Gilets jaunes : pourquoi comprendre et agir n’est plus une option
S’il y a bien une chose qu’il me semble la crise des Gilets jaunes a mis en exergue, c’est l’incompréhension. Comprendre l’autre ferait-il partie de ces choses du monde qui, comme nous le l’expliquait Descartes à propos du bon sens dans l’introduction à sa Méthode, seraient les mieux partagées entre les hommes ? Malgré plus d’un mois de crise et même si les évidences ont fini par calmer les ardeurs de ceux qui scandaient un peu vite le « circuler, il n’y a rien à voir », j'ai le sentiment qu’une majorité de journalistes, tout comme beaucoup de commentateurs et d’intervenants qui défilent dans les médias - au premier rang desquels les députés de LREM -, continuent d’éprouver les plus grandes difficultés du monde à avoir une lecture correcte et en profondeur des événements.
L’art de ne pas comprendre
Dans le florilège des réactions composants ce triste spectacle médiatique de l’incompréhension, nous nous devons de saluer en tout premier lieu la personne sincère qui avoue tomber de haut, ceci étant le moindre des maux surtout lorsqu’elle le reconnaît. Je pense que c’est vraiment important de le dire car on pourrait finir par croire qu’avoir une telle réaction, empathique et humaine, constituerait une faute coupable tellement elle fut minoritaire.
Plus communément en effet, nous avons été les témoins d’erreurs d’analyse qui ont conduit à des propos ou des comportements qui n’ont fait qu'envenimer les choses. Les plateaux télés ont été ainsi envahis de gens qui viennent vous expliquer à coup d’arguments bien appris qu’en gros tout n’est que vue de l’esprit, simple perception d’une réalité fantasmée, et qu’il ne faut surtout rien changer, après tout le monde va si bien... mettons cela sur le confort des certitudes, probablement. Quoi qu’il en soit, pour ces commentateurs, les Gilets jaunes doivent mettre un terme à leur caprice et rapidement. Telles des caricatures d’elles-mêmes, ces personnes démontrent exactement ce que dénonce le mouvement des Gilets jaunes et avouez que cela n’aide en rien à faire baisser les tensions.
Nous avons également les récupérations aussi regrettables que détestables en de pareilles circonstances car si la récupération a d’habitude le mérite d’élever au niveau politique une revendication qui sans elle n’aurait que peu de chance de devenir audible pour l’opinion, devant une souffrance dont on voit bien qu’elle est aussi profondément ancrée que répandue dans la population, pourquoi celui qui ne fait rien fait doit toujours attendre que les gens n’en puissent plus pour s’intéresser à eux, les écouter ou bien faire tout simplement preuve de bon sens dans ses positions ?
Plus inquiétant enfin, il arrive que la personne qui s’exprime se place d’elle-même dans une sorte déni de réalité, tenant des propos aussi insensés qu'irresponsables comme nous le voyons régulièrement chez les uns et les autres : on se souvient tous de la bourde de Madame Christine Lagarde qui il y a 10 ans, s’agissant du prix des carburants - déjà à l’époque -, proposait aux français de rouler à vélo [1]. Qui peut sérieusement imaginer une mère célibataire rentrant chez elle en vélo après une dure journée de boulot, calant ses deux enfants de part et d’autre du guidon, accrochant tant bien que mal les cartables et son sac à main sur le porte bagages avant de se mettre en route pour parcourir les 15 km qui sépare en moyenne le domicile des français de leur lieu de travail [2]... en hiver ? dans le noir ? sous la pluie ? ... et dont la roue crève ? Il y en a qui ont raté leur vocation, Coluche lui ne se prenait pas au sérieux quand s’étant lancé en politique, il faisait rire les français.
Notons que bien souvent, ce déni s’accompagne d’une forme de mépris car la position étant intenable sur le fond, mais le raisonnement devant malgré tout tenir debout devant la caméra, quoi de plus simple que de disqualifier l’autre en affirmant qu’il n’a rien compris ? Idéal quand le mise en cause n'a pas accès aux médias et n’est donc pas là pour contre-argumenter. Quand on vous explique qu'il va falloir faire de la « pédagogie », il y a de fortes probabilités pour que l’on se trouve dans ce cas de figure.
