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Accueil du site > Tribune Libre > Honte à Libération ! Mahmoud Darwich enterré en rubrique « Variété (...)

Honte à Libération ! Mahmoud Darwich enterré en rubrique « Variété »

Honte à l’équipe de rédaction du « Libération » (1) qui annonce les obsèques de Mahmoud Darwich à Ramallah par une brève en page « Culture » (Pourquoi pas, même si cette classification réduit déjà la dimension du personnage ?), mais au sein de cette page l’annonce est située sous la rubrique « Variétés » (sic !). Là il ne s’agit plus de réduire la dimension du personnage, mais de tourner en dérision son œuvre, sa personne et son action !

Comment peut-on en arriver là ? Cette rubrique « variété » contient, mis sur le même plan, deux autres brèves consacrées l’une à « Téléchargement et Royalties » et l’autre à « Réunion de crise à TF1 » ; la place la plus importante de cette page « Culture » est consacrée à un festival « Rock », à un festival « Rave » et à un artiste peintre qui occupe l’essentiel car il est « enfin reconnu et rémunéré »…

« VARIETES » ? Qui aurait osé ? Seul un ignare total ou un malveillant intégral pouvait oser rabaisser ainsi ce géant de la poésie, mais aussi de la pensée universelle, ami d’Edouard Saïd, amoureux comme lui de la Paix pour tous les peuples et pas seulement pour le sien, même si la Palestine lui collait à la peau sans aveugler sa pensée.

Presque pire encore, était-il nécessaire de s’étonner dans cette « brève » du choix de Ramallah pour son inhumation en précisant que de ce lieu « on peut apercevoir la banlieue de Jérusalem… puisque les Palestiniens veulent faire de Jérusalem la capitale de leur futur Etat… » C’est quoi le message ? Un poète de variété serait instrumentalisé dans sa mort pour légitimer ce qui ne serait peut-être pas une évidence pour tous, Jérusalem capitale de l’Etat palestinien ?

Ils ont osé en effet ! Le président du Directoire et directeur de la publication et de la rédaction, Laurent Joffrin, devra nous dire comment, avec Gérard Lefort (2) rédacteur en chef en charge de la culture, a pu être composée cette page d’anthologie au chapitre de l’infamie…


- (1) Libération, 12 août 2008, page 21.

- (2) Qui publia en 1997 un polar breton au titre Vomi soit qui malle y pense.
Dans une polémique récente, cet observateur avisé faisait preuve d’une défiance démontrant sa non-naïveté :
La mairie de Paris très préoccupée. Polémique. L’adjoint à la Culture envisage l’arrêt de l’expo « Les Parisiens sous l’Occupation ».GERARD LEFORT/ QUOTIDIEN : lundi 21 avril 2008 : "… Dans le cas des « Parisiens sous l’Occupation », le moins qu’on puisse dire, c’est que le propos est trouble, et le discours, sous sa parure d’innocence plus ou moins inconsciente, contestable."
http://www.liberation.fr/culture/322260.FR.php
Sous la parure d’innocence plus ou moins inconsciente, contestable en effet le classement de Mahmoud Darwich sous la rubrique "Variété"… !


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11 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 14 août 2008 14:30

    Et encore c’est rien, avec TF1 ce pourrait être "Mahmoud à la Star’ Ac". Pire encore avec Ruquier qui, après Coluche, aurait pu tenter un "Mahmoud écrase les prouts".

    La poésie, tout le monde s’en moque. Succès d’estime quand même de mon papier dédié à Mahmoud Darwich (et que j’ai soigné) auquel Agoravox aura ainsi rendu hommage dans la rubrique qui lui convenait, c’est-à-dire "International".





    • Satantango Satantango 14 août 2008 16:26

      Mais enfin pourquoi s’étonner ? Laurent Joffrin, de son vrai nom Laurent Mouchard, ou Cafard, je ne me rappelle plus, est copain comme cochon avec les sionistes (de BHL à DSK, en passant par Bruckner et Kouchner) et la récente "affaire Siné" nous l’a démontré de façon éclatante.

