Ilya Prigogine et il y a le temps ...et le bon côté de l’entropie !
« Ce courant de pensée devait aboutir à la formulation de la thermodynamique et avec la thermodynamique la notion d'« histoire » est entrée dans la physique. »
Ilya Prigogine, 1967
[ « ... et réciproquement ! » Luniterre, 2025... ! ]
Ilya Prigogine, Prix Nobel de chimie 1977, a incontestablement non seulement marqué son époque mais ouvert un champ de recherches élargies à de nombreux domaines où peuvent s'appliquer les principes généraux qu'il a établi en chimie et en physique pour les structures dissipatives d'énergie.
Il n'a donc pas seulement innové en chimie mais carrément révolutionné l'approche épistémologique que l'on peut avoir des différents domaines de recherche, et in fine, de l'univers lui-même.
Le titre général de l'article, que nous empruntons en partie à un site canadien, n'est donc pas réellement un jeu de mots "opportuniste" mais bien une sorte de métaphore à la hauteur du personnage, de son histoire et de son oeuvre, qui mérite plus que jamais d'être défendue et prolongée, dans le climat actuel de retour à l'obscurantisme qui gagne même le domaine de la science "officielle" !
Ilya Prigogine était semble-t-il un incorrigible optimiste, une gageure qu'il nous paraîtrait difficile de tenir aujourd'hui, d'où la "seconde partie" du titre, mais qui reste donc également "réaliste" au sens où effectivement l'entropie est d'abord et avant tout une force "créatrice" non seulement de la vie, paradoxalement, mais de toutes les formes de l'univers encore en "mouvement", précisément dans la mesure où on ne sait pas vraiment jusqu'où, au delà des supputation pourtant logiques sur sa tristement célèbre "mort thermique"...
Mort thermique qui est donc, bien plus que le concept connoté négativement de "désordre" ou de "chaos", la forme ultime de l'équilibre, avec la plus grande dispersion/dissipation possible de l'énergie, mais dont on est encore très loin, la vie étant par définition thermodynamique même "loin de l'équilibre".
Ce qui est une occasion de souligner qu'au fond le mythe de la recherche de l'équilibre est bien plus en relation avec la mort et le chaos qu'avec la vie, contrairement aux envolées lyriques habituelles de ses thuriféraires !
Il y a donc décidément une grande leçon de dialectique à tirer de toute cette étude et de cette recherche sur le thème de la vie qui apparaît concrètement comme étant "loin de l'équilibre" mais contribue néanmoins d'autant plus à l'entropie croissante de l'univers vers sa "mort thermique". Elle apparaît donc comme le visage lumineux de la destruction créatrice commencée dès les premières secondes du Big Bang qui n'en finit pas de s'éterniser.
De sorte que si l'entropie va nécessairement croissant, il en va relativement de même pour la destruction créatrice. Relativement jusqu'où, telle est la question qui nous concerne, en relation avec notre environnement et notre action "consciente" sur lui.
D'où l'importance réellement "décisive" de notre "libre-arbitre", pour peu que nous l'utilisions réellement, alors que manifestement, dans la société humaine du XXIème siècle, tout est fait par les "élites" pour l'étouffer et le condamner à mort, mentalement sinon physiquement, ce qu'Ilya Prigogine n'avait donc pas du tout anticipé avec sa lecture philo délibérément "positiviste" et optimiste de la notion de "bifurcation" !
Il ne s'agit donc pas ici seulement de rendre hommage à sa mémoire mais bien plutôt de tenter de reprendre, d'une manière ou d'une autre, le flambeau de ce qui était sa Résistance face à l'obscurantisme.
Luniterre
Ilya Prigogine et il y a le temps
Pour le Prix Nobel de chimie, l'univers n'est ni totalement déterministe, ni totalement aléatoire.
Ilya Prigogine, chimiste, physicien et philosophe, prix Nobel de chimie en 1977, titulaire de 37 doctorats honoris causa, était le conférencier de la trentième conférence Augustin-Frigon, événement tenu chaque année à l'École Polytechnique.
Le scientifique belge d’origine russe est surtout connu pour avoir réintroduit la dimension du temps en physique, ce qui, aux yeux de certains, constitue une révolution dans la pensée scientifique contemporaine.