En guise d’exemple et pour que chacun puisse bien voir de quoi je parle, je citerais Madame Aurore Bergé (députée des Yvelines et porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée Nationale) qui nous expliquait cet été que les français n’étaient pas capables de comprendre par eux-mêmes qu'on ne pouvait pas vouloir réduire la dette et ne pas faire d'efforts, raisonnement réitéré la semaine dernière à propos des services publics : les français ne sont pas capables de comprendre que s'ils en veulent, il faut payer des impôts. Nous serions d’après elle « schizophréniques », rien de moins [3]. Eh bien voilà, nous savons pourquoi Monsieur Macron tout comme ses prédécesseurs sont à moins de 25% d’opinions favorables 18 mois seulement après leur élection, n’allons pas chercher plus loin...
De la nécessité d’éclairer les consciences
En tout état de cause, cela en dit long sur la nécessité qu'il y a d'éclairer les consciences de nos « élites » car – il faudrait peut-être le leur rappeler - nous sommes en effet à la croisée des chemins dans de nombreux domaines tels que le dérèglement climatique, la cohésion sociale, la place de l’homme dans un monde technologique, l’efficacité du modèle capitaliste, le rétablissement des finances publiques ou encore la préservation de la démocratie pour n’en citer que quelques-uns. Des changements majeurs vont devoir s’opérer et il va tous falloir faire des efforts coordonnés pour y arriver, nous le savons bien mais apparemment pas eux : merci Monsieur Macron pour avoir magistralement planté la transition énergétique... pour le reste, je ne vois de toute façon pas trop ce qui était prévu.
C’est que dans un contexte où en tant que nation nous devrions faire preuve de cohésion et de solidarité pour surmonter collectivement des défis qui se présentent à nous, défis qui au passage nous dépassent tous individuellement, il apparaît de plus en plus impardonnable à un journaliste d’audience nationale, à un chef d’entreprise de taille importante, à un représentant des citoyens ou à un décideur public perdu dans une haute administration de ne pas savoir analyser les situations, mesurer les efforts qui sont demandés aux uns et aux autres, ni comprendre les causes de la souffrance qu'éprouve une partie de plus en plus significative des français lorsque les limites de soutenabilité de ces efforts ont été atteintes.
Des limites dépassées ou en voie de l'être sont partout de nos jours comme c’est par exemple le cas avec les frais bancaires qui saignent véritablement et outrageusement les foyers les plus modestes. Pour ceux qui l’ignore, il s'agit d'un véritable « racket » de 6,5 milliards d'euros organisé à l’échelle nationale en marge de la passivité complice de nos gouvernements successifs qui depuis des années ont préféré regarder ailleurs et n’ont guère bouger plus que le bout de leur petit doigt malgré les signaux alarmants des associations de consommateurs [4]. Cela représente 1/10ème de la collecte de l’impôt sur le revenu, donc en gros ce que l’État n’a pas pris aux foyers modestes par souci de justice fiscale, les banques bien moins regardantes sur la moralité s’en sont chargées.
Mais de telles limites pourraient être atteintes dans bien d'autres domaines tels qu'avec la répression délirante [5] des politiques de sécurité routière devenue insoutenable pour beaucoup d'automobilistes qui, soumis notamment à environ 70.000 invalidations de permis par an - la majorité consécutive à une succession de points perdus pour de petits excès de vitesse ridicules -, finissent par se retrouver contraints de rouler sans celui-ci, sans assurance, sans contrôle technique, plongeant auteurs et victimes dans le drame humain en cas d'accident, comme si l’accident en lui-même ne suffisait pas à leur malheur [6]. Tout ça bien entendu pour le plus grand bonheur des compagnies assurances qui pour pas cher n’ont de ce fait rien à assumer s’agissant des conducteurs les plus exposés aux risques ; leurs versements de dividendes ne s’en porteront que mieux.
