« Gauchisme » versus « Front Unique Ouvrier »
Les gauchistes veulent apparaître comme des révolutionnaires purs et durs et par conséquent ils ne veulent surtout pas se laisser contaminer par les perversions des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier qui sont depuis longtemps passées définitivement du côté de l’ordre bourgeois. Ils veulent donc s’en tenir très éloignés et il n’est pas question pour eux d’envisager quoi que ce soit de commun avec ces traitres. Ils rejettent ainsi globalement les syndicats et les partis politiques de la classe ouvrière. Cette attitude a été condamnée depuis très longtemps par les leaders du mouvement ouvrier, comme Lénine et Trotski, qui stigmatisent les gauchistes en disant qu'ils rejettent tout à la fois l’eau sale et le bébé. Car il est vrai que les bureaucrates des grandes organisations du mouvement ouvrier sont corrompus et n’ont nullement l’intention de remettre en question le système capitaliste mais le rejet de cette « eau sale » ne doit pas amener a rejeté le « bébé ». Car le « bébé » c’est le mouvement ouvrier lui-même avec les outils qu’il s’est forgé pour lutter contre le capitalisme : les syndicats et les partis. Les ouvriers ne peuvent se mobiliser que dans le cadre de leurs organisations.
Les révolutionnaires ont conscience qu’il faut regrouper une avant-garde du mouvement ouvrier qui pourra en prendre la direction pour laisser au second plan les directions traitresses. Nous en sommes loin. Il faudra que cette avant-garde soit assez puissante pour s’imposer à la tête du mouvement ouvrier et cela ne sera possible que parce que les ouvriers auront reconnu que cette avant-garde les guide vers la prise du pouvoir malgré les directions traitresses.
Ce n’est pas en répétant sur tous les tons que les bureaucrates sont pourris que les ouvriers reconnaîtront dans cette tapageuse condamnation qu’ils ont affaire à de véritables révolutionnaires auxquels ils peuvent se fier. Tous ces discours ne mènent à rien. Les authentiques révolutionnaires montrent la voie en cherchant l’unité de toute la classe ouvrière avec ses organisations contre l’ennemi de classe. C’est dans la recherche du combat classe contre classe que se construit l’avant-garde révolutionnaire. Montrer à chaque étape la voie qui permet de vaincre c’est proposer l’unité de toutes les organisations ouvrières contre l’ennemi de classe.
La question se trouve posée aujourd’hui comme elle le fut maintes fois dans le passé. La revendication politique « Macron démission » est apparue dans les manifestations du mouvement social actuel comme dans celle des gilets jaunes. Il revient aux véritables révolutionnaires de faire une proposition concrète, compréhensible et acceptable par tous pour remplacer Macron. Notre proposition c’est : gouvernement provisoire du PCF, du PS et de la FI.
Pour les gauchistes, il est hors de question de demander à des organisations tellement entachées de toutes les perversions d’apporter la moindre solution. Les gauchistes ne savent manier que la logique formelle. Les dirigeants sont pourris donc les organisations sont pourries. Il n’est possible de rester purs et durs qu’en s’en tenant éloignés. Qu’ont-ils comme solution ? Rien, si ce n’est de continuer à crier « Macron démission » et « continuons la lutte » comme ils disent en sanctifiant la lutte qui doit, par elle-même, et s’en qu’on sache comment, faire des miracles. Vive la lutte ! La lutte est belle ! On va gagner en luttant.
Nous avons d’ailleurs une deuxième proposition le Comité Central National de grève. S’il devait se mettre en place, les gauchistes tiendraient volontiers des discours du genre : « Dans la lutte, des comités surgissent spontanément et se coordonnent tant et si bien que finit par émerger un Comité Central National de grève ». Car les gauchistes se plaisent à commenter les évènements sans réellement agir si ce n’est comme la mouche du coche. En attribuant à « la lutte » considérée comme une divinité le résultat recherché, ils ont l’impression de se l’attribuer à eux-mêmes puisqu’ils se proclament les champions de « la lutte ». Mais la lutte est menée par des hommes conscients qui cherchent à tout moment les moyens d’avancer face à l’ennemi de classe. C’est pourquoi nous n’attendons pour notre part aucun miracle, aucune génération spontanée, aucune émergence prodigieuse. Nous demandons aux militants les plus conscients de faire sur leurs lieux de travail des propositions pour mettre en place les comités de grève et pour les coordonner d’abord au niveau de chaque ville. Actuellement, il faut faire valoir, par exemple, que c’est à un comité de ville de décider s’il faut ou non déclarer les manifestations à la préfecture et, si c’est le cas, le comité doit élire la délégation qui s’en charge. Les militants conscients peuvent, dans le même temps, proposer le Comité Central National de grève pour coordonner les actions au niveau national. Rien ne se fera spontanément. Nous reprenons à notre compte le combat du « Groupe CGT frondeurs RATP » qui va dans le même sens. C’est, en toute conscience que ces militants agissent. Dans un communiqué en date du samedi 21 décembre 2019, ils disent notamment :
« Nous Comité Central élus et mandatés des grévistes SNCF RATP, nous serons un peu plus recevables et crédibles aux yeux de tous les salariés du pays, à exiger, (…) que les grévistes de tous les secteurs, en Assemblées Générales, élisent des délégués, des comités centraux, pour aller avec le comité central RATP (SNCF), siéger dans une coordination ouvrière interprofessionnelle unitaire et nationale.