M. Prigogine parle de la « redécouverte du temps » parce que Newton et Einstein ont considéré que cette dimension n’existait pas en dehors de l’esprit humain. Pour Newton, les lois de la nature sont fixées à jamais, toujours les mêmes dans le passé comme dans l’avenir. Pour Einstein, le temps est une illusion et seules les limites de notre connaissance nous empêchent de voir le futur avec exactitude et certitude.
Il découle de ces approches totalement déterministes que le libre arbitre ou même la créativité n’existent pas. Ilya Prigogine récuse cette vision des choses qui conduit, à son avis, tout droit à l’absurde. « Le déterminisme ne saurait s’arrêter à la porte de notre cerveau », fait-il remarquer. Sinon, on doit entrevoir l’être humain comme extérieur à la nature.
La perspective déterministe entraîne également plusieurs dualités et dichotomies non seulement entre la science et la culture, mais aussi entre la physique et les sciences évolutionnistes et, à l’intérieur de la physique elle-même, entre la mécanique classique et la mécanique quantique. Il y aurait même une dualité en physique quantique entre des équations déterministes et des « états de potentialité ».
Tout le travail d’Ilya Prigogine consiste à dépasser et à réconcilier ces dualités. Sa solution réside dans ce qu’il appelle « la flèche du temps ». « Le temps joue un rôle de construction du réel qui n’est qu’une possibilité parmi d’autres, soutient-il. S’il y a des objets organisés et d’autres qui ne le sont pas, c’est l’effet du temps. »
Il lui apparaît donc impensable que le temps soit une création de l’esprit. « Nous sommes plutôt les enfants du temps, déclare-t-il. L’homme est un possible qui a été réalisé. » Paraphrasant Sartre, il ajoute que « le temps précède l’existence. Si l’univers a eu un début, le temps n’en a pas eu. »
La fin des certitudes
Si le temps intervient de façon dynamique dans la construction et l’évolution, « le futur n’est donc pas donné par le présent et il n’est pas déterminé », n’en déplaise à Jojo Savard.
À l’appui de sa thèse se trouvent les lois du chaos, qu’il a contribué à élaborer et selon lesquelles il est impossible de prévoir l’évolution d’un système complexe ou instable parce que les conditions initiales sont infinies et les possibilités d’évolution tout aussi infinies. L’univers serait doté d’un potentiel d’auto-organisation et pouvant s’exprimer différemment avec le temps. « L’incertitude n’est pas due à notre ignorance », réplique-t-il à Einstein.
À son avis, les lois physiques considérées comme des certitudes sont du domaine de la théologie. « La certitude est associée à l’image de Dieu. Dieu ne doute pas, il comprend tout, il n’a pas de début et connaît l’avenir. » Les connaissances actuelles nous révèlent plutôt un monde instable, fait de fluctuations, de transformations et d’évolutions.
Mais pour Ilya Prigogine, les lois de la nature ne sont pas pour autant totalement aléatoires et imprévisibles. En fait, il n’y aurait ni déterminisme pur ni hasard pur ; il nous faut trouver l’espace étroit entre ces deux situations qui seraient toutes deux aliénantes. « Nous pouvons rationaliser le hasard, affirme-t-il, et les racines de la probabilité sont dans la nature. »
Il faut les trouver et, heureusement pour le journaliste de Forum, sa conférence n’avait pas pour but de démontrer que dans son système mathématique la probabilité ne diminue pas la justesse de la prédiction, mais l’augmente.
Science humaniste
La contribution d’Ilya Prigogine à la compréhension des lois de l’univers a également des répercussions sur les sciences humaines. « Le changement dans notre façon de voir les lois de la nature entraîne des changements dans notre compréhension de l’être humain, avance le chimiste. Quand on a une image de la nature comme étant quelque chose que l’on peut contrôler, on peut aussi penser que l’homme est quelque chose que l’on peut contrôler. Si la nature est un automate, il est difficile de ne pas voir l’homme comme un automate. »
Par contre, une vision de l’incertitude et de l’autoconstruction accorde une place à la créativité comme moyen de participer à l’organisation de la vie. La fin des certitudes en sciences amène aussi la fin des certitudes en politique et en sociologie avec, espère le savant, une plus grande place faite à la tolérance.
Pour mieux connaître la pensée de M. Prigogine, on pourra lire ses deux plus récentes publications, La fin des certitudes (Éditions Odile Jacob, 1996) et Les lois du chaos (Flammarion, 1994).
