Industrie de la défense : mais qui veut la peau de Fincantieri en France ?
L’implication grandissante du constructeur naval italien Fincantieri dans le paysage industriel français ravit ses partenaires et inquiète ses concurrents qui n’hésitent pas à dénigrer ouvertement l’entreprise italienne. Et tous les moyens sont bons.
Fincantieri n’a pas que des amis. Et c’est un euphémisme. Pourtant, l’entreprise italienne est familière du marché français depuis près de trente ans, avec par exemple le projet Horizon, collaboration entamée en 1991 avec ce que l’on appelle alors la Direction des constructions navales (DCN) qui changera plusieurs fois de noms avant d’être rebaptisée Naval Group en 2017. La France et l’Italie, deux pays présentant une longue tradition dans la construction navale (civile comme militaire), tentent actuellement de joindre leurs forces pour créer une nouvelle structure européenne, avec pour première étape FlotLog, une structure destinée à la conception et à la production de navires ravitailleurs. Lancée officiellement en octobre dernier avec une première commande de quatre navires pour la marine française, cette nouvelle entreprise pourrait être l’embryon d’un futur « Airbus naval ». Lancés dans cette aventure en premier face à la concurrence allemande ou espagnole, Français et Italiens ont tout à y gagner. « Nous avons décidé de mettre dans la corbeille commune non seulement des projets de recherche et le développement, mais aussi d’approvisionnement, ainsi que des projets binationaux…, énumère Giuseppe Bono, le PDG italien. Nous avons décidé de collaborer plus étroitement à l’export. D’un point de vue industriel, nous avons passé une première étape décisive. » Seulement voilà, la lune de miel entre les deux PDG, Hervé Guillou et Giuseppe Bono, ne plaît pas à tout le monde.
Le mariage annoncé depuis 2017 entre le Français Naval Group et l’Italien Fincantieri suscite en effet de nombreuses réticences, autant sur les plans politiques que commerciaux. Sur le plan international, ce projet de fusion – à long terme – ne fait plaisir à aucun concurrent européen, et surtout pas au géant allemand TKMS, en perte de vitesse ces dernières années, malgré une relance en mars 2019 avec une commande brésilienne de 1,43 milliard d’euros. En dehors du Vieux continent, Russes et Chinois ne souhaitent logiquement pas voir les Européens organiser la riposte. Mais c’est bel et bien en France même, ou dans les relations franco-italiennes, que les oppositions les plus virulentes s’expriment.
La brouille entre Rome et Paris ralentit tout
Hommes d’affaires français et italiens ne pouvaient anticiper l’arrivée au pouvoir à Rome du gouvernement populiste de Giuseppe Conte et Matteo Salvini en mars 2018, résolument opposé à l’équipe Macron alors au pouvoir à Paris depuis neuf mois seulement. Conte a depuis freiné tous les dossiers sur lesquels les deux pays avaient avancé, Macron également. Ce mauvais alignement des planètes a pour l’instant créé des difficultés dans le rachat des Chantiers de l’Atlantique (STX France) par l’entreprise Fincantieri, suite au désengagement des Sud-Coréens. L’autorité de la concurrence européenne doit également finir d’étudier le dossier pour donner son feu vert. Provisoirement, le gouvernement français a renationalisé les chantiers de Saint-Nazaire. A terme, le projet prévoit que l’Italien prenne 51% du capital, l’Etat français restant à bord avec une minorité de blocage (33,34%), Naval Group (13,66%) et les salariés (2%) complétant le capital.
Pour Paris, l’enjeu est important : Saint-Nazaire constitue un des plus grands chantiers navals d’Europe avec ses 2800 salariés et ses 150 hectares de terrain, et le berceau des plus grands bateaux du monde (Normandie, France, Queen Mary 2, Batillus…). Avec un carnet de commandes rempli pour les dix prochaines années, la mariée est belle. Mais pour Rome, il est urgent d’attendre.
Et des bâtons dans les roues 100% français
Par ailleurs, dans son rapprochement avec Naval Group, l’Italien Fincantieiri emmènerait dans ses cartons son fournisseur d’équipements militaires, italien lui aussi : Leonardo (ex- Finmeccanica). Leonardo est synonyme de matière grise transalpine : l’entreprise fabrique satellites, systèmes spatiaux, systèmes de guidage, radars… En résumé, Leonardo joue sur les plates-bandes du Français Thalès. Thalès lui-même présent au capital de Naval Group à hauteur de 35% (l’Etat français détenant 62,49% du capital, le reste étant attitré aux collaborateurs du groupe et à DCNS Autocontrôle).
Ces dernières années, Thalès a vu le secteur de l’industrie européenne de l’armement se structurer sans elle. Français (Nexter) et Allemands (Krauss-Maffei Wegmann) se sont unis pour créer KNDS (fabrication de blindés). Britanniques, Allemands, Italiens et Espagnols se sont retrouvés autour du projet d’avions de combat Eurofighter GmbH. Idem pour les missiles conçus par MBDA, filiale commune entre Airbus, l’Anglais BAE Systems et l’Italien Leonardo, encore lui. Aujourd’hui en position de faiblesse, en dépit de son excellente santé, Thalès fait son possible pour rester dans la course et conserver sa position privilégiée auprès de Naval Group, notamment du fait de son droit de veto sur les sujets stratégiques du groupe. Thalès utiliserait également certains relais d’opinion comme le journal La Tribune pour faire passer ses messages, et fait du forcing auprès de Matignon, son PDG Patrice Caine étant à la fois proche du propriétaire du journal économique et proche du directeur de cabinet du Premier ministre Edouard Philippe (Benoît Ribadeau-Dumas étant un ex-Thalès). Objectif : mettre des peaux de bananes sous les pieds de Fincantieri en France. Reste à savoir combien de temps cette stratégie fonctionnera.
Si tous ces facteurs venaient à faire capoter le projet de fusion entre Naval Group et Fincantieri, les observateurs s’accordent sur un point : Fincantieri ira probablement voir ailleurs (chez l’Allemand TKMS par exemple) pour constituer le futur géant européen dont le Vieux continent a besoin pour contrer l’essor du géant chinois, le retour en force des Russes et l’avènement de nouveaux venus comme les Japonais, les Turcs ou les Ukrainiens. Pas sûr que la France, et donc Thalès, sorte gagnant d’un tel rapprochement germano-italien.
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