      Quand à "L’abberation", plus personne ne lit ce torchon, même s’il était gratuit, à part Ruquier et Drucker bien sûr...


      • K K 14 août 2008 18:58

        C’est hélas toute la poesie qui disparait de la presse. C’est bien beau qu’ils pensent encore à signaler la mort des poetes. Il parait que c’est l’époque qui veut cela.

        C’est vrai que je vois très mal notre président actuel publier une anthologie de la poesie française.


      • La Taverne des Poètes 14 août 2008 20:54

        Avoir publié un polar intitulé "Vomi soit qui malle y pense" et occuper le poste de rédacteur en chef en charge de la culture, ça dit tout de la façon de traiter la culture et de (mal)traiter la poésie...



        • jako 14 août 2008 21:53

          Hé Oui ! merci à l’auteur. Mais au fait, à qui cela appartient déja ce journal ??


          • Lavigue 15 août 2008 00:43

            Il y a belle lurette que "Libération" a perdu son honneur. Que penserait Sartre du journal qu’il contribua à fonder ? D’un journaleux comme Joffrin qui biologise les juifs comme le faisait le sinistre "Je suis Partout" de Brasillach ? "Libération" a toute sa place dans les latrines puisque personne ne le lira plus sous peu et ce dans l’intérêt de l’hygiène intellectuelle de notre pays. Monsieur Joffrin assumez votre patronyme de Mouchard que vous n’aurez pas démérité : Siné, Badiou en ont fait les frais.


            • Jacques RICHAUD 15 août 2008 01:20

              LA PALESTINE LUI COLLAIT A LA PEAU , SANS AVEUGLER SON ESPRIT

              Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de croiser les textes de MAHMOUD DARWICH, deux illustrations de son héritage universel, UNIVERSEL car il savait que le sort de son peuple n’était pas ‘unique’, ni ‘élu’ dans la félicité ni élu dans le malheur. Il savait ce sort partagé par tous les opprimés, les migrants et les espérants de la terre. Oui son ‘universalité’ suintait dans chacun de ses écrits et il était le premier à dire qu’il parlait de ‘la vie’ et non seulement de son peuple.

              - Oui j’ai écrit « La Palestine lui collait à la peau » car il partageait, de son peuple, le sentiment d’injustice immense d’une expulsion qui fut celle de son enfance et d’une injustice qui se poursuivait à sa mort encore. Lire de Mahmoud DARWICH, ‘je suis arabe’ c’est entrer dans cette compréhension là. :

              « JE SUIS ARABE »

              Je suis Arabe

              Inscris ! Je suis Arabe Le numéro de ma carte : cinquante mille Nombre d’enfants : huit Et le neuvième... arrivera après l’été ! Et te voilà furieux !

              Inscris !

              Je suis Arabe

              Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine

              Et j’ai huit bambins

              Leur galette de pain

              Les vêtements, leur cahier d’écolier

              Je les tire des rochers...

              Oh ! je n’irai pas quémander l’aumône à ta porte

              Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais

              Et te voilà furieux !

              Inscris !

              Je suis Arabe

              Sans nom de famille - je suis mon prénom

              « Patient infiniment » dans un pays où tous

              Vivent sur les braises de la Colère

              Mes racines...

              Avant la naissance du temps elles prirent pied

              Avant l’effusion de la durée

              Avant le cyprès et l’olivier

              ...avant l’éclosion de l’herbe

              Mon père... est d’une famille de laboureurs

              N’a rien avec messieurs les notables

              Mon grand-père était paysan - être

              Sans valeur - ni ascendance.

              Ma maison, une hutte de gardien

              En troncs et en roseaux

              Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?

              Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.

              Inscris !

              Je suis Arabe

              Mes cheveux... couleur du charbon

              Mes yeux... couleur de café

              Signes particuliers :

              Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré

              Et ma paume est dure comme une pierre

              ...elle écorche celui qui la serre

              La nourriture que je préfère c’est

              L’huile d’olive et le thym

              Mon adresse :

              Je suis d’un village isolé...