Daniel Baril
http://www.forum.umontreal.ca/numeros/1996-1997/forum96-10-07/article07.html
En lien, cette biographie hagiographique d'Ilya Prigogine, mais qui présente aussi un intérêt en termes de vulgarisation de quelques concepts importants concernant son travail :
https://www.persee.fr/doc/barb_0001-4141_2004_num_15_7_28702
Transcription d’une conférence :
l’intervention d’ILYA PRIGOGINE aux 7emes Journées européennes de thermodynamique contemporaine (2001),
Mons, Belgique
http://w3.umh.ac.be/ chimfm/jetc7/text_prigogine_fr.htm
NDLR :
le lien est caduc mais il nous a permis de situer cette conférence dans le temps, en 2001, donc, grâce à ces quelques traces sur le net :
http://www.adelinotorres.info/filosofia/prigogine-l_homme_devant_l_incertain.pdf
https://books.openedition.org/msha/5274?lang=fr (Note 10)
https://www.ouvrirlecinema.org/pages/reperes/prisnot/JO0708/JO_080220.pdf
https://www.ouvrirlecinema.org/pages/reperes/prisnot/JO0708/JO_2007_08.pdf
JETC7 - Texte reconstitué d'une conférence du Professeur Ilya Prigogine - Text of the conference of Prof Ilya Prigogine
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L'Homme devant l'incertain
Toute vie est liée à l'incertain. Quand une plante doit-elle fleurir, où un animal doit-il chercher sa nourriture ? L'incertain est partout.
Mais peut-être l'incertain est-il plus évident chez l'homme. Le futur, la préoccupation du temps est un élément essentiel de notre vie et nos mythes, nos religions, notre poésie, notre art, notre musique sont probablement tous l'expression de notre sentiment d'étonnement devant le monde dans lequel nous sommes et du sentiment d'incertitude qui est caractéristique de la condition humaine. Mais bien entendu, nous souffrons de cette incertitude. Elle nous angoisse. Voilà pourquoi la découverte de la physique classique par NEWTON fut une révolution culturelle. La physique a eu immédiatement une influence culturelle immense parce qu'elle semblait nous donner le certain. La physique newtonienne est réversible dans le temps et dit que, une fois les conditions initiales données, il n'y a qu'un seul et unique développement possible.
Cette certitude fut accueillie comme une libération et cela pour deux raisons. La première est que, d'une certaine manière, et comme le disait déjà LEIBNIZ, l'Homme se trouvait ainsi être dans la même condition que Dieu : pour Dieu, le Dieu de la théologie habituelle, il n'y a pas de futur, il n'y a pas de passé. Donc, l'Homme devenait un peu comme Dieu. Et d'un autre côté, il y avait aussi le fait que la certitude donnait l'impression que nous pouvions dorénavant dominer la nature. Et c'est d'ailleurs un peu comme cela que BACON et d'autres ont compris la naissance de la Science.
D'une manière ou d'une autre, la physique newtonienne s'imposa par cette image de complétude, de certitude qu'elle évoquait. Et puis, cette certitude rentrait dans un débat qui a traversé toute la pensée occidentale : le débat entre l'être et le devenir. L'être était considéré comme supérieur au devenir. Le devenir n'était qu'un moindre être.
Cette opposition a finalement conduit à une bifurcation dans nos connaissances. D'un côté les physiciens qui considéraient la théorie de NEWTON comme définitive ; de l'autre, les philosophes, que ce soit HEIDEGGER, BERGSON ou WHITEHEAD, qui ne pouvaient pas l'accepter parce qu'au fond c'était faire de nous des automates.
Il y a donc eu une bifurcation. D'une certaine manière, nous devons repenser ce problème dans la situation actuelle, et je voudrais y contribuer en visant plus précisément deux aspects : l'aspect de la probabilité et l'aspect de la flèche du temps.
Les probabilités sont nées à peu près en même temps que la physique newtonienne, mais leurs origines sont beaucoup plus modestes, même si parmi leurs créateurs on trouve de grands mathématiciens comme FERMAT et d'autres. En effet, les questions qui ont mené à leur éclosion ne traitaient pas de mécanique céleste mais de jeux de hasard, de coups de dés, et pour cette raison, on les a aussi un petit peu méprisées.
