Instrumentalisation de la vie humaine
Dans la nuit du13 au 14 novembre 2013 près de la frontière nigériane, un nouvel otage français a été capturé par un groupe d’islamistes. Modestes impressions pleines d’amertume sur le terrorisme islamiste et aussi sur son traitement dans les médias.
Il est des négations de l’âme humaine.
Nier l’humain, c’est par exemple considérer que certaines vies humaines ne sont que des paramètres parmi d’autres, sans plus, juste des variables inodores et froides d’ajustement. Sans prendre aucunement leur caractère sacré.
J’ai été informé quasiment heures par heures de leur tragédie, comme tout le monde (je n’ai aucun mérite), par médias interposés, ce triste soir du samedi 2 novembre 2013, journée des défunts. Au nord-est du Mali. Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
À 16h25, j’ai appris qu’ils ont été enlevés par un groupe de quatre hommes embarqués dans une Toyota. Ils étaient à Kidal depuis le 29 octobre et venaient de finir leur travail pour une journée spéciale de leur radio (RFI) à Bamako le 7 novembre (qui a été annulée).
J’ai tout de suite pensé à l’information sur la rançon qui aurait été versée pour la libération des otages français d’Arlit (dans le nord du Niger), des otages libérés le 29 octobre 2013 après plus de trois ans de captivité. Dès le lendemain, après leur retour à Paris, la presse avait fait état de 20 à 25 millions d’euros qui auraient été versés (le gouvernement avait réaffirmé qu’aucun argent public n’avait été versé).
Parler publiquement de rançon pour résoudre une prise d’otages, c’est forcément favoriser les prochaines. Les multiplier. Pas très responsable d’exposer ce type d’information aux futurs ravisseurs. Tout n’est pas bon à dire quand des vies humaines sont en danger.
Une source d’un journaliste l’a confirmé plusieurs jours plus tard : « La région pullile de sous-traitants d’AQMI et le tapage autour de la rançon versée pour les quatre ex-otages français a dû attiser les convoitises. Ils ont vu deux Français et se sont dit : pourquoi pas nous ? ».
À 18h35, l’horreur est arrivée si vite, si soudaine. Ils ont été tués. Ils n’ont pas été otages, ou plutôt, ils l’ont été par effraction. Leur vie a été soufflée d’un simple coup de fil. Odieux. Terreur.
D’après quelques éléments de l’enquête diffusés quelques jours plus tard, ils n’ont pas eu de chance. Un islamiste voulait se faire bien voir de son "chef". Mais sa voiture était tombée en panne. Au téléphone, il a demandé au "chef" quoi faire. Ce "chef" prononça la peine de mort. Sentence suprême. Corps criblés de balles. Horreur et stupidité. Horreur et cruauté. Une vie ne compte pas. Ne compte plus pour "ces gens-là".
Les réactions ont fusé. L’émotion évidemment. Quasi-universelle. Certains ont sans doute pu croire que les journalistes en ont fait trop. Que c’étaient des leurs et qu’il y a toujours des traitements inégaux dans l’atrocité. Mais peut-on en faire trop quand il s’agit de rendre hommage, de s’émouvoir sincèrement ? Beaucoup de Maliens leur ont rendu aussi hommage. Sentiment d’union nationale.
Et déjà, une polémique a pointé discrètement son doigt. Fallait-il aller là-bas ? Dans ces lieux incertains ? Non sécurisés ? Fallait-il y aller ? Malgré les découragements des autorités françaises ? Quand je reçois les informations tranquillement, confortablement dans mon fauteuil, bien au chaud, loin des turbulences du monde, suis-je capable de me rendre compte, suis-je bien conscient que des vies sont en danger, parfois "sacrifiées" à l’autel de la connaissance, pour cette course nécessaire à l’information ?
Ce qui a choqué, dans cet odieux assassinat, c’est d’abord l’amateurisme des ravisseurs qui ont raté leur prise d’otages. Juste la stupidité d’un sbire pour gagner la considération d’un chefaillon. Presque un accident de psychologie de comptoir. Et après l’échec de l’expédition, "on" a "nettoyé" tout. Au prix de deux vies humaines. Qui ne valaient rien pour ces terroristes. Logique, ils n’hésitent pas à s’envoyer eux-mêmes s’exploser. Qui y a-t-il dans leur tête ? Comment peut-on avoir eu le cerveau aussi lessivé pour ne pas se rendre compte que de l’humain, tout le monde est responsable ? Chaque individu y a sa part. Fanatisme. Sectarisme.
S’est surajouté à cette triste réalité le traitement médiatique sans concession des chaînes d’information continue. Je pensais à leurs familles, ce 2 novembre au soir. J’imaginais leur silence, leur angoisse, leur colère, leur désespérance. J’imaginais aussi qu’elles pouvaient remarquer, ce soir-là, le petit logo, apposé en bas à droite de l’écran : "Reporters tués". J’ai pris ici exemple sur BFM-TV, mais ses concurrentes en font autant. J’ai eu un pincement au cœur. J’imaginais les proches.
Un petit logo pour dire qu’on parle maintenant de cela, de cette horreur au Mali. Tant pis pour l’écotaxe, tant pis pour les Bretons en colère, tant pis pour les bonnets rouges… La séquence est maintenant sur eux, pour eux, tombés sur le champ d’honneur de la perspicacité et de l’investigation. Devenus simple chapitre d’une information gourmande jusqu’à la névrose. Matraquage de dépêches, parfois contradictoires.
Cela a commencé avec la première "guerre du Golfe" en 1991 et cette "séquencérisation" de l’actualité continue encore, maintenant avec le typhon Haiyan, appelé "Urgence" et "Philippines", pendant qu’en Afrique, "on" continue encore à kidnapper.
Le père Georges Vandenbeusch, prêtre français, a été enlevé dans sa paroisse par un groupe d’islamistes nigérians dans le nord du Cameroun dans la nuit du 13 au 14 novembre 2013. On parle de son ancienne paroisse à Sceaux, et les plus hautes autorités sont déjà en alerte. Une nouvelle angoisse. Sur la chaîne info, la réaction (la rédaction) est très rapide ; un nouveau logo, "Enlèvement au Cameroun"…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le Mali.
Deux journalistes assassinés.
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