La situation n’est guère meilleure sur le plan des conditions de travail qu'imposent notre modèle capitaliste productiviste qui lessive les travailleurs et génèrent burnouts, suicides, absentéisme, arrêts de travail ou précarité avec le phénomène d'ubérisation et chômage de longue durée pour des gens qui n’en peuvent plus [7] et qui finissent même par devoir payer pour avoir le droit de travailler, un comble [8]. Je n’aborderais pas ici les questions environnementales où plantes et animaux sauvages meurent dans l’indifférence la plus complète [9] mais il y aurait également, vous vous en doutez, beaucoup à dire.
Les responsables de telles absurdités vont-ils bientôt demander au peuple de s’acquitter d’une contribution sur l’air respiré ? Vont-ils édicter des normes sur l’éducation des enfants ? Ah mince, ça c’est déjà en cours avec la toute récente loi dite « sur la fessée » votée le 29 novembre dernier en catimini au milieu de la nuit par 51 députés à la quasi-unanimité alors que 80% des français se sont prononcés contres [10] et qu’elle avait déjà été de surcroit annulée une première fois par le Conseil constitutionnel [11]. Ne doutant de rien, rien ne les arrêtant jamais, on ne sait pas trop ce qui est en marche, mais c’est en marche et c’est bien ça qui fait peur ! Vont-ils généraliser les péages à l’entrée des toilettes et des salles de bain après avoir voulu en mettre à l’entrée de nos villes [12] ? Cette perspective a été retirée en douce du projet de loi d’orientation sur les mobilités grâce au mouvement des Gilets jaunes... on comprend pourquoi ! Vont-ils inventer la taxe sur les animaux domestiques après celle sur les bagues des oiseaux [13] ? créer une redevance sur la consommation de viande ? un impôt sur la sexualité ? À quand le contrôle technique humain pour pouvoir bénéficier d’une couverture sociale ou pouvoir souscrire une mutuelle ? Tous ou presque nous le sentons bien, face à la folie qui s’est emparée de ceux d’en haut, il est devenu urgent d’agir et nous devrions tous remercier les Gilets jaunes de nous avoir ouvert les yeux et contraint nos dirigeants à entendre qu’il y avait des limites à la bêtise.
Quid de la souffrance sociale ?
A une époque où les décisions sont prises en consultant des tableaux Excel, où celui qui appui sur le bouton dans un bureau parisien ne voit jamais les conséquences de son acte sur le terrain et où le progrès technologique rend concrétisables les pire fantasmes de la toute-puissance technocratique - attention, le petit dernier arrive : [14] -, il faudrait plus que jamais recourir à la philosophie et faire preuve de sagesse. Il est notamment important de se rappeler que quels que puissent être les arguments des uns et des autres, on n’a rarement raison quand l’autre souffre car nous sommes une société humaine. Plus que jamais il faut remettre l’homme et son environnement au centre des préoccupations avant que ceux-ci ne finissent par se rappeler à leurs bons souvenirs. Il me semble d’ailleurs bien que notre cher couple exécutif l’ait oublié une fois l’élection passée.