LAPLACE a dit que si vous avez les conditions initiales, vous avez tout le développement. Les probabilités ne sont que l'expression de l'ignorance et la connaissance complète engendre la certitude : cette thèse est encore celle d'une majorité des physiciens d'aujourd'hui, même si les probabilités ont conquis une importance toujours croissante au cours de ces cent cinquante dernières années. Où les probabilités jouent-elles un rôle ? Et bien d'abord en théorie cinétique des gaz, en théorie de la chaleur : les systèmes qui y sont traités ont tellement de degrés de liberté que ne pouvons pas les connaître de manière complète. Il était donc normal de recourir aux probabilités. Ensuite les probabilités se sont introduites en physique quantique dès le début de ce siècle. Elles y sont associées aux solutions de la célèbre équation de Schrödinger qui reste une équation déterministe et réversible dans le temps. Mais on ne peut guère dire que les probabilités y sont l'expression de notre ignorance. Elles étaient plutôt considérées comme un mal nécessaire lié aux relations d'incertitude de HEISENBERG sans toutefois acquérir un statut fondamental.
Le but de mes travaux depuis longtemps a été de montrer que les probabilités sont l'expression même de la nature : ce sont elles qui nous donnent la possibilité d'inventer, de créer. Car création et invention signifient que nous sommes dans un monde qui n'est pas déterministe. J'ai toujours soutenu la thèse que les probabilités sont fondamentales et que notre tâche est de trouver comment les introduire dans les lois fondamentales de la nature elles-mêmes.
La seconde raison pour laquelle la vision classique n'était pas très satisfaisante est la flèche du temps. Il existe des phénomènes qui sont irréversibles : par exemple, après avoir chauffé une extrêmité d'une barre métallique, on observe un flux de chaleur qui finit par égaliser la température dans toute la barre. Mais nous n'observons pas le phénomène inverse, à savoir qu'une extrémité d'une barre se réchauffe spontanément alors que l'autre se refroidirait :
Voilà la flèche du temps.
Elle fut d'abord observée dans les systèmes compliqués qui comptent beaucoup de particules. Et l'explication fut, à nouveau, de dire que la différence entre le passé et le futur est due à notre ignorance, à notre incapacité à traiter correctement des systèmes de milliards de milliards de milliards de particules. Et si vous regardez la plupart des manuels, vous allez voir que c'est encore l'opinion la plus répandue. Or cela paraît assez curieux puisqu'on néglige que ce sont justement les phénomènes irréversibles qui nous conduisent aux structures : c'est cette constatation qui m'a intéressé depuis que j'ai été étudiant.
Lorsqu'on chauffe un côté‚ d'un récipient contenant un mélange de deux fluides et refroidit le côté opposé‚ on aura une démixtion : les molécules des deux fluides vont commencer à se séparer et migrer en directions opposées. On a donc un début de structure. Normalement, à l'équilibre, cela ne se fait pas.
Mon but a toujours été d'explorer ce qui se passe si on pousse le système encore plus loin, si on le met plus encore en déséquilibre.
Ce qui se passe est très curieux : près de l’équilibre, l'entropie tend vers un maximum et la création d'entropie par les phénomènes irréversibles devient minimale. Au fond la nature semble chercher à se rapprocher le plus possible de l'équilibre. Loin de l'équilibre, la situation est tout à fait différente car des mécanismes tout à fait nouveaux entrent en jeu. La nature a l'air de dire :
Puisque nous sommes très loin de l'équilibre, essayons de trouver des structures qui vont nous rapprocher de l'équilibre.
Ce sont les structures dissipatives que j'ai eu l'occasion d'étudier il y a une trentaine d'années et qui montrent que la matière est bien moins inerte, bien moins banale que ne le supposait WHITEHEAD en la traitant de soundless, scentless, colourless, qu'elle n'est pas seulement un ensemble de molécules qui vont dans tous les sens. La matière peut s'auto-organiser. Et, au fond, l'auto-organisation c'est ce qui est à la base de la notion d'individu, d'individualité. Prenez par exemple une cellule biologique : cette cellule a une auto-organisation qui n' est possible que par suite des interactions avec le monde extérieur.
Il y a une espèce de compétition entre le près de l'équilibre et le loin de l'équilibre et le loin de l'équilibre conduit aux structures qui apparaissent aux points de bifurcation, là où le système a le choix entre plusieurs chemins et réalise une seule de ces possibilités.