              Où les rues n’ont plus de noms

              Et tous les hommes... à la carrière comme au champ

              Aiment bien le communisme

              Inscris !

              Je suis Arabe

              Et te voilà furieux !

              Inscris

              Que je suis Arabe

              Que tu as rafflé les vignes de mes pères

              Et la terre que je cultivais

              Moi et mes enfants ensemble

              Tu nous as tout pris hormis

              Pour la survie de mes petits-fils

              Les rochers que voici

              Mais votre gouvernement va les saisir aussi

              ...à ce que l’on dit !

              DONC

              Inscris !

              En tête du premier feuillet

              Que je n’ai pas de haine pour les hommes

              Que je n’assaille personne mais que Si j’ai faim

              Je mange la chair de mon Usurpateur

              Gare ! Gare ! Gare

              À ma fureur !

              Mahmoud Darwich

              Oui j’ai écrit que ses racines revendiquées n’aveuglaient pas sa pensée . Il faut lire de Mahmoud DARWICH ce texte ‘Si nous le voulons’ :

              « SI NOUS LE VOULONS »


              Nous serons un peuple, si nous le voulons,

              lorsque nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que le mal n’est pas l’apanage des autres.

              Nous serons un peuple lorsque nous ne dirons pas une prière d’actions de grâce à la patrie sacrée chaque fois que le pauvre aura trouvé de quoi dîner.

              Nous serons un peuple lorsque nous insulterons le sultan et le chambellan du sultan, sans être jugés.

              Nous serons un peuple lorsque le poète pourra faire une description érotique du ventre de la danseuse.

              Nous serons un peuple lorsque nous oublierons ce que nous dit la tribu..., que l’individu s’attachera aux petits détails.

              Nous serons un peuple lorsque l’écrivain regardera les étoiles sans dire : notre patrie est encore plus élevée... et plus belle !

              Nous serons un peuple lorsque la police des moeurs protégera la prostitué et la femme adultère contre les bastonnades dans les rues.

              Nous serons un peuple lorsque le Palestinien ne se souviendra de son drapeau que sur les stades, dans les concours de beauté et lors des commémorations de la Nakba. Seulement.

              Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé à psamoldier un verset de la sourate du rahmân dans un mariage mixte.

              Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l’erreur.

              M. Darwich, à paraître en 2009 à Actes Sud, exclusivité L’Humanité 11/08/08



              • Jacques RICHAUD 15 août 2008 02:03

                C’est à la mort de son ami de trés longue date EDOUARD SAID que MAHMOUD DARWICH écrivit cet ’HOMMAGE A EDOUARD SAID’ , autre voix également trés importante de ce siècle qui vit la fin des colonisations mais la perpétuation de l’esprit colonial, la fin des apartheid mais la perpétuation des racismes, le réveil des peuples mais l’exacerbation des intolérances croisées entre anciens maîtres et anciens esclaves ou asservis.
                Edouard Saïd , comme Mahmoud Darwich savait le chemin qui restait encore à parcourir pour que les hommes vivent ensemble sans la haine qui remplace la pensée, (Comme il peut être lu sur ce blog comme sur tous les blogs...)
                Le dépassement de la peur de l’autre était une démarche déja accomplie par ces deux là qui savaient en eux même porter le mal et le bien et que demain se construit aujourd’hui...
                Dans ce TEXTE , ces deux là "NOUS CONFIENT L’IMPOSSIBLE...".
                Tant pis pour ceux qui cultivent la barbarie ’du singulier’, ils ne sauront jamais de quoi ils se privent....

                Hommage à Edward Said

                New York. Novembre. 5e Avenue.
                Le soleil est une soucoupe éclatée.
                A l’ombre, j’ai interrogé mon âme étrangère : Cette ville est-elle Babylone ou Sodome ?


                Là-bas, au seuil d’un gouffre électrique haut comme le ciel, j’ai rencontré Edward, il y a trente ans.
                Les temps étaient moins impétueux.
                Chacun a dit à l’autre :
                Si ton passé est expérience, fais du lendemain sens et vision !
                Partons, partons vers notre lendemain, sûrs de la sincérité de l’imagination et du miracle de l’herbe.