Dans cet ordre d’idée, beaucoup de ceux qui s’offusquent des dégâts matériels et économiques en cette fin d’année 2018 suite à deux ou trois samedis de manifestation, ont-ils seulement considéré les dégâts consécutifs à la violence que subit en silence depuis des dizaines d’années une grande partie du peuple français ? Car la véritable violence, c'est celle auxquels sont en proies tous les jours des millions de personnes dans leur quotidien, victimes de cette société prédatrice, inéquitable, aveugle et technocratique. Combien par exemple tombent en dépression [15] et ont des vies en ruptures qui les poussent parfois au suicide, rappelons que ce fléau fait 3 fois plus de morts que les accidents de la route [13] ? C’est cette violence ordinaire dont plus personne ne s’émeut, dont ceux d’en haut ignore même jusqu’à l’existence, qui devrait être considéré en priorité. Derrière se cachent des drames humains, des familles entières plongées dans la misère qui ne consommeront jamais parce qu’ils n’en ont pas les moyens, des bataillons de travailleurs compétents qui ne produiront jamais de richesses ni pour eux, ni pour l’économie. Cette souffrance sociale devrait être considérée ne serait-ce que parce qu’elle coute à la collectivité des milliards et non des millions. Qu’est-ce que représente les 3 ou 4 millions d’euros de dégâts du samedi 1er décembre à Paris [16] au regard, par exemple, des 108 milliards d’euros de manque à gagner rien que pour l’absentéisme en France au cours de l’année 2017 consécutifs notamment aux conditions de travail déplorables [17] ? Ceux qui confortablement assis dans leur canapé fustigent les Gilets jaunes ferait peut-être mieux de s’indigner du climat social régnant chez Amazon [18], Free ou Lidl [19] pour ne citer que trois exemples.
Cette violence ordinaire, c’est la souffrance de personnes qui se voit imposer des lois, des règlementations, des conditions générales, des règlements intérieurs qui lorsqu’ils s’appliquent se matérialisent par un arbitraire brutal, injuste, et dans bien des cas, par une privations de libertés : quand est-il de la liberté de circuler librement quand un contrôle technique, rendu volontairement trop difficile à obtenir, fait que des familles modestes se retrouvent du jour au lendemain privées véhicule ou contraint de rouler en infraction parce qu’ils n’ont pas d’autre solution [20] ? Quand est-il de l’accès à Internet en tant que liberté fondamentale quand votre opérateur télécom vous coupe l’accès au réseau dans l’heure qui suit la notification par la banque du rejet de votre prélèvement bancaire ? Cela fait plus de deux ans que le Sénat a voté le maintien temporaire de la connexion et toujours aucune traduction dans le concret, exactement comme pour les frais bancaires [21] ! Qu’en est-il des recours collectifs, les « class actions » à la française introduites en 2014, censée donner aux consommateurs des moyens dissuasifs pour empêcher ou mettre devant leurs responsabilités les entreprises peu scrupuleuses ayant recours à des pratiques abusives ? Je vous laisse juge : [22].
Il serait trop long de dresser la liste de tout ce qui ne fonctionne pas comme cela devrait mais pour tous ces sujets, moi j’appelle ça du « foutage de gueule ». Que les pouvoirs publics soient les auteurs ou que par l’inertie de leurs décisions, la faiblesse des moyens mis en œuvre ou l’absence total de contrôle sur l’effectivité des mesures prises - quand toutefois ils en prennent - ils se rendent complices de ces exactions, n’ayons pas peur d’employer les vrais mots, et pour moi sont donc responsables ou co-responsables des souffrances endurées par la population.
Une surdité impardonnable des acteurs de la vie publique
Je crois en toute sincérité que la crise des Gilets jaunes nous a démontré dans quelle mesure les responsables politiques, et plus largement les acteurs de la vie publique, ont perdu leur humanité. D’ailleurs à l’instar de Madame Schiappa et Monsieur De Rugy lors de la soirée « Sortir de la crise » organisée sur BFM TV le 5 décembre dernier [23], c’est toujours amusant de voir comment ces personnes se sentent obligées de rappeler leurs origines modestes, comme si la misère de leur grand-mère suffisait à leur donner la capacité de comprendre ce que l’on ressent quand on est contraint de faire ses courses avec une calculatrice. Tout le monde sait que l’origine sociale d’une personne ne conditionne pas son positionnement, loin s’en faut ... toutes les familles modestes on un oncle qui roule en Mercedes pour tenter de masquer des origines peu reluisantes à ses yeux ou bien une sœur qui s’est jetée corps et âmes dans les études pour s’extraire d’une condition sociale qu’elle exècre secrètement. Je ne porte de jugement sur personne, je ne mets pas en doute la sincérité des deux membres du gouvernement qui ont eu le courage de venir ce soir-là mais je dénonce juste que l’argument du « regardez d’où je viens » n’est en aucun cas opérant, j’aurais même tendance à penser qu’il s'agit bien au contraire d'une circonstance aggravante.
