les crédits étudiants. ça pourrait n’être rien en soit, mais associé à la légalisation des frais supplémentaires et de la curieuse supposition "les populations aisées vont à la fac", assez bizarre quand on sait que les prépas sont très prisées justement des milieux plus riches, on craint que les crédits étudiants viennent remplacer progressivement les bourses qui seront insuffisantes. De plus l’obligation implicite de résultat pour les universités va certainement entraîner une sélection pour limiter les "déchets", alors qu’actuellement, l’université peut être la deuxième chance de tout le monde, l’opportunité de tester une matière ou de faire le point après le bac. ]
II Autres réformes (sujets qui n’ont pas vraiment entraîné de débats, mais qui ont été cités)
Masterisation des enseignants : L’année de stage (à raison de six heures de cours par semaines en établissement scolaire et de cours en IUFM) sera remplacée par deux petits stages de 108 heures dont la rémunération sera à négocier auprès des proviseurs qui auront une enveloppe pour recruter ce personnel.
Contrat doctoral unique : Allocation donnée au laboratoire à distribuer aux doctorants, qui devront faire des enseignements et du consulting en entreprise, donc ce qui fait du temps en moins pour la thèse (donc moins d’article… ce qui peut poser problème au moment de postuler pour demander un poste de maître de conférence)
Etat de délabrement des cités universitaires : Vétusté, Murs en lambeau. Les crédits pour le CROUS ont aussi été diminués. [Notes :Des rumeurs disent que le projet du gouvernement pour encourager le crédit étudiant viendrait prendre le relais des bourses, voire les remplacerait. La réforme du CROUS est également en cours et on craint que ses fonctions soient revues et qu’il s’occupe moins des dossiers sociaux, ce genre de choses.]
[note : ceci était une assemblée d’étudiant, donc concentrée sur les revendications des étudiants. Cela dit, le décret concernant les enseignants chercheurs me laisse un drôle de goût mis en relation avec cet article du monde : on y retrouve la pression à la performance des industriels combinée à celle de publier, après tout]
III La communication et le blocage
Sujet très important : Plusieurs interventions montrent que trop d’étudiants ne savent pas ce qu’il se passe : Même, quelqu’un rapporte avoir rencontré dans le cortège du 19 mars des militants PS qui ne savaient pas du tout ce qu’était la LRU ! Commençons par l’intervention d’un ancien étudiant devenu professeur dans l’université publique mais également divers grandes écoles prestigieuses :
« Vos revendications sont légitimes, mais pas comprises » ; « ceux qui étaient à Lille 1 ont plutôt bien réussi mais cela devient difficile à défendre. Trop de gens ont en tête l’image de l’étudiant gréviste sympathique mais qui ne travaille pas. Et pourtant depuis le début de l’assemblée, personne ne parle de bloquer juste pour le plaisir de sécher les cours » De plus vous semblez confondre grandes entreprises comme total et les PME. Mais certaines petites entreprises avec une dizaine de salariés tentent juste de produire de quoi vivre. Le monde de l’entreprise est très disparate et a autant besoin de vous que vous d’elle. Attention à ne pas créer un fossé entre les universités et les entreprises. Par ailleurs la loi Bachelot par certains aspects ressemble fort à la LRU. Votre combat s’inscrit dans un cadre plus vaste. » Gagner le retrait d’une loi ne signifie pas être comprit par une population. Vous devez vous rendre audible par rapport à ceux qui ne connaissent pas la loi."
Intervention d’une personne au courant de ce qui se passe à Lille 3 [la fac de lettres toute proche : d’ordinaire, c’est là que les grèves et les mouvements de contestation commencent même si cette année, ce n’est pas le cas] : « le blocage a été voté à Lille 3 mercredi jusque lundi matin oui, mais par 600 étudiants sur 18 000. Le blocage ne doit avoir lieu ni trop tôt ni trop tard pour mobiliser un maximum de monde. (Note : Lundi 23, j’ai appris que le blocage de Lille 3 a été revoté par une AG d’environ 1100 personnes, 700 pour, 400 contres.)
« La majorité des étudiants ne comprennent pas ce qu’il se passe : il faut parier sur un mouvement social général. Sinon, ils se contentent de rentrer chez eux les jours de grèves [note : exact, et après ils se plaignent de ne pas être présent lors du vote des actions de blocage… Pendant le CPE, certains étudiants Toulousains partaient au ski pendant les semaines de grèves !] Les bloqueurs n’arrivent pas toujours à expliquer ce qu’ils font là aux étudiants ! » « Le blocage est légitime : il permet d’informer un maximum d’étudiant ».
UNI : Les étudiants en ont marre du blocage !