                Je ne sais plus si nous avons été au cinéma ce soir-là, mais j’ai entendu des Indiens anciens me crier : Ne fais confiance ni au cheval ni à la modernité.

                Non. Aucune victime n’interroge son bourreau : Suis-je toi, et si mon glaive avait été plus grand que ma rose... Aurais-je agi comme toi ?

                Une telle question suscite la curiosité du romancier dans un bureau de verre donnant sur les lys d’un jardin... Là où l’hypothèse est blanche comme la conscience de l’auteur s’il solde ses comptes avec la nature humaine... Nul lendemain dans la veille, avançons donc !

                Le progrès pourrait être le pont du retour à la barbarie...

                New York. Edward se réveille sur la paresse de l’aube. Il joue un air de Mozart. Dispute une partie de tennis sur le court de l’Université. Réfléchit au périple de la pensée par-delà les frontières et les barrières. Parcourt le New York Times. Rédige sa chronique nerveuse. Maudit un orientaliste qui guide un général au point faible dans le cœur d’une orientale. Se douche. Choisit un costume avec l’élégance d’un coq. Boit son café au lait et crie à l’aube : Ne traîne pas !

                Sur le vent, il marche. Et dans le vent, il sait qui il est. Pas de toit au vent. Pas de demeure. Et le vent est une boussole pour le nord de l’étranger.

                Il dit : Je suis de là-bas. Je suis d’ici et je ne suis ni là-bas ni ici. J’ai deux noms qui se rencontrent et se séparent, deux langues, mais j’ai oublié laquelle était celle de mes rêves. J’ai une langue anglaise, au vocabulaire docile, pour écrire. Et une autre, venue des conversations du ciel avec Jérusalem. Son timbre est argenté, mais elle est rétive à mon imagination.

                Et l’identité ? J’ai dit.
                Il répondit : Autodéfense...
                Donnée à la naissance, l’identité est finalement façonnée par celui qui la porte, elle n’est pas héritage. Je suis le multiple... En moi, mon dehors renouvelé. Mais j’appartiens à l’interrogation de la victime.
                N’étais-je de là-bas, j’aurais entraîné mon cœur à élever, là-bas, la gazelle de la métonymie...

                Porte donc ta terre natale où que tu ailles et sois narcissique s’il le faut.

                – Exil, le monde extérieur. Exil, le monde caché. Qui es-tu donc entre eux ?
                – Je ne me présente pas de peur de me perdre. Et je suis ce que je suis.
                Et je suis mon autre dans une dualité harmonieuse entre parole et signe.
                Si j’étais poète, j’aurais écrit :
                Je suis deux en un, telles les ailes d’une hirondelle
                Et si le printemps tarde à venir, je me contente de l’annoncer !

                Il aime des pays et les quitte. (L’impossible est-il lointain ?) Il aime migrer vers toute chose. Car, dans le voyage libre entre les cultures, il y a place pour tous ceux partis à la recherche de l’essence de l’homme.

                Voici qu’une périphérie avance, qu’un centre recule. L’Orient n’est pas totalement Orient ni l’Occident, Occident. Et l’identité est ouverte au multiple.
                Elle n’est ni citadelle ni tranchée.


                La métaphore dormait sur l’une des rives du fleuve. N’était la pollution,
                Elle aurait enlacé l’autre rive.

                – As-tu écrit ton roman ?
                – J’ai essayé... Tenté de retrouver mon image dans les miroirs des femmes lointaines. Mais elle se sont enfoncées dans leur nuit fortifiée. Et elles ont dit : Notre univers est indépendant du texte. Aucun homme n’écrira la femme, énigme et rêve. Aucune femme, l’homme, symbole et star. Nul amour ne ressemble à un autre, nulle nuit à une autre nuit. Laisse-nous donc énumérer les vertus des hommes et rire !
                – Qu’as-tu alors fait ?
                – J’ai ri de mon absurdité et mis mon roman au panier.

