J’suis Vieux… Trop Vieux !

C’est ce que j’ai entendu deux fois en un an : « Désolé, vous êtes trop vieux », ou plutôt « trop âgé ». Pour un pays qui clame à tous vents son obsession pour « l’égalité  », ça la fout mal, que des fonctionnaires, donc des représentants de l’État, puissent discriminer en toute quiétude, par cet oukase définitif et sans appel : « Désolé, vous êtes trop vieux.  » 

En février 2024, ayant postulé pour un poste de professeur d’anglais au rectorat de Grenoble, le jour même je recevais une réponse positive. J’appelais le responsable recrutement, qui me proposa, suite à la lecture de mon CV, un poste à l’année renouvelable de TZR, qui veut dire titulaire zone de remplacement. Ce type de poste consiste à être un remplaçant volant sur toute l’académie. Cette proposition me convenait parfaitement, car allergique à toute routine. Il m’envoya le même jour le contrat, et en fin de journée je recevais un mail d’un principal de collège qui recherchait désespérément depuis un mois un professeur pour ses élèves. Pendant le weekend, je bouclais une réservation de logement dans la région de Bourgoin-Jallieu et me tenais prêt. Catastrophe, le lundi matin coup de fil du recruteur qui m’apprend qu’ayant plus de 67 ans, je n’ai plus le droit d’enseigner en France, car hors d’âge, trop âgé, vieux quoi. J’avais pourtant joint une copie de mon passeport, mais il n’avait pas noté que j’étais né en 1954. J’ai demandé qu’il fasse une dérogation. Impossible, la règle est la règle et impossible de la contourner… J’aurais dû faire 18 heures par semaine, ce qui, pour moi, était un emploi du temps de colonie de vacances comparé à ce que j’avais vécu l’année précédente. En Afrique de l’Ouest, 26 heures par semaine, professeur de littérature américaine en section internationale, avec donc de la littérature, de l’histoire/géo, de l’éducation civique et une nouvelle matière pour une classe, découverte du monde, toutes ces matières enseignées en anglais. Tout ça sur quatre niveaux allant de la troisième à la terminale, avec deux classes d’examen. Donc, pendant une année, je fais le travail d’au moins deux professeurs et l’année suivante suis incapable d’assurer 18 heures pour une seule matière ? Pour terminer l’histoire, le rectorat statua et appliqua le règlement, et ainsi, je fus mis au rencart.

Décembre 2024. Université de Brest. Ayant postulé pour un poste de professeur d’anglais et de littérature, j’obtiens un RDV avec la personne en charge du recrutement. Tout se passa très bien, car l’université avait besoin d’un professeur natif et expérimenté. Nous nous mettons d’accord sur l’emploi du temps, le salaire et la première classe début janvier 2025. La personne responsable des contrats vint nous rejoindre. Je lis mon contrat, je le signe. On me demande une pièce d’identité, et là, patatras, on découvre que je suis trop vieux une fois de plus. J’avais postulé, car jamais je n’aurais pensé qu’au niveau universitaire cette règle des 67 ans aurait place. Ainsi, pour la seconde fois dans l’année, je me faisais jeter, car ayant une date de DLV (date limite de vente) comme un pot de yaourt dépassée… J’avoue que ces deux « expériences » furent ressenties comme humiliantes, car jamais je n’avais été jeté d’un boulot. Apparemment, durant ma carrière, j’ai su me montrer un élément productif et dynamisant car ayant enseigné en Asie, en Ukraine, en Afrique de l’ouest et au Maroc, dans les Doms Toms, la Guyane et l’île de la Réunion, et dans différents postes en France, j’ai professé devant tous les niveaux possibles allant des tout-petits au niveau universitaire. J’ai même été directeur de maternelle/école primaire et proviseur de collège/lycée… Mais voilà, dans une société où tout se jette, où très peu se recycle, je n’ai plus qu’à prendre mon expérience d’ancien sous le bras et m’en faire des chouquettes… Cependant, lorsque je vois un Bayrou, gâteux, être premier ministre alors que nous avons le même âge, et ne parlons pas des sénateurs à plus de 80 berges, tout cela me donne envie de donner, calcitrare in asino à cette smalah qui « le mérite bien »…

Pourquoi ces deux petites histoires ? Non pas pour pleurnicher, pas le style de la maison, mais pour témoigner que : " Il y a quelques décennies de cela, les personnes âgées avaient encore une place et une valeur dans notre société. » À l’école, les plus jeunes apprenaient qu’ils leur devaient le respect et que « les vieux » pouvaient encore être aimés pour leur sagesse, être considérés pour leur savoir-faire et leurs connaissances. Ils faisaient partie de notre héritage commun. Et puis, progressivement, les seniors, comme ils disent, sont devenus, par la volonté de nos dirigeants politiques et de nos institutions, des poids morts, des boulets. Ils sont devenus inutiles et gênants. Mis à part, bien évidemment, les plus fortunés d’entre eux, ils sont devenus des êtres embarrassants et coûteux (voir les polémiques sur les retraites) ; des êtres qui, finalement, en dehors des élections, devraient être éradiqués par les pouvoirs en place.[i] " (Voir les EHPAD durant le Covid.)

Bon, ne jamais lâcher la rampe. Comme « ils » ne voulaient plus de moi, j’ai appris l’enseignement « online », en distanciel. Et depuis, je suis un professeur nomade qui enseigne toujours l’anglais, mais aussi la nouvelle spécialité pour le nouveau bac, HGGSP, ou histoire/géo, géopolitique et sciences politiques, et le FLE (français langue étrangère). Je continue donc de côtoyer des jeunes que j’apprécie, de faire travailler mes neurones et d’améliorer l’aumône qu’est ma pension de retraite. Si le système ne veut pas de toi, crée ton système à toi et continue ta vie ; quant à « eux »… Les laisser avec leurs règles. Douloureuses.

Voilà, c’était le témoignage d’un vieux d’aujourd’hui, qui veut terminer cette tranche de scribouillis par une tite chansonnette :

Mon pantalon est décousu.
Et si ça continue, on verra tout d’… Mon
… pantalon est décousu.
Et si ça continue, on verra tout mon… cu…rriculum !

Georges ZETER/avril 2025

Daniel Guichard - Mon Vieux