(Note : Pas faux dans l’absolu. D’ailleurs les grévistes n’aiment pas spécialement bloquer non plus, comme je l’ai dit plus haut c’est largement plus fatiguant que d’user ses fonds de pantalon en amphi. Mais il faut voir en même temps toutes les raisons pour lesquelles les grévistes bloquent justement…)
« Beaucoup de branleurs ne sont pas présents : S’ils voulaient bosser ils seraient venu gueuler ici et le blocage ne serait pas voté ! Et d’autres s’imaginent égoïstement finir leurs études sans que les frais augmentent ici ! »
« là, un petit 10% comprend les revendications. Mardi nous étions 20, mercredi 120, vendredi aujourd’hui nous sommes 300… Nous finirons par être représentatifs ! »
« -On n’est pas assez nombreux sur le campus (Lille 1 a une population estudiantine de vingt milles individus) les étudiants ne sont pas au courant de ce qui se passe ! C’est pourquoi la mobilisation a échoué en 2008 ! Le LKP en Guadeloupe qui a gagné, a regroupé un quart de la population de l’île à chaque manif et le reste le soutenait ! La population française est exaspérée, nous devons montrer l’exemple ! Et si on faisait un barrage filtrant à 15 euros la journée pour que les étudiants se rendent compte de ce que ça fait de payer 3000 euros ou plus an ?"
« Il faut parler aux étudiants : la Fac a des problèmes personne ne le nie, et a besoin de réformes qui ne plaisent pas à tout le monde. Là je lis sur l’un des graffitis : « ce mouvement va droit dans le mur pour le casser ! » Mais on peut changer le mur et le réparer plutôt ! Là les étudiants risquent plutôt de se faire la malle en vacance anticipée ! »
[Note : effectivement, l’amphi servant aux réunions a été intégralement décoré par une poignée de personnes, j’ignore lesquelles. Certains slogans sont assez peu fins et ne servent probablement pas le mouvement. Rassurez-vous, tout a été fait ici à la craie et sera facilement effacé à la fin.]
III Licence Pro :
"Les licences pro sont financées et dépendantes des grandes entreprises."
« Si on regarde les Etats-Unis puisque le gouvernement veut s’en inspirer, les universités les plus prestigieuses sont financées par l’Etat en majorité ! »
UNI : Ce sont les présidents et les conseils d’administrations qui décident du programme des licences professionnelles.
« les maquettes des licences pros sont des mensonges : Les équipes pédagogiques font les maquettes, mais elles savent qu’elles auront des heures et des crédits supplémentaires par les entreprises. Allez voir la liste des licences pros sur le site du gouvernement : par exemple il y a une licence spécialisée dans le commerce des plantes méditerranéenne ! »
« Ce que les entreprises cherchent à faire, c’est à ne plus avoir à consacrer d’argent à la formation de leurs employés pour les avoir clé en main. Déjà la réforme du lycée projette la terminale à la fac, et la fac dans les entreprises. Jeudi, il y a eu presque trois millions de personnes dans les rues, ça fait un français sur vingt en manif, il faut continuer et se faire entendre contre la LRU toutes les semaines !"
[note : je ne retrouve plus où cela a été expliqué clairement, donc mon commentaire : la crainte des grévistes est que les licences soient trop spécialisées et que les diplômés qui en sortent ne puissent pas trouver de travail ailleurs ou que la licence soit obsolète à la sortie. Syndrôme de la licence Michelin.]
Bref, et avec tout ça, nous avons des cours à rattraper. Une rumeur (mais je suis sûre à 99,99%, personnellement, que ça restera une rumeur) dit qu’on pourrait avoir besoin d’une année supplémentaire pour finir la licence ! J’ai par contre été surprise de la large palette politique du mouvement : des syndiqués SUD-étudiants et UNEF bien sûr, mais également la précence de membres du MODEM ou d’anciens UMP était, en tout cas pour moi, plus inattendue. Ce qui est certain, c’est qu’il faut encore et toujours mettre au courant les étudiants qui ne s’impliquent pas : Qu’ils s’expriment pour ou contre les réformes, c’est ce qui permettra de déboucher sur une fin la moins tardive possible. (Et c’est très difficile !)
Note : Les cours, en tout cas dans mon IUFR, auraient été rattrapés avec ou sans ordres de Pécresse. Je ne crois pas que les enseignants nous laisseraient tomber pour la plupart.
Note finale : hier, mercredi 25 mars 2009, mise au point du mouvement avec une enseignante : A ses yeux, le discours de Sarkozy de Janvier qui avait insulté de fait la communauté universitaire, n’était pas un hasard. Un avocat d’affaire devenu président ne fait pas ce genre de gaffe. C’était sans doute fait exprès.
Je rejoins son avis : il profite de sa réputation d’hyperactif brutal et légèrement acculturé pour que l’opinion lui pardonne à moitié ce genre de provocations qu’il surjoue, qui auraient été inimaginables et impardonnables avec un autre président (je n’ai connu que Chirac dans ce domaine ceci dit, mais je ne pense pas me tromper.) Les autres n’ont alors plus qu’à mordre à l’hameçon : Sans doute espère-t-il briser la culture de la contestation française comme Margaret Thatcher l’a fait en Grande-Bretagne.
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