                Le penseur bride le récit du romancier et le philosophe dissèque les roses du chanteur.

                Il aime des pays et les quitte : Je suis qui je serai et deviendrai. Je me construirai moi-même et choisirai mon exil. Mon exil est l’arrière-plan de la scène épique. Je défends le besoin des poètes de gloire et de souvenirs, et défends des arbres qui habillent les oiseaux de pays et d’exil, une lune encore apte à un poème d’amour, une idée brisée par la fragilité de ses défenseurs et un pays enlevé par les légendes.

                – Pourrais-tu revenir à quoi que ce soit ?
                – Ce qui m’attend me tire et se presse... Je n’ai pas le temps de tracer des traits sur le sable. Mais je peux visiter le passé comme le font les étrangers quand ils écoutent le poète pastoral dans le soir triste :
                « A la fontaine, une jeune fille emplit sa jarre de larmes des nuages
                Et elle pleure et rit d’une abeille qui a piqué son cœur à l’heure du départ.
                L’amour est-il douleur de l’eau ou maladie dans la brume... »
                (Et cætera, et cætera, jusqu’à la fin de la chanson.)

                – Tu pourrais donc être atteint du mal de la nostalgie ?
                – Une nostalgie pour le lendemain. Plus lointaine, plus élevée et plus lointaine
                . Mon rêve guide mes pas et ma vision pose mon rêve sur mes genoux, chat familier. C’est le réel imaginaire, le fils de la volonté : Nous pouvons modifier la fatalité du gouffre !
                – Et la nostalgie du passé ?
                – Un sentiment qui ne concerne que le penseur soucieux de comprendre l’attrait de l’étranger pour les outils de l’absence. Quant à ma nostalgie, elle est un combat pour un présent qui s’agrippe au lendemain.
                – T’es-tu infiltré dans hier, le jour où tu t’es rendu à la maison, ta maison, à Jérusalem, dans le quartier de Tâlibîya ?
                – Tel l’enfant s’il a peur de son père, je m’étais préparé à me cacher dans le lit de ma mère. J’ai essayé de revivre ma naissance, de suivre le chemin du lait sur le toit de ma vieille maison, essayé de palper la peau de l’absence, de sentir le parfum de l’été dans le jasmin du jardin. Mais l’hyène de la vérité m’a éloigné d’une nostalgie qui, derrière moi, se tenait sur ses gardes telle une voleuse.
                – As-tu eu peur et de quoi ?
                – Je ne peux rencontrer la perte face à face. Tel le mendiant, je me suis tenu à la porte. Demanderai-je à des inconnus qui dorment dans mon lit la permission de me rendre visite à moi-même cinq minutes ? Me courberai-je avec respect devant les occupants de mon rêve d’enfance ? Demanderont-ils : Qui est ce visiteur étranger et indiscret ? Pourrai-je seulement parler de paix et de guerre entre victimes et victimes des victimes, sans mots superflus et sans incises ? Me diront-ils : Pas de place pour deux rêves dans le même lit ?

                Ni lui ni moi n’aurions pu.
                Mais lui est un lecteur qui s’interroge sur ce que nous dit la poésie au temps du désastre.

                Sang
                et sang
                et sang
                dans ta patrie
                Dans mon nom et le tien, dans la fleur d’amande, la peau de banane, le lait de l’enfant, la lumière et l’ombre, le grain de blé, la boîte à sel. Des snipers virtuoses touchent leur cible.

                Sang
                sang
                sang
                Cette terre est plus petite que le sang de ses enfants, offrandes dressées aux seuils de la résurrection. Cette terre est-elle bénie ou baptisée

                Par le sang,
                le sang
                le sang
                Que n’assèchent ni les prières ni le sable ? Pas de justice suffisante dans les pages du Livre saint pour donner aux martyrs la joie de marcher librement sur les nuages. Sang, le jour. Sang, la nuit. Sang dans les mots !

