Inégalités : la malédiction des pyramides
Les ressorts essentiels de toutes les espèces animales sont : ‘manger, copuler, dominer’. Triptyque moins plaisant que ‘Liberté, Égalité, Fraternité’ mais beaucoup plus proche de l’accessible réalité. Comment peut-on lutter malgré tout contre les inégalités ?
L’Égalité se définit comme l’absence de toute discrimination entre les êtres humains, sur le plan de leurs droits politique, civil ou social. Dès 1789, l’Article 1er de la déclaration des Droits de l’Homme mentionnaient ‘Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.’ Souvent la seconde partie de la phrase est omise : ‘Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.’
Bien entendu, chacun avait dès l’origine compris qu’il est impossible de comparer une poire et une pomme. C’est déjà délicat de comparer deux pommes entre elles : comme critère de distinction utilise-t-on le diamètre ? le poids ? la couleur ? Le goût, la saveur ne sont pas des critères quantitatifs, ils ne sont donc pas fiables de plus ils dépendent de l’observateur, de ses propres goûts, de son passé, de son origine, de sa culture… Pour éviter cette difficulté, on associe un prix à la pomme comme à la poire, on les classe ensuite du plus cher au moins cher. Le prix n’est pas arbitraire, même si il n’est plus associé à la saveur ou à la difficulté d’obtention du fruit, il est donné par la quantité de fruits offerts et par la masse des demandes pour ces mêmes fruits. Ainsi, l’égalité entre une pomme et une poire peut être vue comme l’état dans lequel elles ont le même prix, ce prix dépend des possibilités de production des uns et de l’envie plus ou moins frénétique de les manger des autres. Le prix est avant tout un phénomène de foule dans lequel le rationnel (le caractère nourrissant, la saveur, les teneurs en vitamines…) est submergé par l’affectif, l’irrationnel, l’émoi, la mode moutonnière, l’envie, la jalousie, le besoin de paraître, de faire comme les autres… traits caractéristiques bien connus des foules.
Par exemple, le 4x4 urbain Volkswagen Touareg (5 portes, Diesel) consomme en ville 8,1 litres de carburant, sur route 6,2 litres, il a une boîte automatique 8 rapports et peut rouler, selon le constructeur, à 235km/h. Il parvient à rassembler tout ce que l’on doit éviter en ville comme ailleurs, pourtant, dans l’hexagone, les 4x4 urbain représentent pratiquement une vente de véhicule sur trois.
L’Égalité consiste-t-elle à permettre à tous d’acquérir un 4x4 urbain, une résidence secondaire avec piscine à portée de vue de la mer, un traitement esthétique permettant de transformer une femme âgée en une femme laide ? Peut-être pas, mais une production massive permet d’abaisser les coûts donc d’égaliser les chances d’obtention du nécessaire, de l’inutile, du superflu, du nuisible sans que personne ne sache distinguer les pulsions principales car c’est le prix qui détermine l’utilité et non l’inverse (comme on pourrait le penser).
Dans la suite des étapes qui vont de la matière première et de l’énergie au produit fini en passant par le transport et les lieux de transformation, les professionnels font toujours montre d’une bien plus grande rationalité que les consommateurs finaux, ces derniers n’ayant pas comme objectif de gagner de l’argent, ils en dépensent. Chacun s’active pour modeler à son goût les consommateurs : les producteurs et les marchands pour qu’ils consomment plus, les instances dirigeantes pour qu’ils consomment moins ou selon une logique écologique.
Puisque c’est le seul moyen ‘scientifique’ de comparer des choses incomparables, un homme, une femme, un pompier, un notaire, un soldat, un chanteur, les inégalités vont être évaluées à leur égard par la somme revenu + patrimoine que détient chacun des individus, indépendamment de l’utilité commune chère aux révolutionnaires. Un CEO qui chapeaute une multinationale du luxe gagnera plus de 300 fois plus qu’un général d’armée avec les mêmes effectifs à commander : ni le niveau d’étude ou culturel, ni la capacité à maîtriser ses émois et donc les événements, ni la capacité à prendre des décisions dans des conditions extrêmes ne peuvent justifier une telle différence d’utilité sociale ressentie. Il faut se débarrasser de la notion d’utilité commune pour la remplacer par l’aptitude à mettre sous sa coupe un certain nombre d’Hommes afin d’en tirer un profit : quel que soit le secteur, il s ‘agit d’établir une pyramide hiérarchique dont la hauteur et l’ampleur déterminera la grandeur de l’Homme qui la dirige, son rang social. Lorsque vous grimpez l’échelle sociale, vous possédez un pouvoir (fragmentaire) sur davantage de vos semblables et le sentiment de puissance qui vous emplit est du même type que celui qui saute d’avion en avion pour diriger une multinationale.
