Jean-Marie Le Pen : Raciste et antisémite ou victime de la tartufferie post-gaullienne ?
La mort de Jean-Marie Le Pen, homme politique à l’envergure et à la longévité exceptionnelles, remue pour quelques heures, en profondeur, l’histoire de France. Mais rassurez-vous, bonnes gens, le couvercle sera vite revissé sur la marmite bouillonnante de ces souvenirs qu’on préfère oublier. Quitte à ce que tout ça nous pète à la gueule, et dans pas forcément très longtemps. Eclairage interdit, au risque de grosses quintes de toux (1), sur feu le Menhir. En attendant l’explosion… ou la Résurrection…
Tout le monde le dit : Jean-Marie Le Pen a joué comme à plaisir sur des cordes auxquelles ses ennemis rêvaient de le pendre. A sa décharge, dans l’excellente biographie qu’ils lui ont consacrée en 2012 (2), Philippe Cohen et Pierre Péan relevaient que l'enfant de la Trinité-sur-Mer était né la même année que Serge Gainsbourg, l’autre prince de la provocation. Et ils rappelaient cette formule signée Le Pen : « Je suis contemporain de Mickey. »
Faux antisémitisme et faux « détail »
Dans leur livre, Cohen et Péan, deux grands journalistes peu soupçonnables de sympathie à l’égard de la droite nationaliste ou du nazisme, concluent le chapitre intitulé Le Pen et les Juifs par une série de témoignages de personnalités juives qui affirment n’avoir ressenti aucun antisémitisme à son contact.
Du reste, contrairement à ce qu’on entend dire ici et là, dans l’affaire du « détail », Le Pen n’a pas minoré la gravité de la Shoah. Il l’a même répété explicitement dès le lendemain dans une communication publique. Sa remarque portait sur le mode opératoire, les chambres à gaz en tant que telles, puisque les journalistes l’interrogeaient précisément sur ce sujet.
La gravité de la Shoah aurait-elle été atténuée si celle-ci avait été perpétrée uniquement par balles dans la tête ? Les camps de concentration hitlériens où par le froid, la faim, la maladie et la violence, des millions de Juifs de tout âge, raflés à travers l’Europe, transportés dans des wagons à bestiaux, trouvèrent la mort, entre autres victimes du Troisième Reich, ces camps auraient-ils perdu en atrocité s’ils avaient été dépourvus de chambres à gaz ?
Par delà ses provocations et ses maladresses, la persécution et le massacre des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale est une abomination que condamnait évidemment, la tête froide, Jean-Marie Le Pen. Rien d’extraordinaire. Comme n’importe qui ayant un peu de cœur ou de conscience, un minimum d’humanité.
Faux racisme envers les Arabes et les musulmans
Quant à son prétendu racisme, notamment à l’endroit des Arabes, il pourrait se résumer dans le Menhir au garde-à-vous en 2011, sur la tombe du Bachaga Boualam, déclarant : « Tu vois, Saïd, on est toujours là. Tu vois, solides au poste, comme les Cosaques. »
Le Bachaga Boualam, grande figure de l’Algérie française aujourd’hui évidemment effacée des mémoires, vice-président de l’Assemblée nationale dans la foulée de la Révolution de mai 1958, montait au perchoir du Palais-Bourbon dans ses traditionnels habits d’apparat. Image de l’Algérie française que De Gaulle avait promis solennellement de continuer de bâtir, dans la Liberté, l’Egalité, la Fraternité et la Justice sociale.
Un programme qui comblait les vœux du jeune député Jean-Marie Le Pen, ancien engagé volontaire en Indochine et en Algérie.