Je me dois de dénoncer cela parce que rien dans le comportements des gens qui nous dirigent ne peut me laisser croire qu’ils aient un jour su ce que c’est que de devoir reposer des produits dans un rayon parce qu’entre des yaourts ou une boîte d’œufs il faut faire un choix, d’angoisser que votre carte bancaire ne vous indique « paiement refusé » pour 24,35 euros à la fin de votre passage en caisse ou encore de devoir compter les jours qu’il vous reste pour trouver la provision du chèque que vous avez été contraint de faire avant que la date fatidique où vous allez être interdit bancaire ne soit atteinte, que tous vos moyens de paiement ne soient bloqués et que vous ne soyez radié de votre possibilité de consommer, votre droit d’exister. Combien de gens honnêtes en arrivent là parce que cette société avide d’argent vous a préalablement fait les poches à coup de taxes, de frais de dossier, de pénalités, de majorations de retard ou de commissions d’intervention qui multiplient par 2 voir plus le prix des biens et des services lorsque vos moyens sont déjà limités [24] (l’article concerne la Belgique mais la situation est identique en France).
Prenons un exemple simple avec un abonnement Internet de base, le mien est à 32,00E. Avez-vous eu le choix d'un autre mode de paiement que le prélèvement automatique mensuel sur votre compte bancaire ? non, vous avez été contraint d’accepter. Si pour une raison ou une autre votre compte n’a pas la provision suffisante le jour où le prélèvement se présente, cela vous en coutera 20,00E de frais de rejet au profit de votre banque et 7,50E de pénalités au profit de votre opérateur soit un total de 27,50 E de frais pour une facture de 32,00 E, et cela sans comptez bien sûr que vous êtes coupé dans les 2 heures, véritable double peine. Je vous garantie que si je doublais le montant de mes factures chaque fois qu’un client me règles en retards, je ne les garderais pas longtemps mais là, comme il s’agit de banques ou d’opérateurs qui en situation de quasi-monopole se comportent tous de la même façon, soit vous acceptez ces conditions, soit vous vous retrouvez sans banque et sans Internet.
Tout ceci se passe quand tout va bien, c’est le quotidien de la personne modeste on va dire, le prix de la pauvreté, car de plus en plus fréquemment, le débiteur qui ne peut toujours pas payer du fait d’avoir été préalablement spolié se retrouve rapidement emporté dans la spirale du recouvrement forcé où commandements de payer, avis à tiers détenteur, saisies attribution, inventaires aux fins de saisie-vente et autres joyeusetés du genre aux frais scandaleusement prohibitifs vous maintiennent littéralement la tête sous l’eau pour le plus grand bonheur des huissiers, des banques et autres services de recouvrement. Ces créanciers charognards se gavent littéralement sur votre dos et le font de surcroît en cherchant à vous ôter ce qu’il vous reste de dignité pour pouvoir se rassurer eux-mêmes ; la haine envers les pauvres n’est pas un mythes et elle se banalise [25] : « il faut éradiquer ces parias de pauvres... mais attendons d’abord de les avoir bien siphonnés ». Un comble, notamment de la part des banques, quand on connait leur responsabilité dans la crise et les difficultés qu’il y a à les faire financer l’économie réelle. Que font les pouvoirs publics ? Que font nos députés ? RIEN.
Cette surdité des acteurs de tout type de la vie publique est impardonnable ne serait-ce que parce que cela rend ces personnes indignent du rôle qu'elles jouent ou bien prétendent vouloir jouer à l'échelle de la société toute entière. Même s’ils se défendent et vous font croire qu'ils jouent leur rôle, c'est dans une société truquée où les dés sont pipés puisque c’est eux-mêmes qui en ont instauré les règles.