Mais il n'est pas possible de prédire quel chemin sera choisi, parce que ce choix dépend de fluctuations qui ne peuvent être maîtrisées même en connaissant les équations de mouvement. La probabilité devient donc une notion fondamentale. Nous ne sommes plus dans un univers déterministe, nous sommes dans un univers probabiliste.
BOLTZMANN a essayé de donner à la thermodynamique un statut microscopique. Mais sa tentative était vouée à l'échec, comme POINCARE et LOSCHMIT l'ont très vite reconnu, car comment pourrait-on bâtir, à partir d'équations déterministes, une physique probabiliste qui prédise la direction ? Et dès lors, on a souvent considéré le Second principe de la thermodynamique un peu comme une illusion.
Au cours du XXe siècle la mécanique et les mathématiques ont fait de grands progrès et nous pouvons maintenant comprendre pourquoi BOLTZMANN a échoué et comment les mathématiques modernes et la physique des systèmes dynamiques permettent de répondre à son échec et d'aller au-delà.
La science est toujours l'expression d'une culture et c'est la civilisation chinoise qui a découvert la complexité, dont le premier élément est la résonance, l'influence de toute la nature sur l'Homme et de l'Homme sur toute la nature.
Mon ami Joseph NEEDHAM, qui n'est plus là, disait toujours qu'en Chine, si un coq pondait des œufs, c'était l'annonce d'un malheur et que le coq devait être brûlé dans le secret pour ne pas effrayer les gens. En Europe la réaction a été‚ totalement différente. La première étape de la Science occidentale est l’étape de la simplicité. C'est ainsi que les premiers missionnaires venus en Chine étaient accueillis avec scepticisme car ils donnaient aux savants chinois une image que ceux-ci considéraient comme anthropomorphique et trop simplifiée.
Ce n'est que depuis peu que l'histoire commence à s'inverser. En Europe, qui s'est d'abord occupée de choses simples, comme les mouvements des planètes, la notion de complexité ne s'est imposée qu'il y a une cinquantaine d'années. La Chine a d'abord découvert le complexe et y a fait de grandes découvertes, comme le champ magnétique, les explosifs et la chimie, n'a longtemps pas pensé à une physique et à une cosmologie simples et ce n'est qu'aujourd'hui qu'un rapprochement a lieu avec en particulier les énormes progrès que la Chine est en train de faire en sciences.
L'explication par l'ignorance des probabilités et de la flèche du temps est très douteuse parce que parmi les observations qui nous étonnent le plus, il y celle de la diversité dans la nature. Il y a treize mille espèces de fourmis, il y a des millions d'espèces d'insectes, il y a tellement d'espèces de fleurs, partout il y a de la diversité. Penser qu'elle ne soit due qu'aux conditions initiales est presque impossible.
D'ailleurs, quelles étaient ces conditions initiales ? Au moment du big bang, la température était très élevée et l'univers était composé de particules élémentaires. Comment croire que, dans ces particules, toute la variété de ce qui allait venir était déjà inscrite ? C'est presque inconcevable.
Donc il doit y avoir eu invention ou créativité par la suite. D'une certaine manière, la variété que nous observons aujourd'hui montre qu'il doit y avoir une explication plus profonde et qu'il faut la physique classique et d'une certaine manière aussi la physique quantique. Nous devons introduire le temps à tous les niveaux. Si le temps existe, il doit exister à tous les niveaux ; de même si la créativité existe, elle doit exister à tous les niveaux.
L'essence de la physique newtonienne est qu'elle peut être ramenée, en définitive, à des particules sans interaction, comme par exemple un gaz dans lequel chaque molécule serait séparée des autres et évoluerait pour son propre compte. La situation est un peu celle des monades de LEIBNIZ. Chaque monade n'interagit pas avec les autres, elle a été instruite par Dieu au début des Temps ; si elles semblent donner naissance à des interactions ce n'est qu'une illusion. En langage de physicien, nous sommes en présence d'un système invariant, et la notion d'interaction est une notion artificielle qui doit être éliminée.