Cinq mois avant la Révolution, en janvier 1958, il avait déclaré à l’Assemblée nationale :
« J’affirme que dans la religion musulmane, rien ne s’oppose au point de vue moral à faire du croyant ou du pratiquant musulman un citoyen français complet. Bien au contraire. Sur l’essentiel, ses préceptes sont les mêmes que ceux de la religion chrétienne, fondement de la civilisation occidentale. D’autre part, je ne crois pas qu’il existe plus de race algérienne qu’il n’existe de race française. Je conclus : offrons aux musulmans d'Algérie l'entrée et l'intégration dans une France dynamique. Au lieu de leur dire, comme nous le faisons maintenant : "Vous nous coûtez très cher, vous êtes un fardeau", disons-leur : "Nous avons besoin de vous, vous êtes la jeunesse de la nation". » (3)
Or ce rêve égalitaire, par delà les races et les religions, cet idéal politique révolutionnaire au nom duquel De Gaulle justifia en mai et juin 1958 son coup d’Etat contre la IVe République, cette Révolution De Gaulle n’y croyait pas. Il l’avait annoncée puis proclamée. Mais il en était le plus farouche, le plus déterminé des adversaires…
Comment De Gaulle largua les Arabo-Berbères d’Algérie
Bien que la majorité des populations arabo-berbères d’Algérie avaient manifesté, en mai 1958 et dans les mois qui suivirent, des grandes villes jusqu’au fin fond du bled, leur volonté de faire corps avec le peuple français et d’en finir avec la violence et la terreur du FLN ; alors que par leur participation massive aux élections du 28 septembre 1958 sur la nouvelle Constitution, défiant l’interdiction et les menaces du FLN, ces populations s’étaient prononcées sans ambiguïté, à une écrasante majorité, pour la France égalitaire et fraternelle promise par De Gaulle ; alors que l’Intégration de l’Algérie à la France était acquise puisque ce qui restait de ses adversaires était rallié, défait ou en passe de l’être ; alors qu’il suffisait de tenir les promesses fraternelles et d’accompagner le développement de l’Algérie et de ses populations ; alors que tout semblait acté et lancé, dès qu’il se fût assuré du pouvoir, le même De Gaulle remit cette Intégration immédiatement en cause. Dès janvier 1959, d’abord du bout des lèvres puis de plus en plus clairement au cours des mois et des années qui suivirent, il s’employa à saper par son verbe l’Algérie française. Il envisagea enfin l’indépendance, et s’allia progressivement avec le FLN, pourtant ennemi acharné de la France et terreur des musulmans pro-français… de ce fait de moins en moins majoritaires en Algérie…
Par cette attitude distillant, sous couvert d’esprit libéral, le doute dans la parole donnée, et de là insinuant la peur et la terreur dans la population musulmane ralliée à la France, le Général poussa cette même population à se retourner, pour se jeter dans les bras des indépendantistes redoutés auxquels le pays était soudain promis.
Tandis que De Gaulle conduisait peu à peu l’Algérie vers la sécession, lorsqu’on était arabo-berbère, on avait intérêt à afficher des convictions pro-FLN à proportion qu’on avait été partisan de l’Algérie française. Question de vie ou de mort, pour soi et sa famille.
Devenu maître d’un pays pieds et poings liés, désarmé, livré à sa merci par De Gaulle, le FLN s’employa à laver les cerveaux. Outil de la besogne : le massacre à grande échelle et la terreur qui en résulte. En exterminant, dans des raffinements de barbarie, tous ceux qui n’avaient pu ou su se refaire une virginité anti-française avant le jour fatidique de l’indépendance. Et que le Général avait interdits de rapatriement.
Ainsi le patriotisme français d’Algérie fut noyé dans le supplice, le sang et l’exode, efficacement remplacé par le nationalisme algérien. Celui-ci allant de pair avec une haine fanatique de la France, couplée à une revendication identitaire à dimension culturelle et religieuse. Nul lien avec la crise catastrophique des banlieues, où l’élément algérien fut longtemps majoritaire, n’étant jamais établi, malgré l’évidence de la chose.
Mesurera-t-on un jour l’ampleur du mouvement, ou plutôt du reflux idéologique, ainsi provoqué par l’infaillible, irréprochable et visionnaire Général ?
Evidemment, Jean-Marie Le Pen condamna de la façon la plus absolue ce retournement du gaullisme entre 1958 et 1962, qu’il jugea insensé et criminel.
« Si vous ne faites pas l’Algérie française, vous aurez la France algérienne ! » clamait-il, comme Cassandre désespérée.
La gigantesque incohérence
De Gaulle a imposé à la France l’idée qu’il se faisait d’elle. Cohérent avec lui-même, il a fait en sorte que tous ceux des Algériens qui, n’entrant pas dans cette idée, prétendaient être des Français, en soient dissuadés. Notre époque est pour partie le produit de ce calcul.
On pourrait reprocher à Jean-Marie Le Pen d’en avoir pris acte. De n’avoir pas systématiquement rappelé, tout au long de sa carrière, que Charles De Gaulle ayant décidé de larguer l’Algérie et l’Afrique noire au nom de l’identité raciale et civilisationnelle de la France réduite à l’Hexagone, il était absurde, ou du moins totalement contradictoire, une fois ce largage accompli, d’accueillir en France des millions de ressortissants de l’ancien Empire. Surtout en les encourageant à importer ici leur civilisation et leurs mœurs. Cette mise en perspective, cette réactivation de la mémoire eût pu être utile. Mais les réseaux gaullistes, encore puissants à l’époque et parfois brutaux, l’eussent-ils tolérée ?