Le plus bel exemple ce sont les indicateurs : tout le monde sait que les indicateurs ne mesurent que très approximativement la réalité des choses, et c'est un euphémisme. Soit ils ne sont plus adaptés, soit il ne prennent pas en compte tous ce qui est mis sous le tapis : Monsieur Macron aurait-il été élu si on avait comptabilisé le vote blanc ? Les frais d’incidents bancaires qui amputent jusqu’à 20% du budget d’un ménage modeste, sont-ils pris en compte dans le pouvoir du pouvoir d’achat ? le stationnement, les PV aussi ? Comment compter les chômeurs quand les gens ne s’inscrivent même plus à Pôle Emploi ? S’agissant du travail justement, je vous invite à lire le passage intitulé « le foutoir des chiffres » du documents [8] qui explique bien en quoi la mesure du cout et de la durée du travail officiels en France ne veulent plus rien dire du tout. Cette absence de sincérité des indicateurs, outre qu'elle ne contribue pas à ce que la réalité du terrain remonte, ouvre des brèches dans laquelle nos décideurs mettent en place les dispositions qu’ils veulent et surtout qui les arrangent. Celà provoque des situations qui commencent par devenir iniques puis qui à force finissent en étant complètement insoutenables.
Les acteurs ont mis en place une société à leur image dans laquelle le mérite de l’homme n’est plus une vertu, dans laquelle la justice sociale n’existe plus et qui n’est par conséquent plus démocratique. Une société qui se veut démocratique ne peut pas se permettre de faire l’impasse sur la justice sociale car cela reviendrait à sacrifier sciemment une partie de la population au profit d'une autre et c’est en effet bien là où nous en sommes aujourd’hui. Le mouvement des Gilets jaunes, c’est la France des oubliés, de ceux qu’on ne veut pas voir et dont on ignore volontairement les difficultés et la souffrance pour les rendre corvéables à merci.
Ce n'est pas qu'une question de justice sociale ni de pouvoir d'achat
Si seulement il n'y avait que ce manque d'humanité, mais le pire dans tout ça, c’est que la crise des Gilets jaunes démontre également à quel point nos politiques, nos médias, tous ces acteurs d’en haut ont perdu le sens des réalités en soutenant aveuglément un modèle de gouvernance qui a dans une large mesure a failli et qui se retrouve d’ailleurs aujourd’hui de plus en plus contesté.
Si l’on se place en effet sous l’angle plus vaste de la contribution globale de chaque acteur à la nation - je parle de leur contribution au bien commun, pas de leurs intérêts propres -, il suffit d’observer la dégradation de notre pays au cours de ces 20 dernières années pour s’en rendre compte, et cela sur des critères de premier plan parfaitement objectifs : baisse de compétitivité, désindustrialisation, accroissement des inégalités, augmentation du déficit extérieur, explosion de la dette publique, chômage de masse, précarisation, ghettoïsation, dégradation des services publics, baisse du niveau d'éducation, affaiblissement de l’autorité de l’État, perte de souveraineté, déficit démocratique, érosion du modèle français, etc. La liste est si longue... A moins d’affirmer que ce ne serait la faute de personne - autrement dit que les responsables ne sont pas responsables -, chacun dans son domaine d’intervention, peut prendre sa part de responsabilités et regarder en face son bilan. Un simple examen de bon sens suffit à discréditer les politiques menées et rendre critiquable les moyens mis en œuvre.