                Il dit : le poème pourrait accueillir la perte, filet de lumière luisant au cœur d’une guitare ou un christ monté sur une jument et ensanglanté de belles métaphores. Qu’est le beau, sinon la présence du vrai dans la forme ?

                Dans un monde sans ciel, la terre se change en gouffre. Et le poème est l’un des présents de la consolation, l’une des qualités des vents, qu’ils soient de sud ou de nord. Ne décris pas ce que la caméra discerne de tes blessures.
                Crie pour t’entendre et crie pour savoir que tu es encore vivant et vivant, que la vie sur cette terre est encore possible. Invente un espoir pour les mots. Crée un point cardinal ou un mirage qui prolonge l’espérance et chante, car le beau est liberté.

                Je dis : la vie définie par son contraire, la mort, n’est pas une vie !
                Il dit : Nous vivrons, même si la vie nous abandonnait à notre sort.
                Soyons ces seigneurs des mots qui rendent leurs lecteurs éternels, pour parler comme ton génial ami Ritsos...

                Et il dit : SI JE MEURS AVANT TOI , JE TE CONFIE L’IMPOSSIBLE !
                Je demande : Est-il lointain ?
                Il répond : A distance d’une génération.
                Je dis : Et si je meurs avant toi ?
                Il répond : Je consolerai les monts de Galilée et j’écrirai : « Le beau n’est que l’accession à l’adéquat. » Bon ! Mais n’oublie pas.
                SI JE MEURS AVANT TOI , JE TE CONFIE L’IMPOSSIBLE !


                A ma visite dans la nouvelle Sodome, en l’an deux mille deux, il résistait à la guerre de Sodome contre les gens de Babylone et au cancer. Dernier héros épique, il défendait le droit de Troie à sa part du récit.

                Aigle, là-haut,
                Là-haut,
                Faisant ses adieux à ses cimes,
                Car la résidence au-dessus de l’Olympe
                Et des sommets
                Génère l’ennui.
                Adieu
                Adieu, poésie de la douleur !
                Mahmoud Darwich. (Traduit par Elias Sanbar)




                • Sahtellil Sahtellil 15 août 2008 04:20

                  Merci pour ce magnifique florilège.

                  Honte à moi, qui suis arabe, de ne pas avoir lu dans ma langue maternelle cette immense plume. Quand on sait le rendu poétique d’un texte traduit, on imagine aisèment le potentiel esthétique et la dimension "universellement" humaine de la formulation d’origine. Une poésie n’en sera pas une de toute façon autrement !

                  BMD


                • Jacques RICHAUD 15 août 2008 11:34

                  MOI QUI NE SUIS PAS ARABE ….

                  Merci pour ce commentaire, lire aussi sur ce blog l’article proposé par "La taverne des poètes" :
                  http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=43118

                  Moi ’qui ne suis pas arabe’ j’ai eu le bonheur de voir et entendre deux fois Mahmoud Darwich, présenté et traduit devant un public qui buvait sa langue dans un ravissement intégral...

                  J’ai bien sur choisi trois textes qui peuvent parler à tous, même au-delà de la traduction qui fait perdre aux mots leur musique et une part de leur sensualité... Il a été écrit que ce que disait Mahmoud c’était une METAPHORE DE LA PALESTINE... L’expression me semble juste, en entendant aussi que cette métaphore va au-delà de son sujet, comme métaphore de l’humanité humiliée tout entière...

                  Il parlait aussi hébreux et en Israël certains ont tenté faire entrer une partie de ses œuvres dans l’enseignement commun, mais le projet est bloqué par ceux dont les pères ont chassé son père de sa terre et qui croient que la négation peut être plus forte que la vie... Mahmoud s’interroge " si ma rose avait été plus forte que le glaive..." Le meilleur hommage est de lui répondre que la rose EST plus forte que le glaive et qu’ils sont misérables ceux qui croient pouvoir le taire...