Le ‘marché’ et la division du travail fournissent de merveilleux moyens de coercition pour bâtir une pyramide. Le collectivisme induit par l’utilisation judicieuse du capitalisme excède de beaucoup tout ce que tous les totalitarismes anciens ont pu produire concurremment. La production d’un bien un tant soit peu compliqué nécessite en effet une immense quantité de savoir-faire différents qu’il faut coordonner : la pyramide est la structure de très loin la plus efficace, si ce n’est la seule, pour ce faire. L’Homme au sommet décide de tout ce qui est vital pour la bonne marche du groupe, il est évidemment conduit à prendre des mesures douloureuses pour ses subordonnés donc dangereuses pour lui. Mais comme le Roi se cachait derrière Dieu, le patron se cache derrière une main invisible qui est l’équivalent païen du divin. C’est la main invisible qui demande des efforts, qui ruine les uns, qui enrichit les autres, on ne peut que s’incliner. Il n’y a aucune raison de penser qu’une entreprise privée est plus efficace qu’une entreprise publique sauf si cette dernière ne peut pas prendre les mesures fortement impopulaires qui s’imposent économiquement.
Les Hommes sont classés selon leur fortune et les gens veulent évidemment tous occuper un rang élevé à l’intérieur de la pyramide des gains. La plupart pour faire mieux que leurs proches, tous par esprit de domination, très peu en fin de compte pour profiter des meilleurs repas, des plus grosses voitures, des femmes les jeunes, les plus longilignes ou les plus plantureuses. La volonté de puissance est tellement ancrée à l’intérieur de chacun, qu’il n’y a guère moyen d’y échapper : l’inégalité est le ressort qui anime toute société organisée.
L’État tente évidemment de parer la réalité avec des atours démocratiques plus affriolants. Il édicte des lois, des traités, il alloue des subventions, des aides, il fixe des salaires minimum (jamais maximum), il gronde, il vitupère et il reconnaît (quelquefois) qu’il est impuissant devant les forces de la Nature (la divine main invisible). De plus, surtout le domaine d’extension d’une Démocratie n’est pas celle des marchés devenus mondialisés, ce qui exaspère considérablement son impuissance. Les efforts de l’État tendent à égaliser les revenus, les lois de la Nature reflétées par celles des marchés tendent au contraire à former des pyramides (voir photo.) structure idéale de commandement. Au fil du temps, les éléments de souche d’un pays ou d’une région arrivent à s’élever’ socialement laissant vacantes des places au bas de la pyramide qui sont comblées par des apports exogènes, et ces populations nouvelles forment elles-mêmes des pyramides hiérarchiques. Il va de soi que les nouveaux arrivants sont principalement dédiés aux taches les plus rudes et les moins valorisées puisque les souchiens en cours d’ascension doivent ressentir cet indispensable sentiment de supériorité.
Ce n’est pas une raison pour s’abandonner au désespoir. Depuis les premiers pas des hominidés, ce sont les poètes, les peintres, les littérateurs, les philosophes, les scientifiques qui ont non seulement donné un sens à la vie mais qui ont permis aussi de moins souffrir durant son parcours… pas les marchands qui, jusqu’à récemment, n’étaient qu’au service des puissants : Rois, Républicains, Démocrates. Et ni les poètes, les peintres, les littérateurs, les philosophes, les scientifiques n’ont jamais intégré une quelconque pyramide d’assujettissement.
L’envie d’asservir est tellement puissante chez ceux qui ne savent que commander qu’il est vain de vouloir lutter contre elle par des mesures qui tendraient mécaniquement à l’égalité. Par contre, il est possible de lutter efficacement sur la hauteur de la pyramide et donc aussi sur le nombre de despotes, quelques uns seront peut-être alors capables de penser plutôt que de compter. Il est aussi possible de bâtir des petites pyramides très différentes les unes des autres, leur multiplicité est le gage que chacune des qualités de l’Homme puisse être présente : le travail manuel, intellectuel, l’esprit de finesse, l’esprit de géométrie, les laborieux et les ‘procrastinateurs’. L’égalité n’aurait alors plus de sens : on ne mesure pas des choses uniques. La volonté de puissance de quelques uns s’atténuerait pour laisser place au génie de tous. L’artisanat (et de façon plus actuelle les start-up) où le savoir-faire est roi, et non pas le faire-faire, reprendrait la place qui a permis de construire en quelques siècles près de 100 cathédrales.
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