Ce ne sont pas des actions tous azimuts minuscules et vaines des seuls grévistes SNCF RATP qui sont à l'ordre du jour, c'est la mise en place d'un état-major central qui seul peut nous faire espérer la victoire ! »
Il est d’ailleurs possible qu’à terme un Comité Central prenne le pouvoir, crée un gouvernement et sorte de l’UE ce qui rendrait caduque notre proposition de gouvernement provisoire. Nous ne sommes pas devin. Nous ne savons pas comment les évènements vont évoluer. Nous faisons un ensemble de propositions qui vont toutes dans le même sens : permettre que se réalise l’unité des rangs ouvriers contre l’ennemi de classe.
Trotski stigmatise les gauchistes dans « le programme de transition » en les appelant les sectaires. Voici quelques extraits du chapitre « Contre le sectarisme ».
« Sous l’influence de la trahison et de la dégénérescence des organisations historiques du prolétariat, naissent ou se régénèrent, à la périphérie de la IVème Internationale (NDLR. La IVème internationale regroupait alors les révolutionnaires), des groupements et des positions sectaires de différents genres. Ils ont à leur base le refus de lutter pour les revendications partielles ou transitoires, c’est-à-dire pour les intérêts et les besoins élémentaires des masses telles qu’elles sont. Se préparer à la révolution signifie, pour les sectaires, se convaincre soi-même des avantages du socialisme. Ils proposent de tourner le dos aux "vieux" syndicats, c’est-à-dire à des dizaines de millions d’ouvriers organisés. Comme si les masses pouvaient vivre en dehors des conditions de la lutte de classes réelle ! Ils restent indifférents à la lutte qui se déroule au sein des organisations réformistes. Comme si l’on pouvait conquérir les masses sans intervenir dans cette lutte ! Ils se refusent à faire en pratique une différence entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Comme si les masses pouvaient ne pas sentir cette différence à chaque pas ! (NDLR. Ils se refusent à faire en pratique une différence entre un état indépendant et un état sous diktat de l’UE. Comme si…)
Les sectaires ne sont capables de distinguer que deux couleurs : le blanc et le noir. Pour ne pas s’exposer à la tentation, ils simplifient la réalité. (…) Incapables de trouver accès aux masses, ils les accusent volontiers d’être incapables de s’élever jusqu’aux idées révolutionnaires. (NDLR. Ils les accusent volontiers d’être une bande de mougeons.)
Un pont, sous la forme de revendications transitoires n’est aucunement nécessaire à ces prophètes stériles, car ils ne se disposent nullement à passer sur l’autre rive. Ils piétinent sur place, se contentant de répéter les mêmes abstractions vides. Les événements politiques sont pour eux une occasion de faire des commentaires, mais non d’agir. (…) La prostration politique du sectarisme ne fait que compléter, comme son ombre, la prostration de l’opportunisme, sans ouvrir de perspectives révolutionnaires. Dans la politique pratique, les sectaires s’unissent à chaque pas aux opportunistes, surtout aux centristes, pour lutter contre le marxisme. (NDLR. Ils appellent à voter pour JL Mélenchon, pour le NPA, pour LO voire même pour Jacques Chirac en 2002.) »
Tout ce que Trotski écrivait ici s’applique parfaitement aux gauchistes d’aujourd’hui En particulier à propos de ceux qui refusent le mot d’ordre transitoire de « gouvernement provisoire du PCF, du PS et de la FI » nous ne pouvons faire mieux que de répéter ce que disait Trotski :
« Ils (les sectaires) ont à leur base le refus de lutter pour les revendications partielles ou transitoires »
« Un pont, sous la forme de revendications transitoires n’est aucunement nécessaire à ces prophètes stériles, car ils ne se disposent nullement à passer sur l’autre rive. Ils piétinent sur place, se contentant de répéter les mêmes abstractions vides. »
Il faut d’ailleurs prendre notre proposition dans son intégralité. La voici dans sa dernière version que nous avons distribuée sous forme de tract dans le 17 décembre.