Le premier à s'en être vraiment rendu compte est POINCARE qui a donné à de tels systèmes l'épithète intégrable qui signifie que l'on peut y éliminer l'interaction. Mais par la suite on s'est rendu compte qu'une immense partie de la nature est en fait constituée de systèmes non intégrables, c'est-à-dire de systèmes que l'on ne peut pas réduire en unités indépendantes.
Quelles sont les unités qui émergent dans les systèmes non intégrables ? Les systèmes non intégrables conduisent des particules qui ne sont pas des monades : elles restent toujours en interaction. Elles existent et nous ne pouvons les observer que parce qu'il y a interaction. Par exemple, lorsqu'un atome passe d'un niveau excité vers un niveau inférieur, nous le voyons parce qu'il est en interaction avec la lumière ; l'électron qui fait la transition émet un photon, et sans ce photon, les transitions quantiques ne seraient pas observables.
On parle aujourd'hui beaucoup de matière noire qui formerait une partie importante de notre univers. Mais cette matière noire, si elle existe, serait une matière qui ne se révèle que par son interaction, en ce cas la gravitation. Nous retrouvons donc l'idée que ce sont les structures dissipatives, non intégrables qui nous mènent vers l'essentiel.
Pour les expliquer, on peut, par exemple, avoir recours à la physique des populations. Une population est un système hautement non- linéaire : ce qu'un individu fait se répercute dans la population et, inversement, la population, la culture influence l'individu. Comme il y a une sociologie de l'individu, il y a aussi une sociologie des populations. Et au fond ce qui caractérise les populations, ce sont les corrélations : ce qu'un individu fait va influencer les autres. La physique newtonienne des systèmes intégrables élimine les corrélations et ne pense qu' aux individus. La physique que nous faisons aujourd'hui est une physique des populations qui tient compte de corrélations qui sont dérivées de manière rigoureuse à l'aide des mathématiques et qui pourra nous mener à comprendre les probabilités et la flèche du temps.
Ce n'est pas au niveau de l'individu que se manifestent les phénomènes irréversibles ; c'est à l'aspect collectif qu'il faut s'adresser. Cette idée n'est pas nouvelle car les ensembles de particules ont déjà été introduits par EINSTEIN et GIBBS au début du siècle passé. Ce qui est nouveau, cependant, c'est de ne pas y voir une ignorance, mais, au contraire, de la considérer comme une possibilité d'intégrer les probabilités irréductibles dans la physique qui habituellement considère toutes les probabilités comme étant réductibles, en définitive, aux notions de trajectoire ou, en mécanique quantique, de fonction d'onde.
Nous savons aujourd'hui qu'il existe des systèmes dynamiques irréductibles pour lesquels les probabilités ne peuvent être éliminée au profit de trajectoires ou de fonctions d'onde. En vérité, la nature est bien plus active et bien plus cohérente que l'image qu'on est fait.
Les philosophes se sont souvent posé la question : « Que signifie exister ? » La conception classique de l'existence était l'être : L'être est fondamental, le devenir conduit à l'être.
Aujourd'hui nous en arrivons à une vision bien différente. L'existence est participation : participation à une population, participation à l'évolution de l'univers, participation à la créativité, que ce soit dans la société humaine où dans la nature, en accord avec WHITEHEAD, pour qui la créativité est la propriété fondamentale de l'univers. Evidemment, devant l'immensité de la nature, nous pouvons peu de choses, mais nous participons quand même au flux de la nature, à la création des structures, à la création des bifurcations.
Mais comment, au juste, définir la créativité ? Ce n'est bien sûr pas chose facile. Prenons quelques exemples de la créativité de l'homme comme prolongement de la créativité de la nature.
Ainsi, les chimistes produisent tous les ans par dizaines de milliers de nouvelles molécules. Mais nombreuses sont celles que la nature a fabriquées indépendamment de nous. Notre chimie organique, notre chimie de construction de molécules est un prolongement de la chimie de la nature. De même en mathématiques, la nature a résolu, de fait, beaucoup de problèmes mathématiques très compliqués : la forme d'un requin est par exemple une solution optimale des équations de l'hydrodynamique. Dans certains domaines, nous sommes en retard sur la nature, mais dans d'autres, nous avons créé des mathématiques dont nous ne voyons pas d'application dans la nature. D'une façon comme de l'autre, il y a comme une continuité entre la nature et l'homme.
