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Jaël et Siséra ou les lois de l’hospitalité dans la Bible

Yaël et Sésira ou les lois de l’hospitalité dans la Bible.

L’apparition insistante de Yaël et Sésira dans plusieurs romans d’Agatha Christie m’a d’abord laissée perplexe : ces personnages bibliques sont à peu près inconnus en France. Du reste, nous ne connaissons à peu près rien de la Bible, dont la lecture, dans la tradition catholique, était déconseillée (et pour cause !). Par contre, le protestantisme, qui prônait un retour aux textes, en a fait son texte sacré, remplaçant l’expression « parole d’Evangile » par « parole de la Bible » - ce qui a mis en lumière bien des passages embarrassants.

Tout foyer anglo-saxon possède une Bible, et on la lit (ou la lisait) à tout bout de champ, comme un oracle et une panacée. Dans Mrs. Craddock (1902), de Somerset Maugham, un personnage, pour consoler une amie dans l’affliction, après une naissance mort-née, lui propose d’ouvrir la Bible au hasard, et de lui faire la lecture : elle tombe sur une liste interminable de généalogies, mais persiste, impavide, dans ces curieuses consolations. Quant aux pasteurs, leur sermon du dimanche, 52 semaines par an, consiste en une glose d’un passage de la Bible : ils ne peuvent donc pas se contenter des épisodes les plus connus, mais doivent aller chercher des histoires de derrière les fagots, dont les moins édifiantes ne sont pas celles qui marquent le moins l’imagination de leurs ouailles.

L’histoire de Yaël et Sésira semble avoir particulièrement intéressé Agatha Christie, qui y revient dans plusieurs romans, en particulier dans Le crime de Halloween (1969). Mrs. Oliver, le double intradiégétique d’A. Christie, réfléchit sur les prénoms étranges que choisissent parfois les parents : « Qui est-ce, déjà, qui a enfoncé des clous dans la tête de quelqu’un ? Jahel, ou Sisara. Je ne me rappelle jamais qui est l’homme et qui est la femme, Jahel, sans doute. Je ne crois pas avoir jamais connu un enfant baptisé Jahel. 

- Elle lui a servi du lait dans une magnifique coupe d’albâtre », intervient la petite Miranda. « L’histoire de Jahel et de Sisara m’a beaucoup plu. Je n’aurais jamais eu l’idée, ajouta-t-elle, songeuse, de faire ça moi-même. D’enfoncer des clous, je veux dire, dans la tête de quelqu’un qui dort ».

Cette histoire paraît abracadabrante, et aurait plutôt sa place dans un recueil d’histoires gore de Halloween, que dans un livre sacré ! Mais elle figure bel et bien dans la Bible, dans le Livre des Juges, 4, 17-24. Après 20 ans de domination du roi de Canaan Yavîn sur Israel, Baraq, inspiré par la juge et prophétesse Débora, « se lève » contre lui et écrase son général Sésira. Celui-ci cherche refuge auprès de Héber le Qénite (descendant de Caïn), qui était alors en paix avec Yavîn. La femme d’Héber l’accueille dans sa tente selon tous les rites de l’hospitalité : « Arrête-toi, mon seigneur, arrête-toi chez moi, ne crains rien », dit-elle, elle le recouvre d’une couverture, et lui donne à boire du lait d’une outre (la « coupe d’albâtre » est sans doute due à l’imagination de Miranda). Siséra s ‘endort profondément ; alors, « Yaël, femme d’Héber, prit un piquet de la tente, saisit dans sa main le marteau, entra auprès de lui doucement et lui enfonça dans la tempe le piquet ». Curieusement, Héber reste dans tout cet épisode à l’état d’Arlésienne : on ne saura jamais comment il réagit à l’initiative de sa femme, qui ruinait sa diplomatie.

Ce qui conclut l’épisode, c’est par contre le Cantique de Débora, qui remercie Dieu, et exalte Yaël en décrivant son exploit de façon encore plus sadique , retournant, on peut dire, le couteau dans la plaie :
« Elle étendit sa main vers le piquet
et sa droite vers le marteau des travailleurs,
elle martela Siséra et lui broya la tête, 
elle lui écrasa et transperça la tempe ». (le curieux « marteau des travailleurs » n’apporte bien sûr pas une note marxiste-léniniste, il insiste en fait sur le côté sordide et sadique du modus operandi de Yaël : Siséra n’est pas tué par l’épée, arme noble, mais par un vulgaire outil, brutalement manié).
Et Débora lance un appel à la guerre sainte :
« Lorsqu’Israel se consacre totalement,
lorsque le peuple s’offre librement,
bénissez le Seigneur ».

En effet, une note de la traduction œcuménique de la Bible éclaire ce passage : « ’ se consacrer totalement ‘, c’est se consacrer à Dieu en vue de la guerre sainte ». Il y est aussi précisé que le cantique de Débora est un des plus anciens textes de la Bible : la visée propagandiste et guerrière de ce livre est donc présente dès le départ et, comme souvent, les positions les plus dures sont incarnées par des femmes.( Dans le monde traditionnel, ce sont les femmes qui sont les gardiennes de la tradition et des valeurs nationales ; on trouve la même chose dans la mythologie grecque : contrairement à l’interprétation habituelle, Antigone n’est pas une rebelle, elle défend au contraire le droit du sang immémorial contre le droit novateur de la Cité).

L’histoire de Judith et Holopherne sera plus tard un autre « roman pieux et patriotique » conçu sur le même modèle. Yaël se distingue cependant par son mépris total des règles de l’hospitalité, sacrées dans le monde antique. On peut bien opposer à cette histoire celle de Loth, dans la Genèse, qui protège les deux anges, ses hôtes, de la concupiscence des habitants de Sodome ; mais ici, le respect des règles de l’hospitalité par Loth ne sert qu’à condamner les Sodomites et aboutit à un génocide, perpétré par Jéhovah.
Yaël se distingue aussi en inaugurant un type d’« héroïne bricoleuse », dont les trafiqueurs de bipeurs et talkie walkies sont les dignes émules.

 


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2 réactions à cet article    


  • xana 14 octobre 13:48

    La Bible est une lecture répugnante.

    A réserver au mieux à des adultes avertis. Comme la pornographie ou les spectacles hyperviolents.


    • SilentArrow 14 octobre 17:07

      La Bible, c’est de la littérature.

      On la lit pour se mettre dans le tête des gens de cette époque, comme quand on lit l’Iliade ou l’Odyssée.

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Auteur de l'article

Rosa Llorens


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