"Nous demandons l’instauration d’un gouvernement provisoire des trois grandes organisations ouvrières PCF, PS et FI qui sera chargé de mettre en œuvre la sortie de la France de l’UE et la convocation d’une assemblée constituante qui jettera les bases d’un véritable gouvernement des travailleurs.
Nous disons bien que ce gouvernement provisoire sera chargé de mettre en œuvre la sortie de l’UE car, il ne serait pas acceptable qu’à la suite de Sarkozy, Hollande et Macron, ce gouvernement perpétue le déni de démocratie de 2005-2008. Rappelons que les français ont voté « Non » au référendum de 2005 sur la proposition de constitution européenne qu’ils ont donc rejetée. En 2008, le congrès scélérat de Versailles a modifié la constitution française afin que le parlement puisse ratifier le traité de Lisbonne qui reprenait ce que les français avaient rejeté.
S’il y a un doute sur la volonté du peuple d’en finir avec cette institution ultra-réactionnaire qu’est l’UE – ce qui n’est pas notre point de vue – alors, il sera possible, au besoin, d’organiser un référendum. Si ce gouvernement refuse de mettre en œuvre la sortie de l’UE, il faudra le remplacer par un autre gouvernement qui y sera favorable. Mais, nous sommes apriori partisan d’un gouvernement PCF, PS, FI car il est légitime sachant qu’aux dernières élections présidentielles, s’il y avait eu un seul candidat, à la place de Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon, il aurait été élu. »
Nous demandons en effet au gouvernement provisoire d’organiser la sortie de la France de l’UE alors que nous savons très bien que ces trois organisations y sont opposées. En effet, tous les états-majors des partis politiques depuis le RN jusqu’aux organisations dites « d’extrême gauche » sont opposés à la sortie de la France de l’UE. Cela pose d’ailleurs un sérieux problème de démocratie puisque les organisations qui y sont favorables (UPR, PRCF, POI, POID, ParDem) ne doivent guère faire plus de 2% à 3% toutes ensemble aux élections. C’est pourtant bien une nette majorité des français qui a voté contre la constitution européenne proposée en 2005. Bien sûr, les européistes pinaillent volontiers en affirmant que le refus de cette constitution n’équivaut pas à une demande de sortie de l’UE. Nous avons pour cela prévu de proposer un éventuel référendum mais nous savons très bien que le but des européistes est de gagner du temps en multipliant les procédures dilatoires comme ils l’ont fait pour le Brexit. Nous ne les laisserons pas faire. Tout le monde sait que la majorité est favorable à la sortie de l’UE surtout nos adversaires, comme Ségolène Royal, grande démocrate, qui a dit qu’il ne faut surtout pas demander l’avis des français. Emmanuel Macron, lui-même, a dit le samedi 20 janvier 2018, lors d’un interview à la BBC que les français auraient probablement pris la même décision que les britanniques si la question leur avait été soumise par référendum.
Nous nous adressons aux dirigeants et aux militants du mouvement ouvrier et nous ajoutons que si les directions refusent cette solution alors il faudra proposer un autre gouvernement favorable à la sortie de la France de l’UE.
Alors, pourquoi ne pas mettre directement en place un tel gouvernement ; autant dire un gouvernement de l’UPR. Réponse : parce qu’il faut partir du niveau de conscience actuel des masses ouvrières. Cette expérience est nécessaire pour élever ce niveau de conscience avant que les masses se tournent vers ceux qui proposent la sortie de l’UE. Les travailleurs n’y sont pas prêts actuellement car leur mobilisation passe inévitablement par leurs organisations traditionnelles. C’est pourquoi autant ils ne veulent pas actuellement d’un gouvernement UPR autant ils pourraient demander un gouvernement PCF, PS, FI. Cela d’autant plus qu’ils savent que s’il y avait eu un seul candidat aux dernières présidentielles à la place de Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon, il aurait été élu. C’est ce qui donne une légitimité à ce gouvernement davantage qu’à toute autre proposition et nous ne manquons pas de le rappeler dans notre proposition.