Cette continuité se manifeste de manière particulièrement frappante dans les arts. Après la mort de MOZART, il n'y aura pas de nouveau Don Giovanni. Après la mort de MICHEL-ANGE, il n'y aura pas de nouvelle Chapelles Sixtine. Mais pour l'activité scientifique, c'est autre chose.
L'Amérique existait bien avant Christophe Colomb. Les particules élémentaires existaient bien avant leur découverte. Où réside alors la créativité ? La créativité est dans la culture, la culture qui fait construire des bateaux qui pouvaient atteindre l'Amérique ou des accélérateurs de particules.
Et avec la culture, il y a les aléas de la culture. On sait que la Chine a construit des bateaux beaucoup plus grands, plus impressionnants que ceux d'Occident. Mais un jour un empereur à Pékin décida de ne plus construire de tels bateaux. La Chine a cessé de faire des expéditions vers l'Inde ou vers l'Indochine et quand les Européens y sont venus, leurs embarcations firent la loi.
L'évolution biologique de la vie est l’expression majeure de la créativité de la nature. Si DARWIN y voyait un processus continu, la plupart des biologistes d'aujourd'hui pensent à une création par pointes, comme pour la transformation des dinosaures reptiles en oiseaux par exemple.
Le devenir est fondamental pour la description de la nature, mais nous ne comprenons pas encore très bien comment ce devenir a lieu. En biologie, en particulier, nous en sommes encore très loin.
Mais déjà ARBER a montré comment l'incertain s'introduit en génétique, lors de l'interaction entre acide nucléique et protéines. Les travaux de GOLDBETER et autres expliquent qu'en biologie le rythme ne peut exister sans cohérence. Or la vie est réglée par des rythmes biologiques à tous les niveaux : rythmes hormonaux, rythmes cardiaques, rythmes circadiens.
Tous les phénomènes de la nature inanimée se retrouvent en biologie. Par exemple les bifurcations : Plaçons deux sources de nourriture en deux points distincts mais équivalents d'un nid de fourmis. A première vue on s'attendrait à voir la population se diriger par moitié vers l'une et sur l'autre. Or, ce n'est pas le cas. Très vite, toutes les fourmis se retrouvent sur le même tas, parce qu'une fourmi encourage ses congénères à suivre le même chemin en émettant un phéromone. Il y a bifurcation suite à un brisement de symétrie dû aux interactions.
La science du devenir est une science en devenir, encore imparfaite. L'Histoire est aussi une histoire du devenir, celle du devenir des sociétés humaines et les bifurcations de l'Histoire sont les grands événements.
Ce n'est pas une théorie généralement admise, et plus souvent, on suit les idées de BRAUDEL pour qui les événements sont de la poussière. Personnellement, je crois que cette idée est injustifiée, car les événements importants existent, et le plus important de tous a peut-être été la transition entre le paléolithique et le néolithique. Le néolithique a crée de grandes civilisations distinctes : le néolithique chinois est très différent du néolithique précolombien ou du néolithique du Moyen-Orient. Mais il y a aussi certaines analogies, car le néolithique a vu naître partout des sociétés organisées hiérarchiquement. Il y a eu un bond culturel qui a vu l'avènement de sociétés avec des empereurs, des rois, des prêtres, mais aussi des esclaves. Cette différenciation a eu lieu partout, que ce soit en Chine, en Amérique précolombienne, au Moyen-Orient partout on retrouve la méme organisation. Quand les Espagnols sont arrivés en Amérique précolombienne, ils n'étaient pas étonnés de trouver des palais, des temples, des places publiques. En voyant ces analogies, on commence à croire au sens de l'histoire humaine.
Je voudrais conclure sur une idée assez spéculative : pour moi, le sens de l'histoire est de mener à une civilisation sans servitude, à une civilisation de participation. Regardons le XIXème siècle : un siècle marqué par de grandes inégalités entre les classes sociales et un eurocentrisme colonisateur. Dans une certaine mesure, la science a ensuite permis de nous en libérer un petit peu, même si je ne suis pas naïf et que je sais très bien qu'il reste encore énormément de problèmes sans solutions. Nous sommes hélas encore bien loin de l'idée de Federico MAYOR qui disait que nous devons encore franchir le pas d'une culture de guerre vers une culture de paix.