                  Mahmoud Darwich a pu dire qu’il n’était pas sur que la poésie puisse changer le monde... Bien sur la poésie ne suffit pour abattre les murs et panser les blessures ou effacer les larmes, mais elle fait de ceux qui la partagent des être ’autres’ qui savent ne pas avoir reçu une émotion destinée à eux seuls, dans leur ’singularité’ primitive et misérable, mais une émotion qui permet un vivre ensemble ou le mot fraternité retrouve son sens le plus universel...

                  Des ’autres’ textes de Mahmoud, ceux de poésie pure disant le vent, les senteurs et les lumières de son pays ravagé par les barbaries et par l’acier des brutes messianiques, je ne peux, moi, percevoir que la ’musique’ des mots sans ressentir la torsion dans les tripes que je devine seulement... Mais en l’écoutant moi je me sentais ’presque’ arabe aussi puisque ce privilège était devenu métaphore ; et pour cela voulais lui dire merci.
                  Jacques Richaud 15 août 2008


                • Jacques RICHAUD 16 août 2008 15:34
                  Pour clore , sauf rebondissement toujours possible, cette évocation de Mahmoud DARWICH en espérant avoir donné à quelques-uns l’envie de lire le poète et l’homme universel dans le texte (et non au travers des éructations médiatiques obscènes déja évoquées) , je livre un autre texte...
                  Dur, trés dur , message à tous les combattants de toutes les causes, dont aucune n’est ’sacrée’...Sans doute était-il d’accord avec le représentante de la Palestine Leila Shahid lorsqu’elle disait ’Notre seule religion c’est la Justice’.
                  Sans doute est-ce un acte d’un grand courage que d’avoir osé écrire "Désormais ,tu es un autre...", avec les mots qui font mal aux prédicateurs de haine et de certitude, qu’ils aient eu une mère à Gaza ou au Texas, en Tchéchénie ou en Russie,au Nigéria ou à Haïfa, à Naplouse ou à Paris...Extraits :
                   
                  - ...nous fallait-il voir notre sang sur nos propres mains pour admettre que nous ne sommes pas des anges, comme nous l’avons longtemps cru ?
                  - ...L’identité, c’est ce que nous léguons, non ce que nous héritons, c’est ce que nous inventons, non ce dont nous nous souvenons. L’identité, c’est le miroir corrompu que nous devons briser chaque fois que l’image nous plaît !
                  - ...Si Mahomet n’était pas le dernier des prophètes, toute clique aurait eu son prophète et tout Compagnon aurait eu sa milice ! ...Sait-il, celui qui clame « Dieu est Grand ! » au-dessus du cadavre de sa victime/son frère, qu’il n’est qu’un mécréant ? Il voit Dieu à son image : bien moins qu’un être humain normalement constitué.
                  - ...Qui entrera le premier au Paradis ? Celui qui a été tué par les tirs de l’ennemi ou celui qui est tombé sous les balles de son frère ? Certains exégètes disent : Il se pourrait que ton ennemi soit engendré par ta propre mère ! Les fondamentalistes ne me gênent pas, ils sont croyants à leur manière. Ce sont leurs acolytes laïques qui me dérangent, de même que leurs acolytes athées qui ne croient qu’en une seule religion : leur image à la télévision !....

                  MAHMOUD DARWICH / DESORMAIS TU ES UN AUTRE
                   
                   

                  par Mahmoud DARWICH

                  Nous fallait-il choir d’un lieu aussi élevé, nous fallait-il voir notre sang sur nos propres mains pour admettre que nous ne sommes pas des anges, comme nous l’avons longtemps cru ?

                  Nous fallait-il exhiber nos parties intimes en public pour que notre vérité cesse d’être vierge ?

                  Quels menteurs nous étions lorsque nous avions affirmé : Nous sommes l’exception !

                  Être crédule vis-à-vis de soi est pire que de mentir aux autres ! Être aimables envers ceux qui nous haïssent et cruels envers ceux qui nous aiment n’est que bassesse de l’arrogant, suffisance du médiocre !

                  Ô Passé ne nous transforme pas chaque fois que nous nous éloignons de toi !

                  Ô Futur ne nous demande pas : Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Car nous l’ignorons nous-mêmes.