Reste que ci-gît la gigantesque incohérence qui préside à la politique française depuis plus d’un demi-siècle.
Ayant abandonné les départements d’Algérie et les territoires d’Afrique noire par rejet de leurs populations, la Ve République gaullienne et post-gaullienne les fit ou les laissa venir s’installer en masse dans l’ancienne métropole. Cette métropole, cette France qu’elle leur avait confisquée chez elles par des indépendances souvent d’ailleurs fictives. Tremplins tantôt du néocolonialisme, tantôt d’une tyrannie locale, et souvent des deux à la fois. Ces divers phénomènes provoquant le sous-développement, l’explosion démographique, le désastre social et partant l’exode de torrents humains. Autant d’anciens Français déchus à la recherche du salut dans cette ancienne métropole regrettée, dont la Ve République les avait dépossédés.
C’est dans ce nouveau contexte engendré par la trahison, pardon, le grand et génial choix gaullien, que Jean-Marie Le Pen va devenir à partir des années 1980 et jusqu’à nos jours, le chef politique incarnant le racisme en particulier à l’endroit des Arabes et des musulmans venus de l’ancien Empire.
L’accusation ne manque pas de sel, de la part d’un système politique qui, de droite à gauche, a cautionné le largage racialiste et civilisationnel de l’Algérie, mais aussi celui de l’Afrique noire…
D’autant que cette accusation vise un homme qui voulait que neuf millions d’Arabo-Berbères musulmans d’Algérie soient reconnus et traités comme des Français à part entière.
« Dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux », écrivait Debord en 1967 dans La Société du Spectacle, au moment même où un De Gaulle en fin de règne s’apprêtait à signer des accords spéciaux ouvrant les vannes de l’immigration algérienne en France…
En attendant les lois Pleven et le regroupement familial des années 1970, chaque fois sous la houlette de gouvernements tout ou partie gaullistes. Il fallait bien se racheter une bonne conscience…
Le Pen et les tartuffes
Dans les années 1990, lorsque Jean-Marie Le Pen parle des musulmans, sa position n’a en réalité pas varié. Pour lui, les Français d’origine arabo-berbère sont des Français comme les autres, comme ils le promettaient de le devenir et l’étaient déjà parfois du temps de l’Algérie française, quoi qu’en disait De Gaulle.
Pour Le Pen, alors que la vague du fondamentalisme islamiste commence à peine à faire parler d’elle, ce sont les individus qui se considèrent comme des étrangers, se comportent comme tels et posent à ce titre des exigences communautaires, ce sont ces étrangers d’attitude que Le Pen rejette. Il n’est jamais ici question de race, ni même de religion. Sans être aveugle aux spécificités de l’Islam et aux difficultés qui peuvent en découler, Le Pen cite en exemple à suivre les musulmans de longue date établis en France, qui n’ont jusque-là jamais prétendu imposer leur mode de vie d’origine, tout simplement, explique-t-il, parce qu’ils sont des Français. Sur leur modèle, Le Pen attendait que les immigrés du temps fassent preuve de la même volonté de se fondre dans le peuple français et, pour ce faire, qu’on cesse d’en faire sans cesse venir de nouveaux. Est-ce fasciste d’expliquer tout cela ? En particulier dans un pays dont le régime a choisi, trente ans plus tôt, de se débarrasser unilatéralement de ses départements d’Algérie et de ses territoires d’Afrique noire, en renvoyant leurs populations à leur « identité », pour mieux les bouter hors de France. Sous prétexte d’incompatibilité des races, des religions et des civilisations...
On mesure la tartufferie qu’il a fallu pour présenter Jean-Marie Le Pen comme un raciste. Surtout venant des représentants d’un Système qui trimballe tellement sur le chapitre. Sans rien dire de leur idole, De Gaulle.
Il n’est pas dit que Là-Haut, Le Pen sera plus mal reçu qu’eux.
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(1) Dans un stupéfiant moment de télévision, le mardi 7 janvier 2025 dans l’émission Face à l’Info sur CNews, Charlotte d’Ornellas a balancé la sauce comme jamais sur De Gaulle, Le Pen, l’Algérie et Colombey-les-Deux-Mosquées (c’est moi qui résume). La journaliste a été prise dans la foulée d’une quinte de toux elle aussi historique, comme si elle crachait ses poumons après le morceau. On peut la comprendre…
(2) Le Pen, Une histoire française, Robert Laffont, 2012.
(3) JORF, débats parlementaires, Assemblée nationale, 2e séance du mardi 28 janvier 1958, 29 janvier 1958, p. 309.
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