La vision du monde comme évolutive et bifurquante requiert une nouvelle rationalité. Nous sommes encore très influencés par des mythes : le mythe de l'omniscience, le mythe d'une nature soumise. Au contraire, en ouvrant les yeux nous nous retrouvons devant une nature bien différente qui provoque notre étonnement. Au XIXème siècle, les hommes pensaient qu'il ne fallait plus s'étonner et que le déterminisme universel allait tout expliquer, si ce n'est dans l'immédiat, en tout cas au bout d'un certain temps.
Aujourd'hui par contre nous vivons dans une civilisation qui nous invite à nous étonner, une civilisation très différente dans laquelle la science n'est plus une activité élitiste mais une activité qui est importante pour chaque citoyen. Il n'y a jamais eu de période où il y a eu plus de choses à trouver, tant d'étonnement qu'à notre époque. J'espère qu'il y aura encore beaucoup de jeunes qui vont essayer d'en savoir plus, parce que l'étonnement est finalement la source commune des sciences et des arts.
Pour plus de détails, voir : - « La fin des certitudes », Editions Odile Jacob, 1996 (Collection Sciences) ou 1998 (Collection OPUS) - « Noms de Dieux : de l'Etre au devenir », propos recueillis par Edmond Blattchen, Alice Editions, 1998
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Temps, Structure et Entropie
Ilya Prigogine (1967)
« Ce courant de pensée devait aboutir à la formulation de la thermodynamique et avec la thermodynamique la notion d' « histoire » est entrée dans la physique. »
Le doc PDF complet du texte de 1967 :
https://www.persee.fr/doc/barb_0001-4141_1967_num_53_1_62858
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Sur le même thème :
Mais au fond, qu'est-ce que l'entropie ?
https://cieldefrance.eklablog.com/2025/02/mais-au-fond-qu-est-ce-que-l-entropie.html
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L’actu récente sur Ciel de France :
L’indépendance nationale est par définition un bien
qui ne se partage pas,
sa garantie en dissuasion nucléaire non plus !
Déjà endettée jusqu’au cou, et appelée par la Führerin Von der Leyen à s’endetter encore plus pour « participer » à l’ « effort de guerre commun » de l’UE, la France de Macron en est à mettre à l’encan son dernier « bijou de famille », le fameux « parapluie nucléaire » hérité du Général De Gaulle !
Quelles que soient les circonlocutions et formules alambiquées employées, l’idée de « vendre » notre force de dissuasion nucléaire contre une hypothétique « sécurité en Europe » est un leurre encore bien plus dangereux que le « Quoi qu’il en coûte ! » qui a déjà plus que largement hypothéqué notre indépendance nationale sur l’autel de la « dette européenne ».
[…]
Par définition l’indépendance nationale est à la fois un bien et une qualité qui ne se partage pas. L’indépendance nationale étant la condition sine qua non de la liberté du peuple, la dissuasion nucléaire est la seule garantie intangible de l’une comme de l’autre. Seule garantie réelle en dernier ressort, le parapluie nucléaire n’abrite qu’un seul pays et il n’a qu’un seul manche. Celui qui le tient ne peut pas et ne doit pas être un traître à la nation. Dans le cas contraire non seulement le peuple a tous les droits pour s’en débarrasser, mais il en a même le devoir.
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De Marc Touati :
Bonjour à toutes et à tous !
Pour tout vous dire : Chaque semaine, je me dis, ça y est, là on a touché le fond, le cauchemar va s’arrêter.
Et malheureusement ! C’est de pire en pire !
Ainsi, après la récession, l’effort de guerre, l’économie de guerre ou encore le kit de survie, on veut désormais nous faire investir dans un fonds d’investissement pour la défense bloqué au moins 5 ans et sans aucune garantie.
Nous allons évidemment en parler dans cette vidéo et répondre aux nombreuses questions que vous m’avez posées sur ce thème.
Figurez-vous qu’en préparant les slides de cette vidéo, j’ai fait une découverte incroyable, qui pourrait s’apparenter à un délit d’initiés… A suivre…
Nous parlerons également des pertes de la Banque de France et de la BCE qui seront lourdes de conséquences.
[…]
Nous parlerons également des indices des directeurs d’achat qui confirment que la récession s’installe en France.
[…]
Le tout, bien entendu, avec des graphiques et tableaux explicites, pédagogiques et réalisés sans trucage…
L'arnaque du "Fond Défense" : Macron fait de la France un avion sans pilote et sans carburant !
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