                  Ô Présent supporte-nous encore quelque temps, car nous ne sommes que des passants bien lourdauds !

                  L’identité, c’est ce que nous léguons, non ce que nous héritons, c’est ce que nous inventons, non ce dont nous nous souvenons.

                  L’identité, c’est le miroir corrompu que nous devons briser chaque fois que l’image nous plaît !

                  Cagoulé et armé de bravoure, il a assassiné sa mère parce qu’elle était la bonne proie à sa portée et parce que la soldate qui l’avait arrêté avait dénudé ses seins en disant : Ta mère en a-t-elle de pareils ?

                  N’était-ce la honte et l’obscurité, je serais allé à Gaza, sans connaître ni le chemin vers la maison du nouvel Abu Sufiân ni le nom du nouveau prophète !

                  Si Mahomet n’était pas le dernier des prophètes, toute clique aurait eu son prophète et tout Compagnon aurait eu sa milice !

                  Juin nous a séduit lors de son quarantième anniversaire. Si nous ne trouvons pas qui nous vaincra de nouveau, nous nous vaincrons nous-même, de nos propres mains, pour ne pas oublier !

                  Tu fixeras longtemps mes yeux, mais tu n’y trouveras pas mon regard. Il a été dérobé par un scandale !

                  Mon cœur ne m’appartient pas, il n’appartient à personne. Il est indépendant de moi, mais il n’est pas devenu une pierre pour autant.

                  Sait-il, celui qui clame « Dieu est Grand ! » au-dessus du cadavre de sa victime/son frère, qu’il n’est qu’un mécréant ? Il voit Dieu à son image : bien moins qu’un être humain normalement constitué.

                  Le prisonnier qui aspire à hériter de la prison dissimule un sourire de victoire devant la caméra, mais il ne réussit pas à dompter le flux du bonheur qui s’écoule de ses yeux, car le texte hâtif est peut-être plus puissant que le comédien.

                  Qu’avons-nous besoin de narcisses puisque nous sommes des Palestiniens !

                  Et puisque nous ignorons la différence entre la mosquée et l’université, termes dérivés de la même racine linguistique, quel besoin avons-nous d’un État qui s’achemine vers le même destin que les jours ?

                  A la porte d’une boîte de nuit, la pancarte dit : Bienvenue aux Palestiniens qui reviennent du champ de bataille. Entrée gratuite. Notre vin ne vous soûlera pas.

                  Je ne peux pas défendre mon droit de travailler comme cireur de chaussures sur le trottoir, car les clients auront le droit de me prendre pour un voleur de chaussures - c’est ce qu’un professeur d’université m’a dit.

                  « L’étranger et moi contre mon cousin, mon cousin et moi contre mon frère, mon guide religieux et moi contre moi-même. ». Voici la leçon numéro 1 du nouvel enseignement d’instruction civique, donnée dans les caves de l’obscurité.

                  Qui entrera le premier au Paradis ? Celui qui a été tué par les tirs de l’ennemi ou celui qui est tombé sous les balles de son frère ?

                  Certains exégètes disent : Il se pourrait que ton ennemi soit engendré par ta propre mère !

                  Les fondamentalistes ne me gênent pas, ils sont croyants à leur manière. Ce sont leurs acolytes laïques qui me dérangent, de même que leurs acolytes athées qui ne croient qu’en une seule religion : leur image à la télévision !

                  Il me demande : Le vigile affamé peut-il défendre une maison dont les propriétaires sont partis passer leurs vacances sur la Riviera française ou italienne ? Je réponds : Non, il n’a pas à le faire.

                  Il me demande : Est-ce que moi + moi = deux ? Je réponds : Toi et toi vous faites moins qu’un être entier.

                  Je n’ai pas honte de mon identité, car elle est en élaboration, j’ai plutôt honte devant certains passages des Prolégomènes d’Ibn Khaldoun.

                  Désormais, tu es un autre.

                  Publié le 17 juin 2007 par les quotidiens al-Ayyam et al-Hayat
                  Traduction : Rania SAMARA

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