Nous expliquons que le gouvernement provisoire n’apportera rien sans la sortie de l’UE. Il est d’ailleurs possible que, poussées par la volonté populaire, les directions traitresses aillent plus loin qu’elles ne le voudraient elles-mêmes en acceptant la sortie de l’UE. Il est cependant beaucoup plus probable que, si les appareils cherchent à mettre en place un gouvernement, ils essaieront de former, non pas un gouvernement d’unité ouvrière comme nous le proposons, mais un gouvernement de front populaire incluant des représentants des capitalistes. Ceux-ci seront là uniquement pour justifier de ne pas satisfaire les revendications des travailleurs et surtout pour justifier de ne pas sortir de l’UE. Hier, c’étaient les radicaux de gauche qui jouaient ce rôle. Les directions traitresses en trouveront d’autres s’il le faut.
Nous combattrons bien évidemment cette politique pour faire passer notre proposition. C’est ainsi que nous pourrons gagner la confiance des masses pour que, au bout du compte, la proposition d’un gouvernement UPR devienne réaliste. Il faut d’ailleurs que dans cette période l’UPR reste ouverte à un nouveau CNR plus large qui pourrait inclure notamment les gilets jaunes. En même temps l’avant-garde que nous voulons rassembler dans l’UPR se renforcera. Cette stratégie a été élaborée de longue date au cours de l’histoire du mouvement ouvrier. Nous n’inventons rien : c’est la stratégie du Front Unique Ouvrier.
Le combat pour le FUO (Front Unique Ouvrier) est nécessairement lié au combat contre le gauchisme. C’est dans la même période que Lénine a formalisé les thèses pour le Front Unique Ouvrier adoptées par le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste le 18 décembre 1921 et qu’il a lutté contre le gauchisme. Il a écrit « La maladie infantile du communisme : le gauchisme » l’année précédente en avril et mai 1920.
Il s’agissait pour lui de redresser principalement la politique du PCA (parti Communiste Allemand). Pour ne pas que la révolution russe reste isolée, tous les espoirs des bolchéviks étaient alors tournés vers l’Allemagne. En 1919, alors que la Russie était en pleine guerre civile la révolte spartakiste éclatait à Berlin.
La tactique du front unique ouvrier (FUO) a été élaborée par les bolcheviks avant et pendant la révolution de 1917, mais elle n’a été formalisée sous cette appellation qu’en 1921. Les thèses pour le Front Unique Ouvrier constituent un long texte dans lequel sont analysés les cas de chaque pays où des partis communistes ont été implantés. On lit en particulier à propos de l’Allemagne :
"En Allemagne, le Parti Communiste dans sa dernière conférence pour tout le pays, a appuyé le mot d’ordre du front ouvrier unique et a reconnu possible de soutenir aussi un « gouvernement ouvrier unique » qui serait enclin à lutter quelque peu sérieusement contre le pouvoir des capitalistes. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste estime cette décision absolument exacte et est persuadé que le Parti Communiste Allemand en maintenant sa position politique indépendante saura pénétrer dans les couches les plus étendues des ouvriers et renforcer l’influence du communisme dans les masses."
C’est exactement cette politique que nous défendons. Le gouvernement ouvrier unique en Allemagne incluait les réformistes du SPD alors que certains de ses dirigeants, comme Gustav Noske, étaient directement responsables des assassinats de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg après avoir contribué à écraser la révolte spartakiste de Berlin en janvier 1919. Il faut que ceux qui ont tant d’arguments pour refuser le FUO actuellement en France imaginent ce que pouvait être l’état d’esprit des militants du PCA à cette époque en Allemagne. C’est pourtant bien dans ces conditions que Lénine a fait tout ce qu’il pouvait pour que les militants du PCA passent outre leurs réticences pour s’accorder avec le SPD notamment sur la question d’un « gouvernement ouvrier unique ».
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur la politique des sectaires-gauchistes notamment sur le slogan de mai 1968 « élections - pièges à cons ». Lénine expliquait déjà en 1920 que, dans certaines conditions, il fallait proposer le boycott des élections mais que, dans d’autres conditions, il fallait participer aux parlements réactionnaires. Cela s’applique pleinement de nos jours. Il fallait assurément boycotter les dernières élections en Algérie mais il faut participer aux élections en France… Cette lutte contre le gauchisme en Allemagne était de première importance lors de la montée du fascisme. Les erreurs gauchistes ont assurément contribué à la défaite même s’il y a eu d’autres causes. Nous avons évoqué cela dans le chapitre « Soutien inconditionnel à Jean-Luc Mélenchon » dans notre livre « De François Mitterrand à Jean-Luc Mélenchon ». Les gauchistes font d’ailleurs souvent obstacle aussi à la politique du soutien inconditionnel pourtant indispensable pour défendre les libertés démocratiques.
Pour l’instant, nous avons voulu nous centrer sur la question du gouvernement PCF, PS, FI qui est assurément d’actualité pour faire écho à la revendication « Macron démission ».
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