Je ne crois pas me tromper en affirmant que cette « crise du résultat » place nos élites autopromues et autoentretenues à la même distance de « l’incompétence » que ne l’est le concept de « clientélisme » de celui de « corruption ». Elle ne fait qu’alimenter une défiance légitime envers ceux qui nous dirigent - ainsi que ceux qui les soutiennent - car comment faire confiance à une classe de gens qui n’ont que faire de défendre vos intérêts, qui ne sont tout simplement pas capables de comprendre ce qu'ils vous font subir, qui n’ont aucune limite à vous asservir et qui de plus se lave les mains de votre souffrance, tout ça pour un résultat aussi pitoyable ? Sur un plan individuel, eux n’ont absolument aucun problème pour finir leurs fins de mois. Tous ont bien gagné leur vie, on fait de belles carrières, se sont assuré un avenir ainsi qu’un avenir à leurs enfants, pendant qu’ils venaient gérer n’importe comment le pays, les administrations et parfois même les grandes entreprises - exemple Areva [26] -. Au final c’est toujours le même scénario qui se joue : pile je gagne, face tu perds ! Le cynisme n’ayant lui non plus aucune limite, le fait que tous ces gens-là viennent ensuite donner des leçons au peuple sur les plateaux télé ou devant les caméras est tout bonnement devenu insupportable. C’est peut-être cela qui a précipité Monsieur Macron dans sa chute : ses petites phrases qui en disent long sur ce que pense réellement le monde d'en haut des français, elles ont d'ailleurs fait passer Monsieur Sarkozy pour un amateur avec son "Casse-toi pauvre con". Trop c’est trop, les français ne supportent plus.
Rappel à la démocratie adressé à ceux d’en haut
En tout état de cause, le peuple n’est plus dupe de ce système : le ras-le-bol fiscal par lequel la crise des Gilets jaunes a commencé n’est rien d’autre que le préalable à un refus du consentement à l’impôt, un acte devenu citoyen face à une classe de gens qui non contents d’avoir échoué à diriger le monde [27], s’en sont accaparés toutes les richesses [28] et veulent aujourd’hui nous faire payer la facture de leur inconséquence, notamment en terme d’écologie. Qui tire réellement profit de ce système productiviste mondialisé qui pollue la planète - c’est-à-dire au-delà du simple fait de gagner sa vie et vivre normalement - ? Certainement pas la France du bas qui de toute façon ne consomme pas !
N’en déplaise donc à certains journalistes qui instiguent dans l’opinion l’idée d’un putsch des Gilets jaunes [29] pour faire honteusement leur show médiatique à bon compte sur le dos des pauvres gens, voilà pourquoi à l’urgence de faire cesser les souffrances silencieuses d'une grande partie de la population française répond la nécessité impérieuse d'aller hurler celles-ci aux balcons de ceux qui nous dirigent. Ce n’est pas renverser un régime que d'exiger de nos responsables publics qu’ils fassent leur travail, représenter le peuple dans son ensemble, et à défaut, de demander le remplacement dans leurs fonctions de ceux qui devenus illégitimes parce qu’enferrés dans le prisme de la pensée unique [30], ne seraient plus en mesure d'appréhender les multiples dimensions d'une même réalité dans un monde devenu complexe, ni aptes à comprendre les choses en y incluant différentes hauteurs de vue. Tout ceci est bien au contraire l’expression même de la démocratie.
Dans une démocratie la souveraineté appartient au peuple, elle ne fait que s’exprimer par l’intermédiaire de ses représentants, représentants qui ont le devoir de les représenter justement. Fusse le peuple être idiot, ses représentants doivent malgré tout le représenter tel qu’il est ; convaincre en exposant ses idées pour susciter l’adhésion, oui, mais le peuple n’a pas à être pris de haut, n’a pas besoin de se faire tout expliquer par de la pédagogie au motif fallacieux que ces pauvres gens « schizophréniques » ne sont pas capables de comprendre les enjeux du monde et savoir tout seuls ce qu'ils souhaitent pour leur pays.
Parce qu’en réalité le peuple n’est pas composé d’idiots, parce que la dignité d’une personne n'est pas fonction de son origine sociale pas plus que de son niveau d’étude, il semblerait que trop de gens en place, comme autant de maillons d’un « système » déshumanisé, muent par leurs intérêts propres bien éloignés de l’intérêt général du simple fait de leur conception appropriable de la chose publique, probablement corrompu par le pouvoir, l’argent ou la technocratie, ne soient plus à la hauteur du rôle qu’ils devraient normalement jouer au sein de la société. Telle est en tout cas, je le crois, l’essence même et la légitimité profonde du dégagisme qui secoue depuis quelques années notre pays ainsi que l’ensemble des démocraties.
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